Qu’est ce qu’un critique ? Qui est critique ? Qui ne l’est pas ? Comment devient-on critique ? Le critique va-t-il à la rencontre de l’uvre ou de l’artiste ? Ces questions qui pourraient s’appliquer à toute discipline artistique ont été soulevées pendant le séminaire sur la critique d’art en Afrique organisé par la Biennale de Dakar du 5 au 9 août 2005.A cette rencontre à laquelle participaient des critiques du continent et d’ailleurs, les organisateurs ont adjoint de jeunes » talents en friche » pour » favoriser l’éclosion d’une nouvelle génération de critiques d’art en Afrique. «
C’est Ngoné Fall, critique d’art et commissaire indépendant, qui, le premier jour du séminaire a ouvert le débat en dressant un tableau peint au vitriol de l’état de la critique d’art en Afrique : inexistante. » Le critique francophone aurait-il peur de la langue française ? Le public serait-il fâché avec la lecture ? Ou serait-il doté de prédispositions particulières lui permettant de se passer des critiques ? Comment expliquer la fragilité de la filière des arts en Afrique et le déficit de messagers entre l’artiste et son public ? « , s’interrogera-t-elle en notant la petite longueur d’avance des pays anglophones dans ce domaine.
Auparavant, Ousseynou Wade, secrétaire général de la Biennale de Dakar, avait fait remarquer que la plupart des textes sur l’art contemporain africain étaient écrits par des Occidentaux. Il est temps, ajouta-t-il en citant Senghor, de » penser par nous-mêmes et pour nous-mêmes « . Mais, Ngoné Fall rappela que » le critique occidental ne faisait qu’occuper la place laissée par son homologue africain. »
On était bien partis pour clouer, une fois encore, l’Afrique et les Africains au pilori, et les débats firent rage. Yacouba Konaté, le tout nouveau commissaire de la Biennale de Dakar, rappela alors que « quand l’Afrique s’auto flagelle, on ne sait que dire. C’est comme si on voulait nous désespérer et nous faire voir en noir notre chère Afrique. » Issa Samb alias Jo Ouakam ouvrit alors une autre piste de réflexion : » Il faudrait plutôt reconsidérer la conception que nous avons de l’art visuel. Nous devons, courageusement et religieusement aller vers des situations qui nous permettent des compromis et d’en douter, des consensus et d’en douter ; des dissensus aussi « , dira celui qui fait figure de doyen et de sage dans le milieu des arts plastiques en Afrique.
Pour ce qui est de la critique proprement dite, les interventions et contributions ont convergé. Tous les participants se sont accordés sur le fait qu’il n’y avait pas d’école de critique d’art donc de diplôme de critique d’art. D’où la nécessité de la formation sur le tas d’abord, et ensuite de la formation continue. Mais le premier critère à remplir est sans aucun doute la passion. La passion pour l’art qui se manifeste par une présence régulière sur le terrain et des productions fréquentes. C’est de ces facteurs-là que dépend la reconnaissance du critique comme tel. Dans une interview accordée à Afric’arts, Yacouba Konaté dira qu’un » critique qui n’est pas reconnu par les artistes de son pays tourne à vide « . Vu sous cet angle, ne serait-il pas en contradiction avec Jo Ouakam pour qui » La critique est un mode d’expression artistique éminent. Le critique est un artiste à part entière. » ?
Les critiques ont salué la naissance d’Afric’art, le seul magazine francophone consacré aux arts plastiques sur le continent.
Si l’on en croit le commissaire général de la Biennale de Dakar, l’édition 2006 sera différente des autres. Il a exposé au cours de ce séminaire son plan de travail qui regorge d’innovations. La première est sans doute le choix d’un thème. Les artistes, les critiques et les journalistes pousseront la recherche et la réflexion dans ce cadre pour mettre fin aux préjugés sur l’art en Afrique. Des actes seront publiés, qui reprendront les textes et les interventions sur ce thème. Autre grande innovation, l’instauration d’un prix de la critique qui sera décerné par un jury composé de critiques d’art. Par ailleurs, Yacouba Konaté a annoncé que la Biennale changera de quartier général. Elle se déplacera du CICES au musée de l’IFAN. Mais bien plus, elle sera présente dans les quartiers populaires, à la rencontre d’un public indifférent parce que trop loin des activités de Dak’art.
Entre la Galerie Kemboury, l’atelier de » l’ancien » Souleymane Keita, celui du » cadet » Soly Cissé, le très hétéroclite village des arts (plastiques) et l’exposition photo de Touré Béhan à la Galerie nationale, c’est à un véritable parcours du combattant que se sont livrés les critiques d’art réunis à Dakar lors de la visite des ateliers.
Et si tout le monde a salué cet aspect pratique du séminaire, l’on a déploré le très peu de temps consacré à cet aspect. C’est sans doute deux ou trois jours qu’il aurait fallu consacrer à la pratique. N’empêche, l’exercice de restitution de la visite d’atelier qui a été imposé aux cadets (journalistes culturels) a donné lieu à des discussions pratiques autour des uvres et des artistes visités et surtout, a permis de déceler de la graine de critique d’art. De l’avis de tous, ce genre d’expérience doit être renouvelé pour la naissance d’une véritable critique d’art africaine.
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