Dans la gueule de la Grande Dévoreuse

Le premier roman d'Isabelle Boni-Claverie et le recueil de nouvelles de Florent Couao-Zotti plongent dans les marges de grandes villes

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Loin des scènes villageoises et d’une littérature centrée sur les conflits de tradition et de modernité, la ville et ses bas-fonds sont devenus la scène affectionnée par de nombreux jeunes auteurs africains, tels Raharimanana, Abdourahman Waberi ou Ben Okri. La métropole devient dans leurs textes un lieu de rêves brisés, une fournaise où la survie est un combat sans issue.
Pourtant, il existe chez tous ces auteurs une recherche de poésie dans ce milieu extrêmement violent et empreint de misère – une poésie bien souvent liée à l’amour et la passion, que ce soit celle d’un peintre pour son art, d’un vieillard pour un enfant ou d’un couple d’amoureux.
La Grande dévoreuse de la jeune écrivaine et cinéaste ivoirienne Isabelle Boni-Claverie correspond exactement à ce schéma. La narration y est axée autour d’une histoire d’amour entre deux adolescents et de leurs rêves, dont l’auteure annonce la déchéance dès les premières pages. Les ambitions d’Amoin et de Sax se heurtent vite aux contraintes de la pauvreté et aux caïds locaux.
Ecrit il y a une dizaine d’années – Boni-Claverie n’avait alors que 17 ans -, ce premier roman aurait pu bénéficier d’une trame plus étoffée et d’un retravail du style, qui oscille entre un réalisme cru et un romantisme versant parfois dans le pathétique. Quoiqu’il en soit, la description des bas-fonds d’Abidjan et du monde violent des dealers et autres voyous, ainsi que quelques éclats dans les dialogues laissent deviner un talent qui ne demande qu’à s’affirmer. A l’écran ou sur le papier ?
Amour et folie chez Couao-Zotti
Dans L’homme dit fou et la mauvaise foi des hommes de Florent Couao-Zotti, on retrouve le même goût pour un langage cru, mais dans un style âpre plus maîtrisé. L’ambiance de cette dizaine de nouvelles rappelle le premier roman de l’auteur, Notre pain de chaque nuit (Le Serpent à Plumes, 1998), où l’on avait découvert le talent du jeune écrivain béninois.
« Ci-gît ma passion », première nouvelle du recueil, donne le ton de l’univers de Couao-Zotti, avec la description de l’amour macabre d’un époux meurtrier pour le cadavre de sa femme. Le thème de l’amour, désespéré ou trahi, revient dans plusieurs nouvelles, se mêlant parfois à la folie. Si celle-ci est souvent faite d’un trop-plein de misère, elle devient prophétique dans la bouche d’un vieillard dénonçant les maux de l’Afrique à qui veut l’entendre.
Tout comme chez Boni-Claverie qui la qualifie de « Grande dévoreuse », la ville devient un personnage à part entière dans certaines nouvelles de l’auteur béninois (« Petits enfers de coins de rue » ou « Jonquet Blues »). Chez l’écrivain ivoirienne, la capitale prend les traits d’une sorcière destructrice, tandis que Couao-Zotti la peint à l’image de ses prostituées : lasse, aigrie et défraîchie. Et pourtant, l’écriture de Couao-Zotti saisit la poésie de ce monde violent, jusqu’à conférer une certaine élégance aux quartiers malfamés ou à l’artère des bordels et des bars.

L’homme dit fou et la mauvaise foi des hommes, de Florent Couao-Zotti. Le Serpent à Plumes, 2000, 192 p., 89 FF.
La grande dévoreuse, d’Isabelle Boni-Claverie. Les Nouvelles Editions Ivoiriennes, 1999, 135 p.///Article N° : 1560

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