Coupe du monde 98 : le cadeau de la bande a zizou

L'âme au centre et diable en touche

Print Friendly, PDF & Email

En juillet 1998, alors qu’Africultures avait quelques mois d’existence seulement, un de ses fondateurs Fayçal Chehat se faisait l’écho d’une actualité brûlante : la victoire de la France à la coupe du monde de football.
En ce mois de juillet 2014, le ballon rond rythme l’actualité internationale. La coupe du monde met sous le feu des projecteurs le Brésil et ses préoccupations sociales et économiques. Tout comme ce fut le cas pour la France en 1998 et ce que la victoire « black, blanc, beur » disait de notre société, de ses enjeux en terme de vivre-ensemble.
La rédaction Africultures choisit alors de vous partager ces mots rédigés dans la ferveur de l’époque : « Le football, opium du peuple ? Dieu comme la saveur de cet opium est bonne, comme ses conséquences sont douces. »

Place de la Nation. Il est deux heures du matin ce lundi 13 juillet. Cela fait exactement trois heures que l’équipe de France est championne du monde. Trois heures que j’ai quitté la folie du Stade de France où le sol a tremblé sous les pieds des Brésiliens, leur faisant perdre tous leurs moyens. Trois heures que la République française a intronisé son nouveau roi : Zidane 1er. Zizou pour tous les intimes, c’est à dire 60 millions de sujets à genoux devant l’un de leurs héros de l’été. Il est 2 heures place de la Nation et j’assiste à des scènes décoiffantes, ahurissantes. La nuit a perdu ses prérogatives. Les Parisiens ont décidé de faire fi de son couvre-feu habituel, de sa chape impitoyable. J’assiste à la ronde folle des automobilistes qui, une fois n’est pas coutume, klaxonnent comme des fous, non pas pour exprimer leur nervosité et leur irritation, mais pour signifier leur bonheur d’être ensemble. Ils sont tous là : ceux du 75, ceux du 92, ceux du 93, ceux du 91, ceux du 94, ceux du 59, du ceux 13, ceux du 27 et du 32… Ils sont tous là : Blancs, Blacks, Beurs ; ils sont tous là : avec carte nationale, carte de résidence, sans papiers et en attente de papiers. Ils sont tous là : carte vermeil, carte jeune, plus ou moins de 25 ans. Ils sont tous là : smicards, richards et tricards. Ils sont tous éveillées : balcons illuminés, fenêtres largement ouvertes…Des voitures qui défilent au pas, vitres baissées, des mains se tendent, des poignées se perdent, se cherchent, se retrouvent. Des couples se forment, s’enlacent, s’embrassent, se déforment, se reforment. Il est deux heures du mat’et le bonheur s’installe. Le bonheur prend place sur la place et dit qu’il n’a pas sommeil. Le bonheur s’installe et lance un cri du coeur :  » Je veux changer le monde ! « . Applaudissements de la foule éperdue. J’ai vu des scènes de fraternisation extraordinaires : de jeunes loubards faire danser une valse endiablée à des mémés d’un autre âge et d’un autre monde. Des costumes trois pièces porter sur leurs épaules des renois en jean’s très délavés. Un jeune blond monter sur le toit d’une voiture et embrasser un drapeau algérien que trois Arabes de Marseille faisaient tournoyer fièrement. J’ai vu un colosse antillais ouvrir les portières de sa voiture, mettre le son de sa chaîne stéréo à fond et improviser une discothèque en plein air à l’aide d’un zouk fiévreux. J’ai vu de jeunes Maghrébins lancer un vrai concours de percussions et faire danser jusqu’à l’épuisement leurs frangines brunes magnifiques aux chevelures royales et aux corps épanouis. Paris, place de la Nation, deux heures du mat’. Pour la première fois en vingt ans de vie parisienne, j’ai pu voir des hommes de toutes les couleurs se côtoyer sans se fuir, se regarder au fond des yeux sans se haïr, se donner la main sans tressaillir… Le football, opium du peuple ? Dieu comme la saveur de cet opium est bonne, comme ses conséquences sont douces. Au stade de France, la bande à Mémé, métissée comme une déesse, généreuse comme une matrone d’un grand port africain, sensuelle comme une amante rassasiée de bonheur, a lancé son cri de ralliement :  » Balle au centre, tous ensemble nous gagnerons ! « . Paris, place de la Nation, quatre heures du mat’. Je n’ai pas sommeil, je reste sur le trottoir, le regard plongé dans les ébats d’une foule complètement à l’abandon dans les bras du bonheur. J’observe tout cela le corps parcouru de frissons et je me dis :  » Non, Zizou Premier et sa bande n’ont pas offert à la France un vulgaire trophée récompensant la meilleure équipe de football au monde… Ils ont offert un cadeau mille fois plus somptueux : ils ont donné à ce pays, parfois tenté par le diable, un supplément d’âme, et aux femmes et aux hommes de toutes les couleurs, de toutes les croyances qui le composent, une formidable envie de faire un bon bout de chemin ensemble. « 

///Article N° : 442

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article
© Fred Ebami





Laisser un commentaire