Cérémonie des masques Bwaba au Musée du Quai Branly : un bestiaire magique qui n’a rien à envier à Hollywood

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Venue de Boni au Burkina Faso, la troupe de danseurs, musiciens et chanteuses que dirige Yacouba Bonde dans son village a fait le voyage, en cette fin du mois de décembre 2006, jusqu’au Musée du Quai Branly pour nous faire partager un peu de l’émerveillement des cérémonies qui rythment la vie des Bwaba et leur pratiques religieuses. Ce peuple que l’on nomme aussi Tra Bobo Woulé parle le bwamou et vit dans une province sur la frontière entre le Burkina Faso et le sud-ouest du Mali, dans un méandre du fleuve Volta. C’est dans le magnifique théâtre Claude Lévi-Strauss que la troupe de masques a été invitée par Alain Weber qui assure la programmation de l’espace, à ouvrir le cercle sacré et à lever un coin du rideau magique pour laisser entrevoir aux spectateurs parisiens un peu de l’émotion esthétique qui accompagne les célébrations des rites bwaba. Le projet du musée, en ce dotant d’un théâtre, est de permettre au public d’appréhender aussi à travers la reconstitution de certains jeux sociaux emblématiques, de certains rites particulièrement spectaculaires les patrimoines immatériels. Dans cette perspective, les danses des masques bwaba ont été une réussite, à voir l’enthousiasme des spectateurs.
Bien sûr l’assistance n’a donc pas participé à la cérémonie et est restée en somme sur le bord. Car ce qu’offre la troupe a plutôt à voir avec une visite, un voyage de découverte dans les paysages imaginaires et les figures qui les peuplent, un peu comme nous entrons aujourd’hui dans une cathédrale en dehors de la consécration pour toucher du doigt un soupçon de cette beauté qui accompagne les officiants et charge leur âme à travers les vitraux et les voûte vertigineuses.
Le bestiaire que font surgir des bois ces cérémonies est étonnant de diversité et d’invention chromatiques et géométriques. Hiboux, papillons, antilopes, gazelles, crocodiles, hyènes…. emportent le spectateur profane dans un émerveillement qui transporte d’aise : tous les sens sont sollicités, l’imaginaire est enivré. Au delà des codes et des symboles que le novice ne peut bien sûr décrypter, il y a une émotion esthétique qui se déploie et la salle du théâtre voyage sur les ailes de ces masques qui tutoient le ciel les deux pieds pourtant bien plantés dans le sol et sa matérialité de racines et de poussières. Le plus étrange n’est pas la dimension spectaculaire des masques, dont certains font plusieurs mètres de hauteur, mais surtout la dynamique et le mouvement qu’ils dessinent dans l’espace. Les danseurs viennent saluer à la fin de la démonstration, puisqu’il ne s’agit pas du rite en soi, mais d’une exhibition. Et l’apparente banalité physique des danseurs ne fait que renforcer le mystère, tant les masques sont d’une rare agilité, tant la tonicité de leur saut est impressionnante. En dépit du harnachement qui est le leur, les corps virevoltent littéralement dans l’air et impriment aux masques une gestuelle complètement transcendée par l’animal qu’ils représentent. Sans pour autant adopter le comportement de l’oiseau, du reptile, ou du canidé, les mouvements du danseur expriment un caractère, un style particulier, comme une stylisation, une abstraction de l’animal, une quintessence. Les jambes, les bras et le corps entièrement couverts de feuilles, d’écorces et de racines, les hommes disparaissent derrière les silhouettes de peluche végétale à la toison abondante et touffue qui s’imposent bientôt à l’imaginaire comme des créatures merveilleuses et bien vivantes. Les tourbillons du papillon, les vives roulades de la hyène à la silhouette de raphia tout irisée de violet, les sauts vertigineux du hibou lunaire qui prend aussi le temps de s’étendre par terre de tout son long, les trépignements de l’antilope et ses petits bonds furtifs suivent le rythme du balafon, des tambours et des sifflets et construisent une symphonie de couleurs, de formes, de sons et de mouvements qui évoque la densité même de la forêt, d’ou sortent ces masques, une forêt imaginaire, forêt des divinités Bwaba foisonnante d’inventivité. L’irrationnel de ces masques les rapproche des figures de dessin animé et d’aussi loin qu’ils surgissent, sortis de cette nuit des temps immémoriaux, ils semblent rejoindre étonnamment le monde de la création virtuelle et des films d’animation. Ces personnages souvent facétieux taquins, voyous même et leur stylisation bien dessinés rencontrent avec force l’imagerie contemporaine et ont une surprenante modernité.
Les masques bwaba sont des toons ! Formes matérielles et immatérielles à la fois, démesurées, lourdes et pourtant aériennes, pataudes et agiles en même temps, c’est au coeur même de ces paradoxes, de l’oxymore qu’il fabrique que se joue l’état de grâce du spectacle et la tension plastique et musicale qui captive la salle. Une vraie expérience esthétique où plaisir et féerie sont au rendez-vous !

///Article N° : 4682

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Les images de l'article
Masques de Boni © Patrice Pailloux
Masques de Boni © Patrice Pailloux





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