Engagé dans une association de culture professionnelle, les Clionautes, en charge de la Cliothèque qui assure la veille éditoriale pour ce qui concerne l’histoire et la géographie, je voudrais annoncer en préalable, que ce que je vais dire devant vous n’est pas l’expression d’un point de vue officiel,
> ni celui de mon association,
> ni celui de l’institution à laquelle je suis rattaché, à savoir l’Éducation nationale.
La réflexion que je vais vous livrer est le résultat de mon expérience personnelle de professeur du secondaire, même si j’ai pu mener par ailleurs d’autres activités dans l’enseignement supérieur et dans la presse écrite.
Depuis 1981, date qui a marqué le début de ma carrière d’enseignant du secondaire, j’ai assisté à plusieurs changements de programmes dans ma matière, l’histoire. Le premier changement que j’ai eu à vivre, comme jeune professeur agrégé en terminale au lycée Clémenceau de Montpellier a fait entrer l’histoire de la seconde moitié du XXe siècle au cur de nos préoccupations.
En effet, à la rentrée 1983-1984, le nouveau programme d’histoire et de géographie de terminale a commencé à traiter de questions plutôt sensibles, comme celle de la décolonisation, mais également de l’histoire du temps présent. (Voir illustration 1)
Si je me permets cette petite dérivation personnelle, si je vous parle de mon début de carrière au lycée Clémenceau de Montpellier, c’est simplement pour vous montrer à quel point la question de la décolonisation de l’Afrique en général, mais surtout de l’Algérie, a pu être délicate à traiter.
Le lycée Clémenceau de Montpellier, qui a été fondé en 1882, comme premier lycée de jeunes filles de France, (Il est devenu mixte dans les années soixante) se trouve situé dans un quartier de Montpellier où se trouvait, avant son déménagement en 2009, l’école d’application de l’infanterie. Ce lycée dessert le quartier de la Croix d’argent, dont le développement avait commencé en 1962, notamment avec l’accueil des rapatriés d’Algérie.
Cette situation géographique de l’établissement où j’ai commencé ma carrière, le changement de programme d’histoire, intégrant un chapitre sur la décolonisation, a eu des conséquences directes, sur la perception que j’ai pu avoir par la suite de la discipline que j’enseigne, du rapport particulier qui peut exister entre l’histoire enseignée et la mémoire collective des élèves qui nous sont confiés, et de leurs familles.
Pour en terminer avec cette introduction personnelle, je dirais simplement que dès la rentrée des classes, 1983-1984, j’ai eu à me préoccuper de la façon dont j’enseignerai la décolonisation.
Dès lors que certains parents d’élèves, rapatriés d’Afrique du Nord, et pour certains engagés dans des mouvements « pieds-noirs », des que sous-officiers et officiers de l’armée, ayant fait une partie de leur carrière en Afrique du Nord, se sont aperçus que la décolonisation « était au programme », des réactions se sont exprimées.
Certains parents d’élèves s’inquiétaient de la façon dont : « le professeur d’histoire de leurs enfants risquait d’enseigner la guerre d’Algérie. » Je vous rappelle d’ailleurs qu’à cette époque, on parlait encore des « événements d’Algérie », ou alors tout simplement d’opérations de maintien de l’ordre. Ces parents d’élèves souhaitaient, « exigeaient » plutôt, que le professeur que j’étais « dise la vérité », en l’occurrence « leur vérité » sur la guerre d’Algérie.
Pour ce qui concerne plus spécifiquement l’Afrique Noire, le problème s’est également posé, dans la mesure où ce quartier de Montpellier, accueillait également une population de cadres supérieurs dont une partie avait été partie prenante de la coopération. Dans ce domaine également, j’ai été confronté à des réactions de parents d’élèves qui avaient tendance à vouloir « raconter leur vécu », mais surtout à « confronter leurs mémoires » à l’histoire enseignée. Ici aussi les parents d’élèves, voire les élèves eux-mêmes insistaient sur des aspects très dévalorisants des populations locales. Le terme de « boys » était évoqué d’ailleurs de façon « naturelle » par ces jeunes gens et leurs familles.
Depuis cette époque, 27 années se sont écoulées. L’histoire de la seconde moitié du XXe siècle est toujours présente dans les programmes, il y a eu quatre modifications, sans parler des allègements, mais l’histoire de la décolonisation en fait toujours partie. Il est toujours fait référence à la décolonisation de l’Afrique Noire, mais le volume imparti à cette question, « la décolonisation de l’Afrique Noire », a été fortement diminué. Les autres questions aussi ont vu leur volume diminuer.
Dans le premier manuel que j’ai utilisé, un pavé de 511 pages, édité chez Belin, le sous-chapitre sur l’émancipation de l’Afrique Noire, représentait quatre pages, avec une typographie particulièrement dense.
Les directeurs de la publication sont les professeurs Lebrun, l’inspecteur pédagogique régional Zanghellini. Parmi les auteurs qui sont au nombre de neuf, on trouve sept universitaires, et pas des moindres, comme le professeur Jean-Jacques Becker ou le professeur Pierre Mélandri, et deux professeurs du secondaire seulement.
Dans cette introduction du chapitre six intitulé : « naissance d’un troisième monde », trois colonnes sont consacrées aux : « premiers remous en Afrique Noire » et l’on trouve notamment ce texte de Léopold Sedar Senghor publié le 1er juillet 1945 dans la revue Esprit, texte particulièrement violent, où l’on fait explicitement référence à la collaboration, avec un K à la vichyssoise. (Voir illustrations 2,3 et 4)
Je ferai remarquer que les auteurs des manuels choisissent toujours de mettre des titres aux documents qu’ils insèrent dans les leçons des manuels. Ces titres, lorsqu’ils ne sont pas simplement descriptifs, comme l’appel du 20 août 1953, lancé à la radio du Caire après l’enlèvement du roi Mohamed V, lors de la crise marocaine, ne sont pas très pertinents. Ils orientent le sens de lecture de l’élève qui fait la démarche de chercher à lire le texte au-delà du titre.
Le titre qui a été donné à cet extrait : « les aspirations des « Négro-Africains » est enrichi de guillemets pour « Négro-Africains », l’utilisation du terme nègre étant entachée de racisme, ce qui n’était pas forcément le cas en 1945, et en aucune manière pour Senghor. Je peux vous dire qu’aujourd’hui, un tel titre ne serait pas utilisé, même avec des guillemets.
Cette introduction à la situation en Afrique Noire au lendemain de la seconde guerre mondiale ne prend d’ailleurs pas en compte le discours de Brazzaville. Ce que l’on voit par contre dans les éditions plus récentes. Par contre, dans au moins deux manuels et notamment celui que j’ai utilisé, on évoque la situation au Kenya, y compris la révolte des Mau Mau de 1952 à 1956.
Dans l’un des deux manuels publiés à cette époque, je pense que c’était aux éditions Bordas, on utilisait même cette photo. (Voir illustration 5)Waruhiu Itote, alias « Général China », sur le banc des accusés à Nyeri.
Concernant les colonies françaises, la révoltede Madagascar en 1947, est très rapidement évoquée, par contre on insiste beaucoup plus sur une évolution politique pacifique et tout particulièrement sur le fait que Félix Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire et Léopold Senghor au Sénégal « n’en sont pas à demander l’indépendance ni même l’autonomie. Ils revendiquent seulement plus de dignité et d’égalité pour les Africains, dans le cadre de la république française. »
On développe d’ailleurs également dans cette partie la loi-cadre de Gaston Defferre, de 1956, on rappelle d’ailleurs dans le corps de la leçon que cette loi-cadre donne un véritable pouvoir législatif aux assemblées locales, et que des conseils de gouvernement locaux sont formés, et que ces territoires africains disposent d’une autonomie à peu près complète.
J’en profite d’ailleurs pour vous montrer quelle était la longueur des textes que l’on intégrait dans les manuels. Cet extrait de l’ouvrage de Henri Grimal, la décolonisation, publié en 1965 chez Armand Colin, donne une idée de ce que cela pouvait représenter il y a moins de 30 ans. Plus personne aujourd’hui ne pourrait envisager un élève à peu près normalement constitué puisse lire un texte d’une telle densité sur un point assez limité du programme. De plus dans les séries scientifiques la Quatrième République a disparu il y a quelques années.
J’insisterai également sur les particularités des découpages des grandes lignes du programme à cette époque. La partie dont je viens de traiter se situait dans un chapitre intitulé : « naissance d’un troisième monde ». On traitait dans ce chapitre la crise des empires coloniaux, la première vague de décolonisation, qui concernaient essentiellement l’Asie, et ce dont nous avons parlé tout à l’heure, les premiers remous en Afrique Noire. La partie sur les indépendances à proprement parler, se trouve intégrée dans un chapitre intitulé : « le temps du défi : 1957-1968 », dans lequel on associe aussi bien l’évolution du monde communiste avec Khrouchtchev et Mao, Kennedy pour les États-Unis, Nasser pour la libération du monde arabe et De Gaulle pour la France et son rang.
Après avoir étudié les quatre messianismes, pour reprendre le titre choisi par les auteurs du manuel, on évoque successivement l’épreuve des faits avec les limites des politiques évoquées plus haut, et la guerre du Vietnam. L’Afrique est traitée dans une partie à part, elle est intitulée : « l’Afrique s’éveille ».
L’Algérie est traitée à part, tout comme « l’émancipation de l’Afrique Noire ».
Dans cette quatrième partie consacrée à l’Afrique, deux sous parties opposent la décolonisation pacifique d’une part, les guerres civiles d’autre part. Je reviens sur le volume important consacré aux indépendances africaines, et plus précisément aux indépendances des états de l’Afrique subsaharienne. Pour ce manuel que j’ai choisi à titre d’illustration, et que j’ai effectivement utilisé au début de ma carrière, le contenu n’était pas négligeable.
Un jugement était également porté sur ses états d’Afrique noire qui accédaient à l’indépendance au tout début des années 1960. Si l’on met en avant la décolonisation pacifique de l’Afrique Noire française, en tout cas c’est ainsi qu’elle est montrée, les auteurs du manuel évoquent avec beaucoup de précision les guerres civiles, puisque c’est ainsi qu’elles sont qualifiées, qui ont ensanglanté certains états africains au lendemain des indépendances. On utilise à ce propos le terme de génocide, pour qualifier les combats et leurs conséquences qui ont opposé les pouvoirs centraux issus des indépendances et des transferts de souveraineté avec les puissances coloniales et les tendances séparatistes ou sécessionnistes. Notons d’ailleurs que cette époque, en 1983, lorsque ce manuel a été publié, des combats avaient lieu au Tchad, en Angola, au Mozambique. Les auteurs font d’ailleurs un rapprochement avec les guerres de sécession qui ont touché le Congo ex-belge et le Nigéria.
Les auteurs de ce manuel évoquent d’ailleurs très largement le cas du Congo belge en présentant les différentes parties en présence. L’Abako et son chef, Kasavubu, partisans du fédéralisme et du maintien de la présence belge après l’accession à la souveraineté s’opposent au mouvement national congolais de Patrice Lumumba. Les conflits qui affectent le pays sont présentés comme une guerre de sécession. La proclamation de l’indépendance du Katanga par Moïse Tshombé, présenté comme : « l’homme de paille de l’union minière » est évoquée. Les auteurs du manuel mentionnent même la sécession du Kasaï, et même la proclamation comme empereur de Albert Kalondji, chef des Balubas du sud, le 20 août 1960. Mobutu qui était le chef d’état-major du premier gouvernement est explicitement accusé d’être responsable de la mort de Patrice Lumumba le 14 février 1961. Sa reconquête progressive du pays s’accompagne de l’instauration d’un pouvoir personnel avec la fin de la guerre civile en décembre 1967. Le pays prend alors le nom de Zaïre. Mobutu exerce alors le pouvoir jusqu’en mai 1997. Il a été l’homme des occidentaux, mais son refus de partager le pouvoir a fini par entraîner sa chute et sa fuite. Mobutu Sese Seko meurt le 7 septembre 1997 à Rabat quatre mois après son renversement et l’accession au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila, père de l’actuel chef de l’État congolais (2008), Joseph Kabila.
L’indépendance du Nigéria est traitée sous l’angle du conflit du Biafra qui éclate cinq ans après l’indépendance, celle-ci ayant été proclamée le 1er octobre 1960. La responsabilité de l’ethnie Ibos dans le déclenchement du conflit est explicitement évoquée. L’indépendance du Biafra est proclamée le 1er juin 1967 et les auteurs du manuel évoquent cette guerre civile qui dure trois ans et qui cause 1 million de morts.
Les auteurs soulignent que le Biafra reçoit un soutien de la France, d’Israël, du Portugal, de la Chine, de l’Afrique du Sud et de la Rhodésie, tandis que le gouvernement fédéral de Lagos reçoit un soutien de la Grande-Bretagne, de l’URSS et de ses satellites. Le conflit du Biafra a été à l’origine de l’engagement de l’action humanitaire de jeunes médecins français qui ont fondé par la suite l’organisation Médecins sans frontières.
Comme on peut le constater, au terme de cette rapide analyse d’un manuel qui était utilisé au début des années 80, les volumes de connaissances transmis pouvaient apparaître comme assez considérable. Il est clair que l’accès à la lecture a beaucoup évolué depuis mais également les perceptions globales.
Les manuels des années 80 traduisaient directement ou indirectement des préoccupations que l’on pourrait qualifier de « tiers-mondistes ». On notera d’ailleurs que dans le chapitre que je viens d’évoquer il n’est pratiquement pas question de l’action des États-Unis.
Dans les manuels actuels, et particulièrement ceux de géographie, dès qu’il est question de l’Afrique subsaharienne, les auteurs insistent sur la tentative de renforcement de l’influence Étasunienne sur le continent, tout comme ils mettent l’accent sur la pénétration économique, politique, diplomatique de la Chine. On notera d’ailleurs la réactivité des auteurs de manuels scolaires qui est générale. Les éditeurs et les auteurs font à cet égard de gros efforts.
Depuis cette époque, les programmes ont évidemment évolué. Pour ce qui concerne les classes de terminale, ils ont été allégés de toute la partie sur la seconde guerre mondiale transférée au niveau précédent c’est-à-dire en classe de première, ce qui a d’ailleurs suscité des réactions des associations d’anciens combattants.
Mais ils ont été aussi allégés de leur contenu
Si nous comparons les pages précédentes du Belin 1983 avec celles du Magnard 2008 qui vous ont été fournies, la différence est très nette. L’Afrique est peu traitée, c’est le moins que l’on puisse en dire. (Voir illustration 6)
En réalité, certains manuels font preuve d’originalité. Dans le chapitre du programme « la France dans le monde », il n’est pas rare que l’on évoque le terme de « Françafrique », dont on nous annonce la mort à chaque changement de locataire de l’Élysée, de Matignon, du Quai d’Orsay, de secrétaire d’État à la francophonie où à la coopération. Vous remarquerez que c’est une longue agonie quand même !
Je vous montre d’ailleurs cette page du Magnard, explicitement consacrée à Jacques Foccart. Les questions sont très explicites, comme vous pouvez le constater et visent à conduire les élèves à s’interroger sur la notion de néo-colonialisme. On ne trouvait pas forcément cette notion au début des années 1980.
À ce propos, je vous cite en annonce de parution pour ce mois de décembre, Les dessous de la Françafrique LES DOSSIERS SECRETS DE MONSIEUR X (POCHE), par Patrick Pesnot, aux éditions du Nouveau Monde. (Voir illustrations 7)
Comment s’est faite la transition entre le « pavé » de 1983 et la version ultra light de 2008 ?
Et bien, les documents qui vous ont été remis vous en donnent une idée assez précise.
Depuis 2002, des allègements ont été introduits
Mais nous sommes toujours, avec les manuels de 2004 et ceux de 2008 dans le même cadre. Celui de ces programmes de 2002 en cours de refonte aujourd’hui.
Pour les deux années qui nous restent, avant la mise en uvre de ces programmes, qui je ne vous le cache pas, suscitent l’inquiétude pour ne pas dire plus dans la profession, nous continuons à vous présenter la décolonisation, en Asie, en Afrique du Nord, et en Afrique Noire.
Quelques remarques méthodologiques tout d’abord, avant de revenir à l’examen de quelques manuels.
Depuis le début des années 80, les auteurs de manuels ont été « formatés », par l’ouvrage du type manuel universitaire, publié en 1965 par Armand Colin, Henri Grimal : la décolonisation 1919-1963.
Cet ouvrage obéit au découpage suivant :
I – La décolonisation de l’empire britannique
a) La décolonisation par la négociation
b) La décolonisation par la lutte armée
II – La décolonisation de l’empire français
a) Les indépendances négociées
b)Les indépendances arrachées
Dans l’ouvrage cité plus haut, on donne également des précisions sur l’indépendance de l’Indonésie, colonie néerlandaise, et sur celle du Congo Belge. Pour ce qui concerne la décolonisation de l’Angola, du Mozambique, de la Guinée-Bissau et des îles du Cap-Vert, possession portugaise, la question n’est pas d’actualité au moment où l’ouvrage a été publié.
On retrouve ce découpage dans tous les manuels, du collège comme du lycée. La nécessaire simplification aboutit parfois à des présentations un peu schématiques. Les élèves ont l’impression que toutes les indépendances au sein de l’empire britannique se sont déroulées par la négociation, tandis que celles qui ont été conduites par la France ont eu comme conséquence une guerre coloniale. Nous sommes bien d’accord pour nuancer ce propos, et notamment pour les indépendances dans l’Afrique sub-saharienne. Mais cela ne fait pas pour autant de ces indépendances, dans des pays qui ont, pour la majorité d’entre eux, maintenu des liens très forts avec la France, de pacifiques transferts de souveraineté.
En 2004, si nous prenons par exemple un ouvrage assez austère, le Bertrand Lacoste, qui fait partie des exemples qui vous ont été distribués et que j’utilise aujourd’hui dans une classe de terminale S au lycée Henri IV de Béziers, nous pouvons constater que l’accès à l’indépendance des colonies de l’Afrique Noire obéit strictement au découpage de l’ouvrage d’Henri Grimal.
On retrouve la division entre les indépendances négociées et les indépendances arrachées. La décolonisation de l’Afrique Noire est traitée dans le cadre des indépendances négociées, même si les cas particuliers du Kenya, de la Rhodésie, et du Congo Belge sont spécifiquement évoqués.
Le moins que l’on puisse en dire c’est que le traitement est plutôt rapide. Dans le texte on cite le leader de l’indépendance ghanéenne, on fait explicitement référence au discours de Brazzaville qui est d’ailleurs l’objet d’une étude de texte spécifique dans le même manuel, on évoque le personnage de Patrice Lumumba, mais parfois avec des simplifications réductrices, comme cette petite note qui présente le leader du mouvement national congolais comme un martyr de la cause anticoloniale.
Force est de constater, lorsque l’on connaît un petit peu l’histoire du Zaïre, et de l’accession au pouvoir de Mobutu, que ce n’était pas aussi simple.
Parmi les démarches intéressantes, on pourra citer l’éditeur Bréal également présenté dans votre dossier, qui a la particularité de proposer deux éditions différentes de l’ouvrage, l’une destinée aux séries scientifiques, l’autre pour les séries littéraires et économiques et sociales. Dans les deux éditions, l’Afrique Noire reçoit un traitement assez étoffé. Le Ghana est toujours cité comme un modèle d’indépendance négociée, le Kenya comme la Zambie comme des exemples de décolonisation « douloureuse ».
Les colonies françaises bénéficient d’une décolonisation concertée « grâce à l’action de Léopold Senghor pour le Sénégal et de Houphouët-Boigny ni pour la Côte d’Ivoire« . Dans les deux éditions, le Congo Belge fait l’objet d’un traitement en sept lignes, qui se termine par l’instauration de la dictature de Mobutu en 1965. Ce qui est intéressant en revanche dans ce manuel, c’est l’évocation dans la continuité du chapitre sur la décolonisation de l’Afrique australe.
Dans les autres manuels, l’évolution de certains pays de l’Afrique australe est plutôt intégrée dans la période de la guerre fraîche et présentée, notamment dans le Bertrand Lacoste que nous avons cité plus haut comme un élément de la progression de l’influence soviétique dans le tiers-monde. Dans le manuel Bréal, même si l’on parle de guérilla marxiste, « appuyée, par Cuba et l’URSS », on opère le lien avec la situation au Zimbabwe et en Afrique du Sud.
Les manuels de 2008 comme celui proposé par Nathan, ou Hatier, pour prendre les exemples qui vous ont été fournis, apparaissent comme beaucoup plus légers du point de vue du contenu.
On retrouve toujours, notamment dans le Nathan, la référence à l’indépendance négociée du Ghana. Mais le classement des différents types de décolonisation s’éloigne de la division observée dans les éditions précédentes, entre les indépendances négociées et les indépendances arrachées. On notera également que le rôle des grandes puissances, l’URSS et États-Unis a tendance à s’effacer, même si dans le Magnard, on retrouve une référence explicite à l’ouvrage de Grimal qui présente en préalable : « le rôle décisif du contexte international, » et notamment le jeu des États-Unis et de l’URSS.
J’attirerai également votre attention sur un autre ouvrage parmi ceux dont on nous a proposé des extraits, le Nathan édition 2008, sous la direction de Guillaume Le Quintrec. Cet ouvrage qui a eu un certain succès a été rédigé par neuf auteurs différents, même s’ils sont géographiquement très proches. Huit sur neuf sont situés à Paris et dans la proche banlieue, un seul d’entre eux exerçant à Montpellier. Sur les neuf auteurs, cinq sont professeur en classes préparatoires, et trois d’entre eux au lycée Henri IV de Paris. La répartition des équipes de rédacteurs n’est pas forcément anodine, même si l’on n’a pas pu en constater directement les effets au niveau de la forme comme au niveau du contenu.
Pour ce qui concerne cet ouvrage, parmi les documents qui nous ont été proposés, nous retrouvons cette photographie de manifestations qui se déroulent à Léopoldville au moment de l’accession du Congo Belge à l’indépendance. La photo sur une demi-page permet de lire sans difficulté le texte des deux panneaux portés par les manifestants.
(Voir illustration 8)
Le questionnement qui est proposé pour les deux illustrations de la double page, la seconde photo étant une prise de vue à l’intérieur de la salle lors de la conférence de Bandung, vise à interroger les élèves sur les objectifs de la décolonisation.
Sur la photo qui est ici présentée on insiste sur l’aspect modéré de la revendication du moins au niveau des formes d’action. Nous avons de jeunes gens qui dans l’ensemble présentent plutôt bien et qui défilent en rang, pratiquement au pas. « L’année 1960 doit être la fin de la colonisation en Afrique », semble être la revendication la plus importante, avec une référence nationale, « le Congo aux Congolais ».
Les pages suivantes de ce manuel associent, et cela nous paraît d’ailleurs pertinent, l’environnement international dans les années 50 et la décolonisation. La carte qui se trouve sur une double page donne le détail des états africains mais ne précise pas à quelle métropole les territoires qui accèdent à l’indépendance étaient soumis. Les auteurs introduits également une précision qui nous paraît intéressante, la guerre d’indépendance est différenciée des conflits nés de la décolonisation. Cela peut s’expliquer par la présence d’une carte des empires coloniaux en 1945 qui se trouve à gauche. (Voir illustrations 9 et 10)
Au niveau du contenu, dans la partie qui est explicitement consacrée au cours, la division se fait sur la base de la chronologie :
la première partie est consacrée à l’émancipation des peuples dominés entre 1945 et 1954,
la deuxième partie est consacrée spécifiquement à la décolonisation de l’Afrique, entre 1955 et 1970
L’Afrique Noire qui ouvre la seconde partie du chapitre est traitée en 20 lignes. (Voir illustration 11)
Les documents proposés en juxtaposition de cette leçon présentent pour deux d’entre eux la situation au Maghreb, avec un extrait du discours de Carthage, prononcé par Pierre Mendès-France, et une photographie de l’occupation militaire en Algérie, prise en 1957 pendant la bataille d’Alger. (Voir illustration 12)
Le seul document spécifiquement consacré à l’Afrique Noire est ce timbre commémoratif de l’indépendance du Cameroun, qui est assorti d’une notice de cinq lignes qui retrace le passage du statut de colonie allemande, partagée en 1922 entre la France et le Royaume-Uni, avec un statut de mandat de la société des nations, à l’indépendance du mandat français le 1er janvier 1960. On précise également que le mandat britannique a lui-même été partagé en février 1961 entre le Nigéria et le Cameroun.
Par contre, pour ce qui concerne l’indépendance du Cameroun lui-même, on ne trouve pas de références. C’est dommage car cela aurait peut-être remis en cause cette idée d’une indépendance tranquille des colonies d’Afrique noire française. La mort de Ruben Um Nyobé en 1958, au terme d’une intervention militaire encore obscure n’est pas non plus évoquée. Sur le Cameroun, qu’il me soit permis de citer l’ouvrage de Mongo Béti, réédité aux éditions La découverte en 2009, et surtout d’annoncer, toujours chez ce même éditeur dès janvier 2011, un Kamerun ! 1948 – 1971, par Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsita.
Ces auteurs parleront d’une guerre coloniale secrète, entre 1955 et 1971, qui relativise s’il en était besoin cette idée d’une décolonisation tranquille de l’Afrique noire française.
Pour en revenir au manuel, le texte qui est mis en avant et un rapport confidentiel de la commission du Commonwealh, daté du 21 janvier 1954, qui montre les conceptions britanniques face à la décolonisation. (Voir illustration 13)
Très clairement, au terme de cette analyse des manuels on peut constater que la question de la guerre d’Algérie occupe une place de plus en plus importante si on la compare à ce qui a pu se passer en Afrique Noire.
Cela peut s’expliquer de plusieurs façons. Nous y reviendrons après avoir examiné le cas particulier du collège.
Après ce rapide examen des questions liées au lycée, et avant que l’on fasse un bilan, il convient d’examiner la situation au collège. Je rappelle que le collège qualifié d’unique est censé accueillir la quasi-totalité des jeunes entre 11 et 15 ans. C’est donc véritablement à ce niveau que se situent les apprentissages communs des jeunes. Les questions qui nous préoccupent sont traitées dans le cadre de la classe de troisième.
Dans les manuels du collège, quel est l’état des lieux ?
Actuellement voici les programmes du collège en vigueur
> De la guerre froide au monde d’aujourd’hui (relations Est-Ouest, décolonisation, éclatement du monde communiste) (7 à 8 heures)
> 2. Géographie politique du monde (2 à 3 heures)
Les principales étapes de l’évolution des relations internationales depuis 1945 (monde bipolaire, décolonisation, construction de l’Europe, dislocation des blocs) sont présentées en mettant en évidence les facteurs qui conduisent de la bipolarisation au monde d’aujourd’hui. L’étude ne peut être exhaustive, pour les affrontements Est-Ouest on se limite à l’exemple de l’Allemagne et de Berlin ; pour la décolonisation aux exemples de l’Inde et de l’Afrique française. Pour l’étude de la géographie politique du monde actuel, la notion de frontière (politique ou culturelle) sert de fil conducteur : multiplication des frontières d’une part (résurgence des nationalismes et des conflits locaux), tendance à l’effacement des frontières d’autre part dans le cadre des organisations régionales et mondiales. Documents : extraits de la doctrine Truman et de la doctrine Jdanov. Discours de J.F. Kennedy devant le mur de Berlin : « Ich bin ein Berliner » (23 juin 1963). Un témoignage sur la décolonisation.
Vous remarquerez que dans ce domaine, la décolonisation s’inscrit dans une présentation globale qui associe, selon les instructions officielles, l’histoire et la géographie.
> Élaboration et organisation du monde d’aujourd’hui (19 à 23 heures)
>De 1945 à nos jours : croissance, Géographie du monde La liaison étroite entre le programme d’histoire et celui de démocratie, inégalités (10 à 12 heures) d’aujourd’hui (9 à 11 heures) géographie constitue la spécificité de cette seconde partie.
Quelle est la traduction de ces instructions sur les manuels qui nous sont proposés ?
Dans la mesure où au collège c’est un seul manuel qui couvre l’histoire la géographie, les transferts entre les deux matières sont facilités. Les différents auteurs de manuels ne se sont pas privés d’utiliser l’association entre une carte qui présente les étapes de la décolonisation de l’Afrique, avec quelques différences selon les éditeurs et selon les éditions.
Si nous prenons par exemple l’éditeur Bréal, édition 2003, nous constatons que cette partie commence avec une présentation générale sur la décolonisation, et le cas spécifique de l’Afrique française est traité dans les pages suivantes sous forme de dossier documentaire, cela désigne un ensemble de textes, une carte et un document iconographique, qui précède plusieurs questions.
Ces questions sont destinées à être utilisées en classe, elles reprennent pour le cas que nous avons sous les yeux, l’étude d’un ensemble documentaire, c’est-à-dire la forme de l’un des types de l’épreuve d’histoire et de géographie du baccalauréat. On notera également toujours à propos de cet éditeur de cette édition, que la carte ne montre que la décolonisation de l’Afrique française. C’est d’ailleurs annoncé dans le titre.
(Voir illustrations 14 et 15)
Dans l’édition 2007 du Hachette on trouvera au contraire une vision plus globale du processus de décolonisation. La décolonisation de l’Afrique Noire française est traitée en quatre lignes, en s’appuyant sur une carte sur laquelle nous pourrions poser quelques questions. Il fait également référence aux affrontements au Kenya. La révolte des Mau Mau est présentée également avec une photographie et le texte d’une chanson. Je reviendrai d’ailleurs sur cette carte qui se trouve à la page 157, dans le chapitre huit de ce manuel, la construction politique du monde d’aujourd’hui.
Cette carte met en avant par le jeu des couleurs les différentes voies de l’indépendance, selon que celle-ci ait été acquise par une guerre de libération ou après des troubles graves. On remarquera que le Zaïre qui n’existe pas en tant que tel en 1960 est censé n’avoir connu que des troubles graves. Ce qui n’est pas tout à fait inexact puisque le conflit séparatiste a commencé après l’octroi de l’indépendance par la Belgique. Toutefois, on notera également que cette carte mentionne de façon spécifique les colonies françaises par un tracé de couleur bleue, les possessions coloniales des autres pays sont ignorées. (Voir illustration 16)
Dans les pages suivantes qui s’inscrivent toujours dans la même logique, celle de l’étude d’un support documentaire on trouve comme texte le même extrait de Léopold Senghor du 1er juillet 1945, que nous avions relevé dans un manuel de classe terminale et cette grande photo sur une demi-page qui montre une manifestation au Sénégal lors de la venue du président de la république française en 1947. (Voir illustration 17)
On peut supposer que cette photo qui est d’une taille qui permet de lire sans difficulté les slogans sur les banderoles a pour fonction de permettre le questionnement suivant : quelles sont les revendications des Sénégalais à l’égard de la France ? La question est posée à la fois sur la photo mais également sur le texte de Léopold Senghor qui évoque comme revendication l’égalité. Pour ce qui concerne la photographie, il est clair que la réponse attendue est celle de l’indépendance immédiate mais également la revendication de la confédération multinationale avec la France. En ce qui concerne la deuxième revendication, la nation fédérale africaine, cette notion serait difficilement explicable à des élèves de troisième, d’autant plus qu’elle n’a pas trouvé le moindre début d’application en 1960.
Sur l’ensemble des documents concernant les manuels de collèges qui vous ont été fournis, on peut constater qu’ils suivent à la fois le programme mais également ce plan de référence que l’on trouve dans le Grimal, qui oppose les indépendances négociées et les indépendances arrachées. On retrouve cette articulation dans la partie : « retenir » du manuel Belin 2007.
Aux négociations en Afrique Noire, on oppose la négociation et la guerre au Maghreb.
Dans l’échantillon documentaire qui vous a été fourni, on remarquera que les auteurs de manuels de collège reprennent souvent les mêmes documents. On retrouve parmi les leaders indépendantistes la même photo de Ho Chi Minh, dans le Hatier, mais également dans le Hachette. Pour l’Afrique Léopold Senghor est présent dans le Nathan, le Hatier et le Belin. Le texte de Senghor de 1945, se retrouve encore une fois dans le Bréal et dans le Hachette. Il est également présent avec un extrait des Cahiers de la République publiés en octobre 1958 dans le Nathan et dans le Hatier.
Les textes qui sont proposés sont destinés à servir de support à un questionnement permettant de réaliser ce que l’on appelle traditionnellement le cours dialogué à partir de documents dont les élèves disposent. Le but final est d’obtenir que les élèves eux-mêmes par un processus de questions / réponsesconçoivent, sous la direction de leur professeur, leur propre synthèse, que l’on peut retrouver dans certains manuels sous forme de : « retenir » comme dans le Belin ou sous forme de questions sur des exercices destinés à réviser, comme dans le manuel de chez Hachette.
Sur la question des indépendances africaines, la finalité de ce programme semble être de rappeler que la France a été présente en Afrique noire, et que dans la plupart des cas, elle a été en mesure de conduire un processus de décolonisation de façon négociée pour aboutir à la situation de 1960.
Toutefois le passage de la communauté française en 1958 à l’indépendance est très rarement mentionné. Cela est vrai au collège et de plus en plus en terminale. Le statut de la Communauté, qui était le projet du général de Gaulle, à savoir le Commonwealth à la Française, est seulement évoqué dans les parties consacrées à la Ve République, et cela se vérifie au collège comme au lycée.
On notera au passage que le cas de la Guinée que l’on appelait alors Conakry n’est pratiquement plus évoqué. Après avoir été membre de la fédération de l’Afrique Occidentale française (AOF) depuis 1904 et avoir obtenu une autonomie administrative relative en 1956, la Guinée rejette la proposition d’entrer au sein de la Communauté française et proclame son indépendance le 2 octobre 1958.
Le Parti démocratique de Guinée (PDG) d’Ahmed Sékou Touré est au cur de la marche vers l’indépendance qui s’accélère à partir de 1958 avec la proposition de nouvelle Constitution présentée par le président français Charles de Gaulle. Lors du référendum du 28 septembre 1958, les Guinéens sont les seuls à refuser, et ce dans une proportion de 95 % (1 136 324 oui, contre 56 981 non), de joindre la Communauté française. L’indépendance est proclamée le 2 octobre, entraînant une rupture des liens administratifs et financiers entre la Guinée et la France qui retire ses cadres et ses crédits.
SI nous résumons notre propos, il y a une certaine homogénéité dans le traitement de la question. Dans le même temps, peut-être pour marquer une certaine différence, certains auteurs de manuels choisissent des cas ou des exemples moins connus, qui sortent d’ailleurs des cadres géographiques du programme tel qu’il a été conçu.
Il faut savoir que les manuels sont choisis par les équipes pédagogiques, avant d’être mis à la disposition des élèves par l’intermédiaire du conseil général au collège, du conseil régional dans les lycées. Ces choix sont souvent faits dans l’urgence, entre le moment où les spécimens arrivent et celui où la commande passée par la collectivité territoriale doit être effectué.
Les auteurs des manuels, mais surtout les directeurs d’édition sont extrêmement sensibles à l’idée qu’il faille à la fois marquer une certaine originalité, et en même temps faire en sorte que les professeurs puissent trouver des documents avec lesquels ils ont une certaine familiarité.
L’utilisation de ces manuels peut être extrêmement variable d’un enseignant à l’autre. C’est d’ailleurs l’utilisation par l’enseignant qui va déterminer l’usage de l’élève. Le manuel est le plus souvent utilisé dans le cadre de la classe comme support de documents. Il l’est à l’évidence beaucoup moins dans le cadre de l’apprentissage personnel de l’élève. Les professeurs de collège font noter au fur et à mesure ou en fin de leçon ce que l’on appelle une trace écrite, une sorte de résumé, même s’il ne faut pas prononcer ce mot, auxquels les élèves devront se référer lors de leur apprentissage de la leçon. Il est extrêmement difficile d’obtenir d’un élève de collège, voire d’un élève du lycée qu’il utilise simultanément son cahier de cours et son manuel. Paradoxalement, les élèves de collège et surtout de lycée utilisent comme support d’apprentissage des espèces de mémos bac, qui ne sont que des fiches de révision qu’ils essaient de mémoriser dans l’urgence quelques semaines avant les échéances.
En ce qui concerne les évolutions prévisibles de ces programmes de collège, ils sont, comme pour le lycée, en cours de changement. Les manuels que vous avez vus en présentation seront changés à la rentrée 2012-2013.
– rentrée 2010-2011 Classe de cinquième ;
– rentrée 2011-2012 Classe de quatrième ;
– rentrée 2012-2013 Classe de troisième.
Voici les cadres qui seront donnés aux auteurs de manuels pour la mise en uvre de ces programmes dont la modification a commencé à la rentrée 2009-2010, pour les classes de sixième. (Voir illustration 18)
Vous remarquerez que les professeurs auront à exercer un choix, puisque l’étude doit être conduite à partir d’un exemple. L’exemple le plus fréquemment utilisé par les professeurs est l’Inde, ensuite l’Algérie, beaucoup plus rarement un pays d’Afrique subsaharienne. Il y a peu de chances que cela change. Comment cela peut-il s’expliquer ?
Pour préparer les cours du collège, et rafraîchir certaines connaissances, les manuels de terminales sont souvent mis à contribution. Or ces mêmes manuels de terminales mettent en priorité l’accent sur l’Inde.
L’indépendance de l’Inde présente l’avantage de ne pas susciter de réactions, contrairement à ce qui peut se passer pour l’indépendance de l’Algérie. Dans certaines classes, dans certains collèges, ce facteur peut jouer.
Il convient toutefois de relativiser. Dans le Nord de la France, pour des raisons de proximité avec la Belgique, on a pu voir ici ou là le Congo Belge prendre beaucoup de place. Cela est également et surtout lié aux très nombreux travaux en classes, travaux sur documents, comme le « credo » de l’époque y incitait les fidèles, qui utilisent l’album de Hergé, Tintin au Congo
Tintin au Congo est surtout utilisé dans les séries scientifiques en terminale, puisque dans ces classes, le processus de colonisation et de décolonisation est étudié dans la continuité. Je rappelle que cet album est issu d’une publication commencée le 5 juin 1930 dans Le Petit Vingtième, achevée le 11 juin 1931. L’album a été d’abord publié par les Editions du Petit Vingtième puis repris un peu plus tard par les Editions Casterman qui s’assurèrent la publication des Aventures de Tintin en exclusivité.
Pour la reprise de l’album en 1946, Hergé redessina l’aventure. Il le mit en couleur, le réduisit de 110 planches à 62 pages et modifia l’idéologie colonialiste de l’album. Ainsi, la leçon géographique et historique que donnait Tintin sur « Votre patrie, la Belgique » se trouva remplacée par une leçon de mathématiques.
Les indépendances africaines ont occupé peu de place de façon générale. Alors que pour la colonisation, l’Afrique subsaharienne est souvent citée.
Par contre la colonisation de l’Indochine est rarement évoquée dans les manuels. L’indépendance de l’Indochine l’est souvent.
Les processus d’indépendance des pays d’Afrique subsaharienne sont rarement présents dans les formations initiales des professeurs. Les questions d’histoire contemporaine pour les programmes des concours d’enseignement ont très rarement traité des processus de décolonisation.
On notera au passage que l’on insiste à nouveau sur la notion de récit en histoire, ce qui constitue une rupture par rapport aux périodes antérieures où l’on insistait davantage sur le document à partir duquel l’élève devait bâtir son raisonnement.
Regarder ce que l’on souligne dans les capacités :
> Raconter la manière dont une colonie devient un état souverain.
> Décrire quelques problèmes de développement auxquels ce nouvel état est confronté.
L’analyse semble avoir disparu. Je ne suis pas sûr que cela soit anodin.
Cela peut conduire au retour en force de la leçon qui s’apprend, leçon qui pourrait apparaître comme un discours idéologique. Il y a de fortes chances que dans les futures éditions des manuels, ceux qui seront utilisés pour la rentrée 2012-2013, on voie revenir en force le résumé, même si on lui donne un autre nom.
Cela peut s’expliquer par les difficultés d’apprentissage et de concentration des élèves dont l’attention est pour le moins dispersée. De plus, l’introduction du concept de « socle commun de compétences », qui vise à asseoir dans toutes les matières des bases et des savoir-faire favorise incontestablement une forme de « normalisation » de la discipline enseignée.
Le risque est celui de la schématisation à l’extrême sans parler d’un appauvrissement des contenus. Mais ce phénomène ne se limite pas au collège.
Pour conclure sur ce propos, je rappelle que les programmes que nous avons examinés sont remis en cause actuellement, puisque aussi bien au collège depuis 2009, qu’au lycée depuis 2010, des changements sont en cours.
Les programmes changent sur une durée de trois ans au lycée, de quatre au collège.
En 2010 les programmes de seconde ont changé, et au collège ce sont ceux des 5èmes. Cela veut dire que pour 2012/2013, les programmes de troisième et de terminales changeront simultanément, avec toutefois une grosse incertitude pour les terminales.
Nous savons que l’histoire et la géographie ne seront plus au programme des terminales scientifiques, ce qui signifie que pour cette série, l’épreuve du baccalauréat se déroulerait en fin de première. En fait nous ne savons pas vraiment à l’heure où je vous parle comment cette épreuve serait organisée, quel sera le contenu de l’enseignement optionnel prévu pour les séries scientifiques en terminale, ni même son volume horaire. Nous ne savons pas davantage, pour les autres séries, quel serait le contenu ni même la forme de l’enseignement de l’histoire et de la géographie.
Ce que je peux vous montrer, concernant les programmes de première se trouve ici : (Voir illustration 19)
Vous remarquerez que les indépendances africaines ont tout simplement disparu, en dehors de l’examen de la guerre d’Algérie.
Cette guerre d’Algérie sera le seul exemple d’indépendance du continent africain, tandis que la fin de l’empire des Indes sera le seul exemple d’indépendance de l’Asie. La guerre d’Indochine risque de se retrouver, surtout si on l’associe à la guerre du Vietnam, intégrée dans la guerre froide.
Comment peut s’expliquer cet accent mis, par défaut, sur la guerre d’Algérie ? Je rappelle que c’est une question encore sensible dans le débat public, comme on peut le voir dans voir les réactions à propos de la diffusion de certains films comme Hors la Loi, sorti le 22 septembre 2010 et réalisé par Rachid Bouchareb avec Jamel Debbouze, Roschdy Zem, Sami Bouajila. Le problème se pose aussi pour certaines manifestations commémoratives dans les départements du sud de la France. Enfin, la composition du conseil d’administration de La Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie et des combats de Tunisie et du Maroc qui a été installée le 19 octobre 2010 a suscité certaines interrogations. Cette institution est prévue par l’article 3 de la loi du 23 février 2005 évoquant « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». Pourtant, et encore une fois, le débat sur cette question est beaucoup moins vif que dans le passé. Mais peut-être que les réactivations, en périodes électorales de ce que l’on peut appeler la « nostalgérie » pourraient réveiller des polémiques.
Il semblerait, pour l’instant, que l’inspection générale de notre discipline se soit préservée de cette forme d’intrusion.
La question des indépendances africaines de 1960 n’est pas considérée comme une question sensible. Pour l’instant
La question de la colonisation le serait beaucoup plus.
Pour la perception que l’on peut en avoir dans les classes, le temps a fait son uvre.
Au début des années 80, on pouvait encore parler, notamment dans les académies du sud de la France, d’une sensibilité particulière à cette question, du fait de la persistance, y compris au niveau électoral, de ce que l’on pourrait appeler une « culture pied-noir ». Lorsque les sujets du baccalauréat étaient élaborés au niveau des académies, il aurait été difficilement envisageable de proposer un sujet traitant de la guerre d’Algérie en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Languedoc-Roussillon et sans doute Midi-Pyrénées.
Bien qu’il y ait eu récemment, notamment avec le vote de la loi de février 2005, sur le bilan positif de la colonisation, loi dont l’application a été très opportunément suspendue, pour l’article litigieux en cause, de nouvelles émotions qui se sont exprimées à propos de la concurrence mémorielle, ces questions n’ont que très peu affecté l’enseignement de l’histoire dans les classes.
Il y en a d’autres qui suscitent dans une partie du public scolaire des réactions diverses, notamment l’enseignement de la Shoah, mais globalement et sous réserve d’inventaire, les questions liées à la décolonisation ne sont plus véritablement des questions socialement vives, pour reprendre l’appellation du comité de vigilance sur les usages publics de l’histoire. Cela serait peut-être davantage le cas de la colonisation, avec le risque qu’une concurrence mémorielle ne se manifeste dans des établissements de quartiers où la population de culture subsaharienne serait importante. Cela arrive aujourd’hui pour ce qui concerne le Maghreb et de façon plus générale l’Islam. Un éditeur en était arrivé à modifier un document pour les rendre « islamiquement compatible ». C’était en 2006. Depuis, ce genre « d’incident » qui avait suscité une certaine émotion dans la corporation ne semble plus s’être reproduit.
En ce qui concerne les indépendances de l’Afrique subsaharienne, au niveau des programmes, il ne semble pas y avoir de confrontation. Toutefois, la place de l’enseignement de l’histoire est actuellement en cause, et cela aura, vous l’avez constaté, des conséquences sur la perception ressentie et transmise de l’histoire de la colonisation et de la décolonisation.
Il existe clairement une volonté explicite de revoir cet enseignement :
Ce qui est en cause aujourd’hui, dans les conceptions et élaborations des programmes d’histoire et de géographie, c’est bien celle de la place que cet enseignement doit occuper dans les années à venir. Alors qu’il avait été mis au centre des formations dans toutes les séries, générale et technologique, notamment après la très forte mobilisation de l’opinion, qui avait conduit à l’organisation du colloque de Montpellier en 1982, sous la présidence du ministre de l’éducation nationale de l’époque, Alain Savary, force est de constater un incontestable retour en arrière.
Ce retour en arrière se traduit par une diminution des volumes horaires qui peut trouver ses origines dans des contraintes budgétaires, mais peut-être aussi par un rapport difficilement assumé des pouvoirs publics actuels avec la matière historique. Pourtant, depuis 2007, l’histoire a été très présente dans le discours public. Cela a commencé par la lettre de Guy Môquet, cela s’est retrouvé dans un discours prononcé à Dakar en 2007 sur : « l’homme africain qui ne serait pas encore rentré dans l’histoire ». Il y a eu d’autres épisodes depuis. Mais, en dehors de Guy Môquet et de la volonté affichée par le président de voir les enfants victimes de la Shoah adoptés par des enfants de leur âge dans les écoles primaires, ces débats souvent vifs n’ont pas trouvé leur traduction dans les enceintes scolaires et en tout cas pas dans les manuels.
On remarquera, au vu de l’évolution des programmes tels qu’ils sont proposés pour la rentrée 2011/2012, que « l’homme africain est en train de sortir de l’histoire telle qu’elle est enseignée dans l’école de la république. »
A la vérité, si « l’homme africain sort de l’histoire du lycée » par la porte, il y rentre par la fenêtre du collège avec l’étude, dans la dernière version des programmes, des empires africains.
Programmes d’histoire du collège – (Voir illustration 20)
Cette présentation des programmes a suscité une polémique, je dirai comme d’habitude, pour ce qui concerne les programmes d’histoire, avec quand même des relents pour le moins douteux
On retrouve l’Afrique en quatrième avec cette partie
I – L’EUROPE ET LE MONDE AU XVIIIe SIÈCLE (environ 25% du temps consacré à l’histoire)
l’un des quatre thèmes de cette partie du programme est LES TRAITES NÉGRIÈRES ET l’ESCLAVAGE
CONNAISSANCES
La traite est un phénomène ancien en Afrique. Au XVIIIe siècle, la traite atlantique connaît un grand développement dans le cadre du « commerce triangulaire » et de l’économie de plantation.
DÉMARCHES
La traite atlantique est inscrite dans le contexte général des traites négrières.
L’étude s’appuie sur un exemple de trajet de cette traite.
De façon générale, et depuis près de trente ans pour ce qui me concerne, les programmes d’histoire et de géographie suscitent, lorsqu’on les change, des émotions diverses
J’ai rarement entendu mes collègues de sciences physiques ou de mathématiques interpellés sur les contenus des programmes
Les changements dans ce domaine ne suscitent pas vraiment l’intérêt du politique
Il y a forcément dans l’histoire des passions françaises une appétence pour l’histoire et pour la façon dont elle est enseignée.
Le professeur d’histoire est considéré aujourd’hui comme le successeur de l’instituteur de la Troisième république qui faisait réciter à des générations d’élèves, « des Flandres au Congo », que leurs ancêtres étaient des Gaulois. Cette histoire fantasmatique s’inscrivait alors dans le Roman national. Peut-être que le retour au récit, mais sans forcément le temps de l’enseigner, traduit une volonté de revenir à ce Roman national
Il peut donner un vague vernis de connaissances sommaires, une sorte de socle minimum dont le volume sera dicté par les moyens budgétaires.
Nous saurons ce qui nous attend à la mi-décembre et je dois avouer que je n’ai aucune information sur ce sujet
Sans doute que ces informations concernant les nouvelles épreuves du baccalauréat en fin de première ne sont pas encore parvenues dans nos départements reculés du sud de l’hexagone
Ce que j’aimerais dire en conclusion, c’est que les meilleurs des programmes, les plus complets, ne doivent et ne peuvent prétendre à l’exhaustivité. Il faut effectivement faire des choix et ces choix ne sont pas vécus comme neutres. Ils sont vécus par les associations de spécialistes comme des choix déchirants, comme des choix contraignants comme le sont les impératifs budgétaires qui les sous-tendent. Ils sont vécus aussi par les communautés ou plutôt par les mouvements qui s’en considèrent comme les représentants, comme politiquement sensibles, parfois comme révélateurs de desseins inavouables.
Je considère qu’il y a incontestablement une place pour que l’on rappelle ce qu’a été la colonisation, dans tous ses aspects, mais aussi le combat pour la décolonisation, qui a été mené au nom de valeurs dont la France a été l’une des inspiratrices. Même si ces valeurs n’ont pas forcément été, dans les États issus de ces indépendances, toujours respectées.
Il y a une place aussi pour l’ouverture au monde telle qu’elle est préconisée dans les programmes de 5e du collège. Et la connaissance des autres cultures, des autres histoires, n’est en aucun cas inutile.
L’histoire n’est pas la commémoration, elle n’est pas non plus la mémoire, elle est une discipline de formation, une méthode scientifique d’analyse du passé qui peut permettre de construire un avenir.
Elle n’a pas à être instrumentalisée surtout, car cela pourrait conduire à la réécrire.
Ce sont les valeurs auxquelles les professeurs d’histoire et de géographie, et leurs associations de spécialistes sont attachés.
Cette histoire des indépendances africaines, peut et doit s’inscrire dans une réflexion sur les formes du développement, sur les différentes gouvernances, sur les relations d’échange dans le cadre d’une économie globale.
Si nous en limitons la place de façon drastique, si nous l’effaçons, nous courons le risque de voir émerger des histoires/mémoires concurrentes où des affrontements mémoriels feraient le lit des incompréhensions et des préjugés.
///Article N° : 10116


















