DAk’Art 2006 ou la manière de (re)dire l’art contemporain africain

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L’éducation artistique en milieu scolaire est une condition sine qua none pour faciliter l’accès à la culture et briser les barrières symboliques, toujours existantes dans les pays africains. Pourquoi se rendre au musée ? Que faire de la visite d’une galerie ? Que tirer d’une rencontre avec des artistes ? Telles ont été les questions posées par les organisateurs du Dak’Art 2006 soucieux de sensibiliser les scolaires à la Biennale. L’objectif : démystifier le musée perçu comme un lieu inaccessible au public africain. Créer des liens visibles et lisibles entre les oeuvres et les publics par le biais de médiations. Engager les étudiants de l’Ecole Nationale des Arts (l’ENA) dans cette rencontre avec l’art.

17 Mai 2006, les élèves de troisième du Collège Ogo Diop avaient rendez vous à la galerie Nationale l’un des lieux officiels d’exposition de Dak’art. Accompagnés de leur professeur d’arts plastiques, ils ont sillonnés les couloirs et cloisons de l’espace d’exposition . D’un côté, quelques regards sont restés cois face aux  » Têtes de nègres, têtes creuses  » de l’artiste togolais El Loko. De l’autre, ont surgi des ricanements devant l’œuvre de l’artiste germano-kenyane Ingrid Mwangi. .  » Je ne savais pas que la vidéo était une forme d’art. C’est assez drôle qu’un artiste filme le moment où il se tond les cheveux et l’expose comme une oeuvre d’art « , avait alors commenté Mbaye, seize ans
Ces commentaires traduisent une situation beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Elles interrogent des notions théoriques importantes. Qu’est ce qu’une oeuvre d’art? Qu’est ce qui fait le statut de l’artiste?  L’objet de l’art peut-il ou doit-il puiser sa matière dans notre quotidien ? Amadou Lamine Sow, élève professeur sorti de l’ENA (1)en 2004, explique sa démarche d’enseignement :  » Les élèves répondent parfois avec stupéfaction devant des vidéos et des oeuvres réalisées en matériaux de récupération comme celle du nigérian Bruce Onobrakpeya. Ici,  je tente de leur apprendre la notion de dépassement. Il ne faut pas faire de blocage. Tout peut-être exploitable et devenir matière de l’art.  »  Dans cette volonté de socialisation du regard, Amadou a proposé à son groupe la réalisation d’un travail pratique : transformer un objet du quotidien en oeuvre d’art.
Décloisonner les savoirs et émanciper le regard.
A l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN), Babacar Mbaye diop, 36 ans, instituteur dans la banlieue de Dakar, avait conduit sa classe au musée sur proposition du directeur de son établissement. Habitué à gérer des groupes, il s’y était rendu sans préparation particulière, mais avec beaucoup d’enthousiasme et de pédagogie.   » C’est un guide qui parle des oeuvres. Je n’ai pas de formation artistique. Je suis ici en tant qu’accompagnateur. C’est donc un grand moment de découverte pour nous tous.  Après l’Ifan, ,nous irons à la galerie nationale et à la Maison des Anciens combattants. « 
Face à l’œuvre  » L’ombre de  l’ombre  » du sculpteur congolais Mpane Aimé, Amadou Tidiame Bâ  âgé de 32 ans, en troisième année des Beaux-arts, section arts plastiques, s’explique :  » C’est la première fois que la biennale initie des liens pédagogiques avec les étudiants. C’est une chance pour nous de rencontrer les artistes, côtoyer les oeuvres et développer un langage critique sur des productions artistiques. » Passionné par son travail, Amadou développe chaque jour, au contact de son public, une riche analyse iconographique et iconologique de  » L’ombre de  l’ombre « . Il a certes lu le catalogue d’exposition, échangé avec Yacouba Konaté durant ses deux journées de formation, mais il a surtout rencontré l’artiste congolais. Avant d’ajouter,  » Je félicite l’initiative de la biennale qui permet aux étudiants de bénéficier de l’expérience de leurs aînés. L’installation et la vidéo sont des supports de plus en plus présents au sein de cet évènement. Mais ce sont aussi des médiums que nous n’utilisons pas à l’ENA. « . 
Dans une autre salle de l’Ifan, Xavier, 13 ans, joue à l’apprenti médiateur. Le jeu est simple. Interroger ses amis par groupe et par préférence d’œuvres afin d’échanger les propos et confronter les avis.   » Virus status  de l’artiste sud africain Madikida Churchill est une oeuvre triste car il y a trois cercueils « . Certains se penchent sur la question du fredonnement musical lancinant produit par une femme. Pour d’autres, c’est la couleur rouge qui vient amplifier la dramatisation de l’œuvre. Faut-il avant tout détenir un savoir pour comprendre une oeuvre d’art ? Ou est ce que voir suffit?
Aux vues de ces journées de médiations, on peut dire que de l’éducation de l’œil découle l’apprentissage du voir.  Par conséquent, des évènements comme la Biennale de Dakar sont des opérations de transmission et de diffusion pédagogique. Grand moment d’échange où l’art contemporain dans toutes ses formes est célébré, Dak’art possède ce double enjeu d’apprentissage des pratiques artistiques et de développement du regard critique du visiteur.
Pour une critique de l’enseignement artistique
Généralement intégré à un Ministère, le plus souvent de l’Education, mais parfois celui de la Culture, l’enseignement artistique est organisé sur un mode centralisé, à l’exception de quelques Etats aux structures fédérales. En Europe et dans les pays arabes (2), il est largement obligatoire en primaire. Cette discipline est la plus souvent enseignée, suivie d’assez prêt par la musique, la littérature, puis le théâtre, la danse et le cinéma. Certains pays organisent aussi des cours d’artisanat et de photographie. « Bien que très difficile à évaluer, la part de financement privé dans l’enseignement artistique demeure marginale et concerne un peu plus de 20% des Etats. » (3)
Certaines enquêtes (4) montrent une amélioration de la situation depuis ces dix dernières années. Si bien que les Etats envisagent le rôle joué par l’Unesco et les incidences de la Recommandation relative à la condition de l’artiste adopté en 1980 comme suit : 36 réponses contre 26 considèrent que la Recommandation a apporté de nouvelles idées en faveur de la promotion de l’éducation artistique mais pas seulement, puisque 20 contre 82 estiment qu’elle a eu un réel impact. (5)
Lorsque certains considèrent l’enseignement artistique comme un rapport à la culture occidental, ne faudrait-il pas inciter la société à revisiter ses positions quant à l’intérêt public de l’art? La critique comme l’art sont à une étape de stagnation réciproque puisque la question de la communicabilité de l’art est sujette à un engourdissement théorique.  » Si l’Afrique réelle ne veut pas encore des œuvres de ses artistes, c’est parce que la production s’adresse beaucoup plus au public occidental qu’à elle, c’est parce que ses artistes se mettent beaucoup plus au goût des galeries de Paris, Bruxelles, Londres ou Montréal…  » (6). Mais les artistes africains doivent-ils réellement prendre part au débat de la réception de l’art ? Doivent-ils ajuster leurs propositions plastiques aux attentes ou prétentions esthétiques des sociétés civiles africaines pour être entendu d’elles ? L’artiste africain de renommée internationale sujet à l’utilisation à de nouvelles techniques industrielles constitue t-il dès lors, l’antinomie de l’artiste africain usant de techniques traditionnelles et compris des africains eux-mêmes ? Ainsi, comment dépasser ce qui d’un point de vue purement théorique devient un malentendu sémiotique tournée vers la controverse et la lutte intra disciplinaire ? Si être artiste n’est pas une profession reconnue des Etats africains, il est sûr que la situation de ces derniers diffère dans les pays du bloc européano-américain (7). En somme, les débats autour de la création contemporaine en Afrique, sont enclins à prendre part à une transversalité discursive non seulement théorique mais aussi géographique qui la projette du local au global. Peut-être alors, faut-il admettre la possibilité et/ou l’utilité de repenser l’enseignement artistique au Sénégal et ailleurs.  » Il faut réintroduire l’éducation artistique au Concours général pour ainsi mettre en valeur le travail des élèves qui étudient cette discipline. Nous constatons que cette année le Concours aura lieu sans l’éducation artistique. Ce qui, pour nous, est inadmissible. Il faut remettre sur le plateau cette discipline qui est méconnue et ensuite redresser son coefficient (un) qui est très faible. Puisque aujourd’hui, un nombre assez important d’élèves font l’enseignement artistique au Baccalauréat.  » (8)
Vers une approche inclusive des publics africains
Pourquoi une telle approche ? Que signifie impliquer le public sénégalais dans le processus évolutif de la biennale ? Quelle pourrait être la dimension publique et citoyenne de cet évènement et quelles en seraient les conséquences ? Admettons que le public sénégalais ait une base commune de références artistiques, peut-être pourrait-il identifier les intentions des programmateurs de la biennale, peut-être se rendrait-il sur les différents sites d’exposition. En retour, les organisateurs de la biennale pourraient voir se dessiner des préférences sociétales et les influences des groupes décideurs à l’intérieur de la ou les sphères publiques. Il est sûr que Dak’Art est déjà une pratique durable et sociable bien établie dans son quartier général de la rue Albert Sarrault, mais les invités qui côtoient sa table et ses mets sont a fortiori beaucoup plus experts, initiés et occidentaux qu’amateurs, badauds et sénégalais. Une implication plus accrue des publics permettrait sans doute une gestion plus pragmatique des différentes manifestations en relation à la biennale. Ainsi, une approche inclusive du public sénégalais dans le fonctionnement de la biennale permettrait une éventuelle mise en relation des publics avec le processus décisionnel de la manifestation elle-même.
Un public peut parfois en cacher un autre…
La demande des étudiants de l’ENA, des scolaires et de leurs professeurs est très forte. Mais l’offre de la biennale est-elle suffisante? Cette politique de sensibilisation du public mise en place depuis 2002 par le secrétariat général de Dak’art s’est progressivement développée pour prendre appui sur des actions de médiation beaucoup plus finalisées. Quant aux soirées de gala et autre poétique, parfois même délibérément touristique (9), il s’agit d’évènements auxquels la population n’a pas accès. Faute d’en avoir envie, faute d’information ou faute d’y être conviée ?
Il était temps que la biennale prenne en charge dans son programme et dans son organisation un public habituellement délaissé. Car s’il n’y a pas de musée d’art contemporain à Dakar et au Sénégal en général, et tout juste une revue dédiée à la création contemporaine en Afrique (10), la biennale en tant qu’institution culturelle pérenne a bien un rôle moteur à jouer : devenir un espace d’initiation et de dialogue où les publics africains sauront trouver leur place. Souhaitons enfin, comme le médiateur Amadou Tidiame Bâ  » que les artistes et la biennale en 2008 réfléchissent à la question même de leur statut respectif, car tous deux sont  porteurs de malentendus. L’artiste tout comme cette institution doivent être compris comme des messagers et non plus comme des êtres et des faits marginaux de notre société. C’est par la médiation que nous arriverons à désenclaver cette situation « . Au moins, le message est passé…

1. Ecole nationale des arts de Dakar. Elle forme des enseignants et des animateurs culturels.
2. Résultats obtenus du questionnaire « Questions sur l’enseignement artistique » lancé aux Etats membres de l’ONU afin d’analyser les conditions d’existence des artistes dans le monde. Congrès mondial su l’application de la recommandation relative à la condition de l’artiste. Organisé par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture. En coopération avec le Ministère français de la culture et la Commission nationale française pour l’UNESCO et avec la collaboration du Getty Conservation Institute. Du 16 au 20 Juin 1997.
3. Ibid
4. Ibid
5. Chiffres obtenus sur l’analyse détaillée des réponses des Etats membres au questionnaire II : Questions sur l’enseignement artistique. Les pays arabes à avoir répondu sont la Lybie, la Syrie, la Tunisie. Et les pays d’Afrique subsaharienne sont : le Bénin, le cap vert, le Ghana, l’Ile Maurice, le Nigéria, les seychelles, le Swaziland, le Togo et la Zambie.
6. Iba Ndiaye Diadji, Les africains veulent-ils de leur art ? p.29 Africultures n°48.
7. Nathalie Heinich, L’élite artiste, excellence et singularité en régime démocratique, Editions Gallimard collection Bibliothèque des sciences humaines, 2005.

8. Abdoul Aziz Kane, professeur d’Art plastique : Faire de l’installation, ce n’est pas vider les poubelles. Propos recueillis par Mathieu Bacaly pour allAfrica.com le 1er Juin 2006.
9. 10, 11 et 12 Mai, sorties au Théâtre National Sorano, à la maison de la culture Douta Seck, au Lac rose et sur l’Ile de Gorée
10. Afrik’arts dont le numéro 1 est paru en Août 2005 crée à l’initiative d’ Osseynou Wade, secrétaire général de la biennale de Dakar et soutenu par Africalia.
///Article N° : 4580

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