J’ai 25 ans, en 2005, en France.
Jeune fille issue de l’immigration, je vis en banlieue parisienne.
Aujourd’hui, en France mon pays d’adoption, on parle de moi dans les journaux, à la télévision, à la radio. On dit de moi que je fais partie d’une jeunesse perdue, une jeunesse en quête identitaire. On me prend avec un poignet, on me met dans une espèce de moule et on ressort le tout sous la dénomination de » racaille « .
Moi j’ai une autre définition. Je suis issue d’une famille d’immigrés d’origine congolaise. Je suis très bien intégrée à la société française. Merci.
Et comme la plus part de ceux qui ont une double culture, j’ai été en quête identitaire, je crois, sans même m’en rendre compte. Mais aujourd’hui, je peux dire que cette quête est achevée.
Je sais qui je suis, je sais quelle est ma place dans la société française. C’est la place d’une citoyenne française, d’une citoyenne européenne, d’une citoyenne du monde.
En un mot : Je choisis de ne pas choisir.
Je peux dire sans trop risquer de me tromper que le Collectif Tanora est à l’origine de cette prise de conscience. Le Collectif Tanora est une association loi de 1901, crée par des jeunes sortis du giron de la banlieue française tout comme moi.
Ces jeunes, c’est Aziz à l’optimisme exalté, c’est Sabrina et son éternelle joie de vivre, c’est Cyril qui remet tout en question les jours de doute et nous répète sans cesse qu' » il faut penser Collectif ! « , c’est Mina qui écoute, veille et tempère, c’est Méva nonchalante mais à la réflexion souvent pertinente, c’est Fabrice radical mais qui apprend à mettre de l’eau dans son vin, c’est Mélanie qui attend de faire ses preuves et c’est moi pas toujours dans le vrai mais en recherche constante de vérité
Le Collectif Tanora se définit d’abord comme une histoire d’amitié. Une amitié qui, pour transcender tout ce que la vie peut mettre en uvre pour séparer, s’est fédérée autour d’un projet qui a fini par dépasser le cadre restreint de huit jeunes gens, pour atteindre la population d’une ville entière, à l’autre bout du monde.
Je me souviens encore de ce soir d’octobre, réunis chez Mina, à Noisy-le-Sec, notre QG. Nous fêtions le retour de Madagascar d’une partie du groupe.
Nous (la partie restée en France), nous les écoutions parler les yeux pleins des merveilles que nous ne pouvions qu’imaginer.
Et inutile de dire qu’en plein hiver à Paris, il faut une grande dose d’imagination pour sentir les rayons brûlants du soleil sur la peau ou même pour sentir les parfums entêtants de la vanille et de la cannelle
La conversation légère et riante s’est très vite orientée vers un épisode de leur voyage qui les avait laissés quelque peu perplexe.
A Vohémar (situé au Nord Est de la grande île), où ils avaient résidé deux semaines, une injustice les avait frappés.
L’Alliance Française possédait dans cette ville une bibliothèque. Mais n’y avaient accès qu’une poignée de résidents membres de l’Alliance.
Les habitants et surtout les enfants de Vohémar n’étaient évidemment pas membres, donc » tout naturellement « , interdits d’accès à la bibliothèque.
Et comme on parle du dernier Oliver Stone à un dîner entre copains, on s’est mis à rêver d’une bibliothèque accessible pour tous les habitants de la ville :
» Imagine un beau bâtiment avec plein de bouquins
»
» Ouais et qui fonctionnerait comme les bibliothèques d’ici
»
» Ca serait bien si ça se faisait
»
» Si vous voyiez leurs bibliothèques scolaires vous seriez choqué
c’est vide
»
» Faudrait voir avec des organisations humanitaires pour envoyer des livres
»
» On n’a qu’à construire une bibliothèque nous-même
»
Je suis incapable aujourd’hui, de dire qui a lancé l’idée. Plus personne ne s’en souvient
Je crois que c’est parce que cela n’a pas vraiment d’importance
Quoi qu’il en soit, nous pouvons dire que c’est à l’issue de cette réflexion commune et de cette dernière phrase que le Collectif a été créé
Depuis le début de l’aventure le projet a été divisé en trois étapes. La première consistait à alimenter en livres les écoles de la circonscription scolaire de Vohémar (pour répondre à une demande émanant des autorités scolaires ainsi qu’à un besoin présent exprimé par les jeunes), la seconde à faire construire une bibliothèque et la dernière à greffer à cette bibliothèque un centre socioculturel.
Notre idée, nous l’avons nourrie, nous l’avons réfléchie, nous l’avons fait grandir, nous l’avons fait évoluer, pour arriver là où nous en sommes aujourd’hui.
J’ai la fièvre. 25 ans. Et plus de la moitié de ma vie en France.
Demain je pars à Madagascar. Ce n’est pas le Congo mais ça en porte les couleurs
Je suis ivre d’excitation
J’oublie parfois que le bonheur peut vous donner cette impression diffuse de vertige, le sentiment de se trouver au bord d’un gouffre. J’ai la tête qui bourdonne, le cur qui s’emballe, le sang qui bat à mes tempes et ce refrain qui tourne en boucle dans ma tête » Mada, Mada, Mada
» obsessionnel, je vous dis.
Je pars pour 1 mois. Un mois de travail mais aussi de rencontre avec les autres mais aussi avec moi-même
je le sais.
Trois ans que le Collectif existe. Trois ans passés tellement vite que je n’arrive pas encore à réaliser.
Trois ans de travail acharné pour être pris au sérieux ou à défaut pour être écouté : par nos proches, tellement habitués à nous voir sur le mode » déconne » qu’ils ont du mal à nous envisager autrement, par des sponsors qu’il faut convaincre de notre bonne foi, de la solidité de notre projet, de la force de notre ambition.
Trois ans à tenir des stands buvettes lors des manifestations de la mairie de Noisy le Sec (La journée SIDA, les journées de la Glisses etc.).
Trois ans faîtes de rencontres, avec les Moleques musiciens du Brésil au cur riche d’humilité et de talent, avec les jeunes de la ville de Noisy autour du Sida, du sport, avec les animateurs de la jeunesse noiséenne et maurepasienne, avec les autorités locales, des entreprises privées et citoyennes, avec nous-même, avec nos limites, nos doutes, notre persévérance, notre entêtement, mieux : notre refus du renoncement
Au bout de ces trois ans, un premier envoi à Madagascar par container, réceptionné à Madagascar par Fabrice, chargé de Logistique dans l’association.
Deux mois après son arrivé à Vohémar, nous allons le relayer sur place afin de préparer un retour pour tous nos partenaires concernant la répartition des biens qu’ils nous ont confiés.
Et la bibliothèque ? me diriez-vous
Eh bien la bibliothèque, on y travaille !
En effet, ce voyage nous permet également de faire le point sur l’engagement, à nos côtés, de la ville de Vohémar, concernant l’attribution d’un terrain ou d’une bâtisse pour une construction ou une réhabilitation.
Nous voilà donc parti.
Madagascar. L’Afrique. Je ne l’ai pas vu cette Afrique à ma descente d’avion. Il faisait froid. A Tananarive, il fait souvent froid le matin en plein mois de septembre. Et puis tous les aéroports se ressemblent.
Sortie de la zone internationale, elle s’est imposée à moi partout où je posais les yeux.
L’air lui-même avait un parfum d’Afrique
c’est quoi un parfum d’Afrique ? C’est un truc qui flotte dans l’air indescriptible et pourtant tellement palpable, un truc qui vous rend plus léger, un truc essentiel qu’on n’a pas ici en Europe malgré toutes nos richesses.
C’est ce truc-là que j’étais venu chercher. Et il est partout. Dans le paysage, dans le parlé haut, chantant et tour à tour agressif, il est dans les éclats de rires, dans les scènes de rue, dans la simplicité d’un matin aux teintes roses et or de Vohémar, dans le désordre des rues, dans les rendez-vous manqués, aux pas de danse chaloupés sur les pistes enflammées.
Je l’ai trouvée mon Afrique. Toujours belle, toujours rebelle, indomptée et sauvage, fière et poussant ses enfants vers l’avant, maternelle par sa douceur et violente par son envie féroce de réussite.
Je l’ai retrouvée mon Afrique, celle qui veut porter haut ses couleurs, celle qui ne laisse pas traîner ses fils, celle des contrastes. J’ai retrouvé son bruit caractéristique, ses parfums envoûtants, ses silences, ses lumières, toutes ses lumières
Je l’ai trouvée belle mon Afrique, parce que surprenante. Pourquoi l’Occident ne la voit-elle pas avec mes yeux ? Il faut donc être né là-bas pour en ressentir toute la beauté ?
En Occident, moi je les trouve belles leurs rues, leurs monuments
Pourtant je n’y suis pas née
Pourquoi eux ne voient que nos gosses qui sniffent de la colle, affamés et pleins de morve séchée
Le regard est souvent sélectif, il est tellement sélectif
Vohémar
deux semaines de lutte acharnée, pour décrocher des rendez-vous. Nous n’en finissions plus de parler. Parler, parler, parler et encore parler.
Parler entre nous d’abord, pour une fois de plus comme les chrétiens se récitent le Credo, se redire pourquoi nous sommes là, ce que nous voulons, qu’elles sont les motivations de chacun. Se mettre d’accord. Etre raccord. Avoir un discours cohérent.
Parler aux acteurs de la vie scolaires directement en contact avec les jeunes de la circonscription lors d’une réunion extraordinaire. Leur redire qui nous sommes, ce que nous venons faire là, qu’elle est notre but et leur demander de nous épauler
parce qu’on n’aide pas les gens sans les concerner, sans les embarquer dans l’aventure.
Nous ne voulons pas venir en sauveur à Vohémar avec nos livres, nos ordinateurs, notre savoir un peu arrogant. Non, nous venons en amis, en partenaires d’un développement que nous espérons durable.
Et il ne sera durable que si tous les enjeux sont compris par les premiers concernés que sont les habitants.
Parler également aux autorités de l’Etat pour qu’ils nous soutiennent
En effet, comment demander un soutien aux communes de France, quand nous n’avons pas de soutien de Madagascar
impensable.
Nous avons parlé et nous avons été écoutés
au-delà de nos espérances. Le proviseur du lycée Mixte de Vohémar nous a dit un jour au tout début de l’aventure que » Madagascar était un cimetière de projet « , en 2005 lors de notre passage à Vohémar il a déclaré que » Le Collectif Tanora a fait voler en éclats leur pessimisme longtemps contenu » ! »
Je pense pouvoir avancer sans trop risquer de me tromper, que cette phrase est la plus troublante qu’il m’ait été donné d’entendre. Troublante parce que moi une gosse de France, anonyme parmi tant d’autres, avec mes amis et tous ceux qui ont cru en nous, avons réussi à faire voler en éclat » un pessimisme longtemps contenu « . Rare et précieux moment. Il n’a pas dit merci. Juste que nous avons fait reculer ce foutu pessimisme. Trop rare et tellement précieux.
Nous sommes rentrés en France voilà bientôt deux mois, portant en nous des promesses que nous nous devons et que nous leur devons de tenir. Nous avons un rendez-vous avec Vohémar que nous ne pouvons pas rater. Trop d’espoirs sont en jeu
Pourquoi je me livre à vous de cette façon presque impudique ?
Tout simplement parce qu’en janvier 2006, nous démarrons une vaste campagne de communication, de recherche de subvention
Plus nous serons nombreux, plus nous irons vite dans la réalisation du projet, et plus celui-ci sera riche de l’apport de chacun
Je suis à la disposition de tous pour faire découvrir l’univers du Collectif Tanora, le projet, Madagascar ou juste pour échanger des idées (et c’est déjà beaucoup
)
[email protected]///Article N° : 4253