L’exégèse historique n’est pas faite pour le plaisir mais pour favoriser les politiques éducatives des différents pays africains. Le livre édité doit pouvoir être regardé avec bienveillance même s’il vise à infléchir la politique du pouvoir.
Il s’adresse à des élèves de CM2 puisque le souhait des pays africains est qu’à la fin de leur scolarité élémentaire, les élèves, dont une partie ne poursuivra pas ses études, aient une connaissance de l’histoire de leur pays et des hommes à qui ils doivent cette indépendance. Mais, comme beaucoup ont des difficultés de lecture, notamment vis-à-vis des termes employés dans les manuels ou de la méthode d’investigation recherchée, il faut plutôt considérer que ce manuel sert au maître pour aider l’élève à s’approprier les connaissances qui s’y trouvent.
L’exemple des manuels CM-MEN et INEADE-EDICEF. Le principe initial est celui de faire des manuels scolaires écrits, illustrés, édités, et distribués par les Africains eux-mêmes pour le primaire, ce qui met sur la touche les éditeurs français qui tenaient autrefois le marché. Ceux-ci tendent donc de s’y réimplanter par la bande, en assurant l’impression, en proposant leurs services pour la formation des auteurs et des illustrateurs et le rewriting éventuel de leurs textes. Les Africains n’ont pas toujours les moyens ni la volonté de résister à des sollicitations qui sont bénéfiques et rémunératrices pour les auteurs. Cela peut jouer aussi sur des contenus concernant par exemple le rôle de la colonisation, ceci d’autant plus que les jeunes auteurs n’ont pas participé à l’histoire directe de cette époque.
L’appel à d’autres célébrités comme Ho Chi Minh, Nasser, Gandhi, Jomo Kenyatta ou plus près de la décolonisation, en pays francophone, Patrice Lumumba, resitue cette histoire dans l’émergence du Tiers-monde. Mais on demande à l’élève africain de faire des recherches sur ces grandes figures alors qu’il n’a ni les moyens ni la documentation nécessaire à sa portée.
Beaucoup d’enfants issus de l’immigration qui fréquentent ces établissements n’acceptent pas facilement de travailler sur des manuels français qui sont en contradiction avec ce que leur racontent leurs parents qui se sont créés une histoire de la colonisation et de la décolonisation qui vient parfois de ce que leur ont raconté leurs propres parents. Certains noms n’ont pas le droit d’être prononcés. D’autre part plusieurs des dirigeants au pouvoir en Afrique n’ont joué aucun rôle dans les processus de décolonisation et veulent le faire oublier. Aussi les professeurs renvoient cette question à la fin du trimestre. D’autre part les CDI manquent d’ouvrages sur cette question. Il faudrait réserver une partie de cette documentation à des ouvrages publiés par des éditeurs africains. La question est aussi celle de la formation des parents.
Sur ce point il s’est engagé un débat sur le fait qu’entre l’Allemagne et la France une histoire commune est en train de se mettre en place alors que ce n’est pas le cas entre la France et l’Afrique. Contestations. Le manuel franco-allemand a été un bouillon en matière d’édition sauf pour les classes européennes et si le manuel franco-africain reste à écrire, il suppose des apprentissages préalables difficiles notamment dans la reconnaissance du point de vue de l’autre. Il faut laisser place à l’intégration d’une histoire croisée des civilisations ce qui est un vaste programme
Est-ce qu’on tient compte des dernières découvertes sur les empires africains ? Ainsi dans l’ouvrage de Marianne Cornevin sur les secrets du continent noir révélés par l’archéologie (1998), on découvre que ce sont les Bantous qui ont inventé la métallurgie. On ne raconte pas la façon dont les explorateurs français ont été accueillis le plus souvent chaleureusement dans les royaumes africains. On n’explique pas assez aux Maliens ou aux Nigériens la formation de ces royaumes. Contestations. Le risque a déjà été pointé par Jacques Toubon de noyer l’histoire contemporaine dans une gigantesque histoire de l’Afrique. D’autre part l’étude des empires africains est au programme des collèges français.
On souligne que certains manuels démarquent sans vergogne des manuels antérieurs.
On souligne la fierté de ces élèves quand on étudie l’âge d’or de la conquête musulmane qu’ils relient à leur propre histoire culturelle. Mais pour ceux qui ont été scolarisés dans leur pays d’origine cette histoire est mal connue. Peu de familles par ailleurs s’y intéressent. Manque d’outils conceptuels de décodage.
Faire une histoire de l’Afrique au niveau scolaire est peu envisageable où il faudrait l’écrire comme un roman national. On se heurte à des difficultés comme la différence entre les statuts coloniaux qui relèvent en France de l’enseignement dans les classes de première ou de terminale scientifique. D’autre part la réduction drastique du temps consacré à l’histoire en France interdit de s’appesantir sur cette question. Contestations. Pourquoi enseigner l’histoire de l’Afrique dans les manuels français alors qu’on n’enseigne pas l’histoire de la Bretagne ou de l’Alsace ?
Il est rappelé les expériences manquées de la CONFEMEN dans ce domaine même dans des disciplines relevant de l’abstraction scientifique comme les mathématiques. Après des années de réunions en commission de travail, on découvre que les gouvernements ne veulent pas de ces manuels élaborés en commun par leurs représentants respectifs. A plus forte raison pour l’histoire où chaque pays s’intéresse d’abord à la sienne. D’autre part on ne peut négliger l’aspect économique du marché des manuels scolaires. Selon les différents pays, les manuels sont gratuits ou payants, publics ou privés, ou avec une concurrence entre les deux systèmes. L’histoire doit être segmentée parce que le marché est captif. Pour les éditeurs privés, le manuel scolaire, en raison de l’importance de son marché, est la locomotive économique et financière qui leur permet de produire d’autres ouvrages culturels indispensables : essais, biographie, romans, poésie, livres pour la jeunesse
Il est rappelé que le découpage géographique est hérité de la conférence de Berlin (1885) où les Africains n’étaient pas représentés mais que ni l’OUA ni l’UA n’ont remis en cause ce découpage
Il est regretté que Seydou Sow n’ait pas été là pour éclairer cette question à laquelle personne ne sait véritablement répondre.
Plusieurs pistes sont indiquées : Opifer et le Fonds nordique de Développement, l’ UNESCO, Cultures France, Afrilivres, l’Association des libraires francophones. Jean-Paul Gourévitch indique qu’il a créé avec l’INEADE en 2005 le premier fonds documentaire africain sur les manuels scolaires (plus de 400 ouvrages) mais qu’il a des doutes sur son état actuel et sur la poursuite de l’expérience. D’autre part, dans une première étape, ce fonds se présentait comme un échantillonnage des produits plus que comme un état des lieux. Bref, il manque un ouvrage synthétique de référence.
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