Depuis le débat généré par le Collectif Egalité (cf. Africultures 27) sur la quasi-absence de représentants des minorités visibles à la télévision, les choses bougent au sein de l’audiovisuel français. Trop lentement. Le colloque Ecrans pâles organisé conjointement par le Haut Conseil à l’intégration, le CSA et le FASILD, se donnait pour but d’en rassembler tous les acteurs pour un débat ouvert.
Etant donné l’intérêt et l’importance de ce débat, en voici un carnet de notes détaillé.
Le premier débat, qui regroupait les présidents de télévisions, a témoigné d’une autosatisfaction générale sur la présence des minorités visibles qui s’accroît mais n’a pas posé la question des stéréotypes contenus dans les émissions alors même que c’est là que le bât blesse encore. Heureusement, la journée s’instaura ensuite en contrepoint. Le débat suivant, en soulevant les véritables pratiques de la discrimination, ramenait à la réalité
Et si la vie même des immigrés mais aussi des Français d’Outre-mer pouvait être un sujet ? Pour tourner le cou aux préjugés, il faut instiller de partout la diversité qui manque : par l’embauche, par les sujets, par la vigilance institutionnalisée sur les stéréotypes racistes et réducteurs, par la présence dans les instances décisionnelles. La France a du mal avec le volontarisme en la matière, mais sent bien que la simple volonté ne fait pas avancer très vite
Le débat sur les moyens a ainsi dominé la journée. O.B.
Nous invitons à accepter le dialogue. Régis Debray disait : « nous sommes tous des cathodiques pratiquants ! » La télévision doit être un lieu de représentativité plus diversifiée et plus juste pour représenter notre culture commune. Quelles solutions ? L’imposition législative de quotas ? Le choix français est davantage la mise en avant de talents individuels mais aussi un volontarisme public, des actions sociales et culturelles. C’est à ce volontarisme que nous appelons pour un dialogue plus largement engagé par la société. Ne rien faire serait perpétuer une situation humiliante pour tous. Mais aussi : cette place est nécessaire pour le renouvellement de notre culture. C’est à ces décisions libres que je voudrais appeler les grands acteurs de notre culture.
Le problème est criant. A cela huit raisons.
1) Une sortie générale de la marginalité des population les plus visibles et la revendication de cette visibilité, ce qui provoque un débat sur le degré de visibilité acceptable au sein de la société.
2) la sortie revendiquée de l’assignation : le risque de l’ethnicisation dans des émissions réservées alors qu’on est face aujourd’hui à une revendication d’une déspécialisation.
3) revendication d’investir le coeur du système : l’information. Les journaux télévisés sont régulièrement accusés de gonfler le sentiment d’exclusion
4) absence pathétique des cultures arabo-musulmanes et africaines.
5) un sentiment de désaisissement : la fiction se fait sans eux, associés à des rôles de marginalité.
6) globalisation audiovisuelle : Al Jazira est regardée dans les banlieues. L’écran pâle jette le doute sur l’écran lui-même.
7) besoin de reconnaissance et de mémoire.
8) revendication d’entrisme : une télévision aux couleurs de la France. Etre acteur d’une production culturelle et intellectuelle, acteur vu et reconnu.
L’audiovisuel est le lieu privilégié du débat public. La revendication d’avoir sa place dans l’agora est fondamentale.
Le FASILD essaye d’avoir un rôle moteur, notamment avec ses accords avec France 3 mais aussi avec les autres partenariats en discussion.
Introduit par Zaïr Kedadouche, membre du HCI : comment donner plus de couleur aux chaînes de télévision en s’appuyant sur le talent ?
Etienne Mougeotte , directeur général de l’antenne de TF1 : il faut agir, c’est un des grands problèmes à résoudre dans les années à venir et nous n’avons commencé seulement il y a quelques années. C’est en 1998 que ça a basculé, après la victoire de l’équipe de France de foot et la visibilité d’une France black-blanc-beur.
Nous avons d’abord agi sur les producteurs de jeux télévisés en leur demandant d’avoir une politique volontariste dans les questions de représentation. La télé-réalité : c’est là où nous avons les résultats les plus probants (de Star Academy à la ferme aux célébrités etc.). Pour la fiction, c’est très difficile : les Blacks et les Beurs ont eu jusqu’à présent des rôles secondaires. Là aussi, une action sur les producteurs : comment dans les castings et les rôles attribués donner une place plus importante et positive aux représentants des minorités visibles ? C’est le début d’un processus. Il faut trouver des héros positifs comme Smaïn dans Cité Bastille.
Les casteurs nous disent qu’ils ont du mal à trouver des héros de fiction qui ont la quarantaine : les jeunes sont nombreux mais moins de cet âge.
LCI : tout un travail initié. TF1 : encore trop limité, nous nous heurtons à des réticences. Nous sommes encore loin du but dans toutes les institutions représentatives de la société.
Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6 : c’est notre intérêt ! Dès avril 88, on avait une campagne pour introduire le Cosby show : « le présentateur est noir, et d’ailleurs il n’est pas présentateur ». Naguy a commencé chez nous en mai 87 : c’est un rythme parfaitement naturel que nous souhaitons poursuivre.
Marc Tessier : la problématique pour la télévision publique est de passer du cahier des charges à une action positive et dynamique. Le sujet est sur la table de la télé publique depuis quasiment son origine : lutter contre les exclusions et les discriminations, refléter la diversité etc font partie du cahier des charges. Il faut lutter contre les stéréotypes dans les positions qu’on affecte aux différentes communautés. Si c’est seulement le foot ou des rôles toujours les mêmes dans les fictions, on va à l’inverse de ce qu’on recherche.
Deux axes :
– on veut non quantifier mais mesurer.
– je ne veux pas nommer : je n’ai pas à dire qu’il a été choisi parce qu’il est noir ou d’origine maghrébine : c’est à lui de le dire s’il le désire.
Nous avons créé dans chaque direction de programme une cellule qui a pour objet d’apprécier les actions engagées et de m’en faire régulièrement un compte-rendu pour que j’ai l’assurance que les choses sont en train de bouger. En termes de ressources humaines, même chose.
Il est important de travailler sur tout ce qui est jeux, émissions de télé de réalité où les gens s’expriment sur le plateau comme « ça se discute ». J’ai systématisé par un courrier la demande d’une véritable représentation. Côté fiction, nous avons engagé depuis plusieurs années une action avec les producteurs, en signifiant clairement que c’était un avantage.
Le feuilleton de France 3, Mistrals gagnants, sera emblématique.
Le documentaire sur les racines culturelles des différentes communautés seront plus nombreux. Nous avons fait la semaine sur l’intégration sur France 3. Nous voulons partir des thèmes qui nous sont donnés. Nous aurons l’intégration de Radio France Outre-mer cette année. Nous avons finalisé notre accord avec Sciences Po dans la formation des journalistes : compétence, capacité, compétition auquel il faut ajouter « coup de pouce ».
Philippe Harrouard, animateur du débat : tout le monde est contre les quotas, le piège est aussi l’alibi.
Etienne Mougeotte : on aura réussi dans le domaine de la fiction le jour où un rôle d’avocat, de médecin ou de flic sera tenu indifféremment par un Blanc, un Black ou un Beur.
Sur la question des écoles de journalistes, nous avons chaque année un prix Francis Bouyghes : la sélection des candidats est trop peu représentative des minorités visibles. Le directeur de Sciences Po est à ce sujet très en avance. Nous allons essayer de faire la même chose sur l’école de journalisme. C’est un travail en amont.
Marc Tessier : il n’y a pas de problème à prendre un présentateur important s’il a les compétences. Une trentaine de fictions ont été réalisées où les personnes des différentes communautés sont bien représentées.
Nicolas de Tavernost : dans la fiction pas de problème, avec le problème soulevé de trouver des acteurs pour les rôles de quarantaine. C’est plus dans les équipes qu’il faut mieux vivre la diversité.
Marc Tessier : faire un effort pour que la vie des communautés elle-même soit aussi à l’écran.
Philippe Harrouard : aux Etats-Unis, une campagne avait eu lieu contre une chaîne de télé qui n’utilisait pas assez de Noirs. Et dans la publicité : les publicitaires ont-ils leur mot à dire ?
Etienne Mougeotte : nous n’avons aucune influence sur le contenu des spots publicitaires. C’est eux qui décident.
Nicolas de Tavernost : on a une certaine influence par les héros que nous créons, certaines vedettes de télé-réalité ou de sport ayant ensuite des contrats de télévision.
Marc Tessier : nous sommes tous d’accord pour dire que cela ne diminue pas l’audimat. Il est fondamental que nos programmes reflètent davantage la carte de la fraternité. Certains communautés sont sensibles au fait qu’on focalise sur les autres (comme lors du voile) : il faut conserver la diversité.
Nicolas de Tavernost : Nos chaînes sont très regardées dans les pays du Maghreb. Je suis résolument opposé aux quotas.
Marc Tessier : en matière de recrutement, je n’ai à aucun moment à demander à quelqu’un son origine, je ne peux que la constater : le quota serait très difficile à mettre en place. Il faut un système d’appréciation.
Etienne Mougeotte : la sous-représentation nationale est une évidence et c’est à nous d’ouvrir la voie. Les quotas sont une absurdité et comment définir des pourcentages : c’est insensé. C’est un état d’esprit et une volonté, et nous l’avons, mais les freins existent. Je fais confiance aux diverses associations qui font leur travail d’aiguillon pour nous rappeler que c’est une priorité. C’est plus difficile dans l’information et la fiction mais c’est aussi une question de conviction. Je crois beaucoup à l’intégration et je ferai tout pour cela.
Nicolas de Tavernost : le mouvement naturel continuera. Nous avons beaucoup de mal à trouver des décideurs : il nous faut former les jeunes dans les unités de programmes dans les prochaines années.
Marc Tessier : Nous allons augmenter le nombre de stagiaires et contrat de qualification pour avoir un courant important dans les reportages.
3 h 30 en moyenne devant le poste de télévision pour chaque français ! L’audiovisuel doit être conforme à la réalité de notre société dans toute sa diversité. Une réunion commune du CSA et du HCI a eu lieu, notamment à la suite de l’article de Zaïr Kedadouche dans Le Monde.
Le problème est de se donner les moyens des principes : l’égalité républicaine sans distinction excluant toute juridiction d’un processus de communautarisation mais aussi une constitution indiquant que chacun doit trouver sa place dans notre société.
Le premier constat est qu’on observe une évolution mais elle est insuffisante car elle ne permet pas de rattraper le retard considérable accumulé en France dans ce domaine. L’image antenne n’est pas conforme à la réalité.
Les chaînes de télévision ont un contrat avec la Nation : cahier des charges arrêté par décret pour les chaînes publiques, contrats avec le CSA pour les chaînes privées. Deux nouvelles formulations : prendre en compte dans la représentation à l’antenne + promouvoir les différentes cultures.
Les dispositifs des décrets pour les chaînes publiques ne sont pas aussi explicites quant à la représentation à l’écran. La représentativité à l’antenne de la diversité des origines et des cultures doit y être inscrite.
Nous avons demandé à l’ensemble des chaînes de nous présenter chaque année un rapport sur leur façon de s’acquitter de cet objectif, dans le cadre de leur rapport annuel.
L’étude réalisée fait apparaître un modèle fort dans les pays anglo-saxons. Le régulateur canadien CRTC exige que les opérateurs rendent compte de leurs efforts en matière de recrutement. En Europe, les actions des régulateurs est encore trop peu développée. La commission européenne organise des rencontres et des recherches communes qui devraient déboucher sur des codes de conduite. Nous devons poursuivre, notamment avec la Grande-Bretagne qui a mis en place un système intéressant qui évite les quotas. La politique de recrutement des journalistes se joue aussi au niveau des écoles de formation. Le CSA doit jouer un rôle d’acteur vigilant et rappeler à l’ordre ceux qui ne tiennent pas compte de ces nécessités. Les médias audiovisuels ont un rôle de tout premier plan à jouer.
Rachid Arhab : j’ai tout d’un coup l’impression de ne pas avoir fait ce chemin pour rien !
Yamina Benguigui : les personnes existent mais elles n’arrivent pas jusqu’aux postes en question !
Jacky Dahomey, membre du HCI (Guadeloupe) : la République une et indivisible affirme une culture commune, contradictoire avec la diversité ? Pas tout à fait ! Une nation n’est pas seulement des principes mais aussi une vie : la République doit connaître son histoire coloniale. L’audiovisuel est le lieu où une nation se réfléchit et se donne à voir. La diversité culturelle ne réduit pas l’unité de la nation mais il faut une dynamique d’intégration permettant aux différentes cultures de coexister ensemble. La France a toujours été plurielle : loin d’apparaître un facteur de division mais d’unification.
Michèle Prodroznick, Tel France : je suis une productrice issue de l’immigration. La série PJ dès 1997 a des héros intégrés qui ne sont pas des bandits. On a un devoir citoyen à travers les fictions.
Fabienne Servan-Schreiber, productrice : J’ai entendu la bonne volonté de Monsieur Mougeotte mais, au moins avant 1998, les personnages issus de l’immigration n’étaient pas les bienvenus sur sa chaîne. C’est vrai que ça bouge mais ce sont toujours de grosses bagarres. Si le FAS ne m’avait pas aidé sur « Fruits et légumes« , la chaîne ne l’aurait pas prise. La volonté exprimée ce matin n’existe pas dans les étages inférieurs. La loi de l’audimat est dominante. On m’avait d’abord dit non sur Fatou la Malienne : mon interlocuteur avait peur que ça ne concerne pas tous les Français
Fatou l’espoir a moins bien marché (22 %), aussi pour des raisons de programmation. J’ai proposé à la chaîne de travailler sur une série qui parte de la vie quotidienne d’une famille immigrée. Ce ne sont pas les présidents de chaîne qui commandent les programmes.
Michèle Prodroznick : je trouve assez malsain de traiter des problèmes des communautés par des Français. Ne faisons pas nous le travail des gens qui doivent parler d’eux-mêmes ! Il faut travailler avec des auteurs issus de l’immigration. Peut-être écriront-ils plus tard des histoires françaises mais aidons-les pour le moment à parler d’eux-mêmes.
Yamina Benguigui : je fais partie de la première génération de cinéaste-productrice issue de l’immigration. Mon film Inch’Allah dimanche : un directeur de chaîne qui n’était pas présent ce matin m’a dit qu’on avait déjà » donné » à deux films algériens cette année : il m’a renvoyé à un quota alors que je suis française. Je ne trouve pas les financements pour faire mes films ! Cela commence maintenant sur la notoriété, notamment avec France télévision. Nos sujets font partie de l’Histoire de France et c’est ma façon de dire que j’appartiens à cette société. Toutes les chaînes ont refusé Mémoires d’immigrés. On me conseillait de mélanger pères, mères et enfants : on me refusait mon code culturel pour nous comprendre. Le CV d’un Africain avec sa photo va encore à la poubelle : il faut voir la réalité. On va engager des journalistes : ils s’autocensurent, c’est trop dur ! La première personne qui m’a donné une chance à qui je proposais un documentaire sur le raï avec Rachid Bouchareb était à Antenne 2 : ce directeur de programme était né à Sidi Bel-Abbes et c’était dans le scénario ! Ce sont toujours des histoires de coups de chance avec des gens qui partagent déjà une sensibilité ! Les CVs, ils arrivent chez moi ! Les acteurs de 40-50 ans, j’en connais plein ! Le public issu de l’immigration adore la télévision et on ne lui rend pas ! Il y a quelque chose à travailler dans ce sens.
Jacky Dahomay : la France doit évoluer vers une conception plus républicaine du Français ! Les télévisions privées ne doivent pas perdre de vue l’éducation citoyenne.
Michèle Prodroznick : on nous demande maintenant que les Beurs ou Africains ne soient ni voyous ni dealers. Mais il faut aller plus loin : montrer comment les gens vivent. J’ai proposé des fictions qui se passent par exemple à la Réunion où on aurait que des comédiens noirs : ce n’est pas encore passé ! Des films unicolores n’existent pas encore.
Yamina Benguigui : il faut tordre le cou aux préjugés. On me disait que si le directeur de la banque s’appelait Rachid, on croirait qu’il allait se passer quelque chose dans la banque.
Jean-Claude Dassier, directeur général de LCI : LCI n’est pas un modèle avancé de ce que peut faire le groupe. Je voudrais rendre hommage aux associations qui ont fait le siège. J’étais très attentif à la parité hommes-femmes mais pas assez à la question des minorités. On a pris conscience qu’on était pas au niveau : dans le domaine du visible mais aussi dans le contenu des reportages. C’est devenu important pour LCI : être impérativement à l’image de la société française. Le problème n’est pas qui j’embauche mais que je n’embauche pas : la situation économique est mauvaise. Les critères sont bien sûr au niveau du talent et de la compétence sans fixer des quotas, je regarde ça de près. Il y a encore des progrès à faire. Il est difficile d’échapper au manichéisme ambiant face au terrorisme international. Je trouve que le visage des télévisions a beaucoup changé ces dix dernières années.
Louis-Karim Nebati, comédien qui interprète Fabien Cosma : j’ai fait des cours de théâtre au départ et les rôles étaient toujours la caricature, les dealers, les flics, en tout cas liés à la couleur. Jouer un toubib n’était pas ce qu’on me proposait en général dans les auditions ! Pour Cosma, c’est l’audition qui a été déterminante, pas la couleur de peau. Je n’avais jamais fait de télé. Dans les castings, on a une étiquette liée à ce que les médias véhiculent. J’essayais de répondre à un rôle et ce que je peux y apporter, pas ce que je représente. J’arrive au casting avec la richesse de ma diversité (Algérie/berbère, Chti, Calvados etc.) et j’ai en face de moi des gens qui ne voient que ma couleur. Par contre, dans la rue, ce n’est pas la couleur qui sort : les gens me voient dans mon rôle .Quand j’étais petit, il y avait Greg Germain dans Médecin de nuit mais il n’avait pas le seul premier rôle. L’apparence ne veut rien dire.
Fabienne Servan-Schreiber : les télés veulent rassembler le maximum de téléspectateurs et essayent donc de parler à la majorité du public, par exemple les classes moyennes. Les Cités par exemple, c’est « segmentant » ! C’est l’audace, le risque et la volonté qui feront avancer les choses.
Kat Jean-Joseph, agent de comédiens : les directeurs de castings nous disent que la chaîne n’acceptera pas ou bien que le ton clair passerait mieux. On refuse les comédiens typés pour des publicités européennes. Au téléphone, on ne s’aperçoit pas que je suis noire et on me dit tout, par exemple que les tarifs varient si le comédien est noir ! C’est un racisme institutionnel.
Yamina Benguigui : je viens de terminer un documentaire, « Le Flacon de verre » sur la discrimination à l’embauche. Les CVs vont à la poubelle, ne serait-ce que par l’adresse si on vient de banlieue : le DRH ne veut pas prendre la responsabilité. C’est un apartheid invisible : si un homme est responsable de 50 ouvriers, c’est les syndicats qui vont ne pas l’accepter ! Certes, on entend que le quota n’est pas possible mais il faut combien de décennies pour faire bouger les mentalités ? S’il n’y avait pas eu l’affirmative action aux Etats-Unis, on en serait encore là. On pousse le curseur vers le communautarisme quand on indique à une Noire qu’elle ne peut avoir un poste commercial !
Nadia Samir, comédienne : les progrès existent mais c’est trop lent. Les comédiens existent : on ne peut être star du jour au lendemain car on a pas l’occasion de progresser. En sept ans de présence en tant que présentatrice sur TF1, j’ai reçu moins de dix lettres de protestations : le public est prêt !
Président d’Africagora : nous sortons fin juin un annuaire, une liste de compétences de tous niveaux et tous âges qui ne demandent qu’à bosser. Encore faut-il qu’on les choisisse.
Durant le déjeuner, la discussion a continué, animée par Olivier Poivre d’Arvor. Retenons l’intervention du nouveau ministre de la Culture : « C’est le cur absolu de ce que à quoi je crois qui vous réunit aujourd’hui : la diversité et le pluralisme. Une mobilisation est nécessaire pour que les écrans prennent les couleurs de la société française d’aujourd’hui. Il faut faire en sorte que la légitime reconnaissance de chacun ne mette jamais en péril le nécessaire ciment de notre République. Il y a ceux qui exigent une réparation sur l’hôtel de l’égalité mais le processus ne doit pas aller trop loin : nous devons respecter le rassemblement, l’unité et non pas l’affrontement. Dans un contexte de grande violence, nous sommes tous responsables et comptables du respect de l’autre, qui a vite fait de devenir un bouc-émissaire. Je tiens à insister sur la nécessaire exemplarité du service public pour l’émulation générale.
Ce à quoi répondait notamment Calixthe Beyala : Des émissions sur l’intégration ? C’est une façon de nous exclure ! Nous faisons partie de la communauté nationale. Nos thèmes sont ceux de la nation : pourquoi ne pas faire un grand film sur l’esclavage ?
Animé par Marc-Olivier Fogiel
Calixthe Beyala, écrivain, Collectif égalité : quand on a commencé ce combat, c’était au niveau de base de la communauté noire j’allais beaucoup dans les salons du livre et recevais beaucoup de lettres de jeunes de l’immigration qui se plaignaient de leur condition. Dans un salon, une femme blanche me demande de parler à son fils : un grand métis qui avait fait de bonnes études et qui ne pouvait pas trouver un travail. C’était en 1995. Un an plus tard, cette femme me ramène une rose rouge pour me remercier d’avoir permis à son fils d’avoir vécu six mois de plus car il s’était défenestré. Les images de la télévision n’étaient que négatives. J’ai commencé à interroger les chaînes et ai les mêmes réponses comme quoi il n’y avait pas de problème, que ça n’existait pas. J’ai attaqué directement le gouvernement et ai porté plainte contre M. Jospin et Mme Trautman. Depuis, la France évolue. Il a fallu que des gens comme Hervé Bourges fasse adopter un cahier des charges différent pour les télévisions.
Nadia Samir, comédienne : j’ai été speakerine alors que j’étais de nationalité algérienne, et avais accepté pensant que ça pourrait améliorer l’image de la femme arabe. Je ne suis pas pour les quotas et il faudrait que l’égalité républicaine s’applique.
Yazid Sabeg, Convention laïque pour l’égalité : il faut recruter tout de suite 10 ou 30 journalistes pour réduire cette discrimination, bien sûr sur le critère de leur talent.
Hichem Ben Yaïche, magazine Nouveau consommateur : le rapport de France télévisions n’aurait pas dû être seulement interne mais national. Il faudrait une convergence entre les médias.
Yazid Sabeg : les décrets n’ont pas été appliqués. La seule étude faite par Yvon Bourges en 2000 est effrayante et rien n’a évolué réellement. C’est faux statistiquement.
Calixthe Beyala : la discrimination positive est importante et doit être appliquée. Le Collectif égalité n’est pas accroché à une solution mais quelque chose doit être fait. Des choses avancent. Etienne Mougeotte nous a donné une liste de noms d’embauche. Cela doit passer par une forte volonté. C’est quand on porté les choses sur le plan économique qu’on a pu avancer. Monsieur Tessier nous a embarqué dans un magnifique discours républicain mais il n’y avait rien de concret. Il est encore au niveau de faire des commissions. La télévision publique en fait moins que les télévisions privées.
Cela fait longtemps que nous parlons d’égalité des chances : il faudrait que sur deux ou trois générations on installe des choses qui durent. Les minorités visibles ne sont pas vues comme des têtes pensantes. Les Français de souche blanche ne représentent pas la vision de la France à eux seuls. Cela ne m’intéresse pas de parler de l’intégration.
Yazid Sabeg : il faut changer les gens pour changer les choses ! Un recrutement privilégié qui ne remette pas en cause le talent et le mérite est nécessaire. Les objectifs doivent primer sur les modes opératoires.
Hichem Ben Yaïche : jamais l’écoute des responsables politiques n’a été aussi poussée. On entre dans le « comment faire » : il faut être le plus pragmatique et le plus opérationnel possible.
Yazid Sabeg : il faut que les textes s’appliquent. Je propose que soit créé un observatoire de l’intégration dans l’audiovisuel. Les quotas ne sont pas obligatoires : les Américains y arrivent avec de l’information bien ciblée et de vrais politiques d’ouverture.
Edouard Pelé, chargé de mission auprès de Marc Tessier pour que l’écran soit à l’image de la communauté nationale : un plan d’action positive a été mis en place pour favoriser l’intégration, avec la prise en compte de chacun pour mieux représenter la multiplicité française, et par ailleurs un volet social qui permettra une centaine de stages formant pour ouvrir aux minorités visibles d’entrer dans le personnel. Un accord est en cours de signature avec Sciences Po pour la formation de journalistes. C’est un coup de pouce sans discrimination positive ni de quota. Même dans la sélection des spectateurs des émissions, nous avons demandé aux producteurs de faire diligence.
Claudy Siar, RFI : je suis Antillais, ce pays est le mien, et un jour à mon adolescence je me suis rendu compte que la couleur de ma peau me priverait de certains métiers. J’ai deux enfants et tous les enfants issus de l’immigration sont mes enfants : ils nous diront : « qu’avez-vous fait ? ». Prenez des décisions concrètes.
Association Les Pieds dans le PAF, association de téléspectateurs : la loi n’est pas respectée le conseil consultatif des programmes devrait exister depuis l’an 2000 avec des téléspectateurs.
Kat Jean-Joseph : les quotas sont dans la tête et on nous dit qu’une fois que certains Noirs ont été engagés, on a atteint la limite. Pourtant, des émissions se font.
Jeannette Bougrab, membre du HCI : les choses n’avancent pas assez vite, beaucoup sont très attachés au principe républicain de l’égalité. Je suis convaincue que nous sommes sur la bonne voie.
Mohamed Bendjebbour, attaché audiovisuel au consulat de France à Los Angeles : en tant qu’attaché audiovisuel à l’ambassade de France, on m’a demandé d’informer le HCI sur la situation aux Etats-Unis. Il est faut de dire qu’il n’y a pas de quotas. La discrimination positive (affirmative action) est venue de la pression des associations sur les médias. Il y a aujourd’hui des leviers d’action aux Etats-Unis qui permettent davantage de visibilité : les syndicats d’acteurs, de réalisateurs, de techniciens mettent une clause de diversité dans chacune des conventions collectives signées : la société de diffusion doit autant que faire se peut représenter la diversité de la société américaine. Le fait de demander l’origine permet des statistiques.
Jean-Marie Charon, CNRS : l’absence est criante dans certains médias comme dans la presse des jeunes, la distorsion entre un discours qui se veut équilibré et les stéréotypes et symboles malveillants (le fait divers dans l’information est très marqué), le traitement d’information sur l’immigration est toujours dramatique (victime, auteur de fait divers, misère etc) : on ne permet pas aux communautés d’avoir une vision positive d’elle-même ou dans son image globale. Ne pas en parler est une nouvelle discrimination. Dans certains quartiers, des thématiques permettent de renouveler l’information: cela demande des moyens et des compétences journalistiques. La réponse des quotas n’est pas adaptée : les positions éditoriales doivent être clarifiées. Le problème n’est pas de donner de la couleur aux écrans mais de mieux traiter l’information sur les populations concernées. Il faut du good news pour les autres aussi. Je préfère les Britanniques à la référence américaine : Channel 4 avait donné une place aux minorités sur la scène britannique dans les années 80.
Jacqueline Rémy, l’Express : la profession de journaliste a été féminisée depuis longtemps mais pas aux postes de direction. Les choses se font petit à petit : je ne crois pas aux quotas. Appartenir à un sexe ou une culture n’est jamais une décoration. Il faut oublier qui on a en face de soi : un journaliste doit pouvoir traiter l’information de façon semblable, quelque que soit son origine. Mieux vaut aider dans le scolaire que de créer des filières à part.
Alain-Gérard Slama, Le Figaro : le modèle français, le creuset républicain, n’est pas remis en cause, c’est juste qu’il ne fonctionne pas très bien. On bourre le crâne des gens avec des notions de minorités, ce qui est réducteur dans la définition des personnes. L’identité enferme dans une appartenance et réduit. Il n’y a pas de discrimination positive à Sciences Po (où je suis professeur) mais il faut supprimer les discriminations négatives.
Jeannette Bougrab : si on reste sur le terrain ethnique, on échouera (du style émission religieuse pour couvrir la culture arabe).
Jean-Marie Charon : il n’y a rien de pire que des critères de sélection qui ne maîtrisent pas les réalités qu’ils mettent en uvre. Comment contrebalancer ? En redéployant les problèmes de blocage à l’accès, trouver des systèmes de dominantes, des critères de qualité et de talent qui ne soient pas seulement ceux qui sont actuels. C’est préférable au pourcentage. Les objectifs de la nation peuvent être affirmés plus forts pour faire suivre les décisionnaires. Personne n’est porte parole de qui que ce soit en tant que journaliste : ne croyons pas qu’il y ait une attribution spécifique des sujets !
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