Déclaration de Praia

Des ministres s'engagent pour l'emploi des jeunes dans l'économie créative en Afrique

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Du 28 au 30 novembre 2013, s’est tenue à Praia (Cap-Vert) une réunion ministérielle de haut niveau, organisée par l’Unesco et le Gouvernement du Cabo Verde, pour promouvoir l’emploi des jeunes dans l’économie créative en Afrique. À l’origine de cette initiative, une double ambition : d’une part, parvenir à construire une approche multisectorielle novatrice sur cette question capitale de l’emploi des jeunes en Afrique, et d’autre part renforcer par ce biais la prise en compte des industries créatives dans les stratégies de développement des pays africains. Durant trois jours, ministres et décideurs politiques de 8 pays, représentants de diverses agences des Nations Unies, experts internationaux et jeunes entrepreneurs culturels ont échangé sur ces sujets. À l’issue de la réunion, a été adoptée la Déclaration de Praia qui présente leurs principales recommandations.

L’enjeu est de taille. Actuellement, environ 200 millions de jeunes Africains sont sans emploi sur le continent et ce nombre pourrait encore augmenter. Les jeunes représentent 60 % des chômeurs en Afrique. Le 28 novembre dernier, lors de la session d’ouverture de la réunion ministérielle de Praia, Lawrence Ndambuki Muli, jeune expert en politiques publiques de l’Observatoire Africain de la pratique politique et des Etudes sur la jeunesse, n’a pas manqué de rappeler quelques chiffres clés : 70 % des Africains ont aujourd’hui moins de 35 ans. Compte tenu de l’évolution démographique du continent qui devrait compter 1,8 milliard d’habitants en 2050, le nombre de jeunes Africains aura doublé d’ici là. Entre 2000 et 2008, la population active africaine a augmenté de 25 % : soit, ces dix dernières années, 91 millions de personnes supplémentaires sur le marché du travail. Aujourd’hui, seuls 37 millions d’Africains ont des emplois salariés et 46 % de la population active africaine vit avec moins d’1,25 dollar US par jour. Si les projections démographiques se confirment, celle-ci équivaudra en 2045 à 1 milliard de personnes, c’est-à-dire plus que les populations actives de la Chine et de l’Inde réunies.
Ces données donnent la mesure du défi à relever. En 2011, lors du 17e Sommet de l’Union Africaine, à Malabo (Guinée Equatoriale), les Chefs d’États s’étaient engagés à faire baisser le taux de chômage sur le continent de 2 % par an. L’objectif est loin d’être atteint. Pour tenir cet engagement, la Banque mondiale et la Banque africaine de Développement (BAD) estiment que le continent devrait afficher un taux annuel moyen de croissance économique de 13 %

« Changement de paradigme » ?
Dans un tel contexte, renforcé par l’actuelle campagne internationale pour la prise en compte de « la culture comme objectif dans l’agenda de développement post-2015 », comment ne pas saluer l’organisation de la Réunion ministérielle de Praia ? En proposant de construire une approche intégrée, elle avait pour objectif de souligner le potentiel encore inexploité des industries culturelles et créatives (ICC) en termes de création d’emplois et plus largement leur rôle dans le développement durable.
De nombreuses études sur l’économie de la culture le démontrent : les ICC peuvent constituer un véritable gisement d’emplois, particulièrement en phase avec les compétences et les désirs de la jeunesse mais pour cela, elles doivent être au cœur de politiques publiques transversales et innovantes ancrées dans les secteurs de la culture, de l’emploi, de l’éducation et de la jeunesse. C’est donc pour discuter de la définition mais aussi et surtout des obstacles à la mise en œuvre de telles politiques que la Réunion de Praia s’est tenue. Au regard de la politique culturelle ambitieuse et novatrice que développe le Cap Vert depuis quelques années, il était logique que ce pays accueille et coorganise cette rencontre.
Lors de l’ouverture de la réunion, le ministre de la Culture du Cap Vert, Mario Lucio Matias de Sousa Mendes, a présenté les principales réalisations de sa politique menée dans le cadre d’un plan stratégique intersectoriel pour la culture. Création d’une véritable Banque de la Culture, adaptée aux besoins et aux réalités du secteur culturel local ; mise en place d’un cluster des industries créatives ; lancement de trois Réseaux nationaux de diffusion – l’un pour la distribution de l’Artisanat, le second pour la diffusion des arts vivants et le troisième réunissant les musées ; ouverture du Bureau Export de la musique et des biens culturels du Cap Vert ; tenue de la première édition de l’Atlantic Music Expo … Le dynamisme, la transversalité et l’innovation de la politique culturelle cap-verdienne ont été salués par tous les participants. « C’est un changement de paradigme », a insisté le ministre de la Culture du Cap Vert, avant de rappeler : « Cette dynamique est possible parce que nous avons le soutien d’autres ministères en particulier celui des finances. »
Ce soutien décisif et plus largement l’appui du gouvernement cap-verdien dans la mise en place d’une politique ambitieuse pour le développement des ICC n’a pas manqué de faire réagir les autres ministres et décideurs politiques présents à la Réunion, représentant respectivement l’Angola, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigeria, le Sénégal et Sao Tomé et Principe.

La culture, en phase de décloisonnement politique ?
Dans chaque pays, des initiatives se mettent en place ou fonctionnent déjà. Au Nigeria, le Ministère de la culture, du tourisme et des Affaires religieuses a mis en place un fonds pour faciliter les productions de Nollywood et soutenir la création d’emplois. Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, des fonds d’appui à la production cinématographique sont relancés. Mais partout, le constat demeure le même. Ces mesures sont très insuffisantes au regard de l’ampleur de la demande et des besoins du secteur. C’est pourquoi la nécessité d’une volonté politique portée au plus haut niveau des États est apparue indispensable.
La Déclaration de Praia, adoptée à l’issue de la réunion, relaie cette préoccupation commune puisqu' »un appel est lancé à l’attention des Premiers Ministres des pays de la sous-région afin d’organiser un Sommet sur l’économie créative et l’emploi des jeunes dont les résultats et les recommandations seront soumis aux Chefs d’Etat ».
La culture serait-elle enfin en phase de décloisonnement, de « tranversalisation » politique ? La réunion ministérielle de Praia et le Symposium sur le financement de la Culture, organisé par l’UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine), du 12 au 14 décembre 2013 à Ouagadougou (Burkina Faso) sont des signes encourageants. Tout comme la présence à Praia de hauts responsables d’autres secteurs – ministre de la Recherche et de l’enseignement supérieur du Cap Vert ; directeur général de la Promotion de la Jeunesse au Ministère de la Jeunesse, de la Formation professionnelle et de l’Emploi du Burkina Faso ; directeur général de l’Agence d’Études et de Promotion de l’Emploi de Côte d’Ivoire – ainsi que d’un représentant de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (UNIDO).
Mme Anne-Thérèse Ndong-Jatta, directrice du Bureau régional de l’Unesco à Dakar, qui coorganisait l’événement, n’a eu de cesse de rappeler l’importance de cette approche intégrée : « il nous faut définir des mécanismes capables d’apporter une réponse multisectorielle au défi de l’emploi des jeunes en Afrique. Cette démarche doit s’appuyer sur d’autres partenaires tels que la Commission de l’Union Africaine (AUC), les Communautés économiques régionales (REC), des organisations de la société civile (CSOs) et d’autres partenaires du développement. Notre réunion doit marquer un changement. Nous avons besoin d’une pensée critique, de nouvelles idées, a-t-elle martelé en session plénière.

Soutenir les entreprises inclusives
En marge des plénières, trois ateliers étaient organisés afin de débattre plus précisément de l’élaboration de ces politiques intégrées. Le premier panel avait pour thème : « liens entre les politiques d’éducation professionnelle et technique et l’emploi des jeunes pour l’économie créative ». Mme Ayélé Adubra, consultante en éducation et en formation professionnelle, y a plaidé pour « la mise en place d’un système de Développement des Compétences Techniques et Professionnelles (DCTP) de haut niveau, adapté aux industries créatives » tout en reconnaissant que celles-ci étaient jusqu’à présent absentes de la quasi-totalité des politiques actuelles de formation professionnelle dans les pays africains. Comment améliorer l’employabilité des jeunes dans l’économie créative ? Cette question centrale a été longuement débattue et fait l’objet de recommandations spécifiques dans la Déclaration de Praia.
Le deuxième panel proposait à ses participants un échange de vues sur le rôle des politiques culturelles actuelles autour d’une question centrale : « les arts, le patrimoine et l’infrastructure culturelle au cœur de l’économie créative : quelles politiques pour favoriser la création, la production, la distribution des produits et services culturels ? »
En introduction, le Dr Jenny Fatou Mbaye, chercheuse au African Centre for Cities (ACC) à l’Université du Cap (Afrique du Sud), a insisté sur « entrepreneuriat d’une jeunesse créative [qui]devrait être perçue comme une partie centrale des stratégies principales de développement, à même de transformer la créativité et le capital humain en une croissance et un développement durable avancés. »
Selon la chercheuse, « la reconnaissance des micro, petites et moyennes entreprises (MPME) comme moteurs d’entreprises inclusives en Afrique subsaharienne est particulièrement pertinent pour la promotion d’une économie créative en Afrique, et l’emploi des jeunes en son sein. En effet, ces entreprises créant de la valeur en améliorant la situation de la population, et se caractérisant par la complémentarité de leurs objectifs commerciaux et de développement rappellent le rôle double que jouent les entreprises actives dans l’économie créative. Celles-ci participent à la fois à un domaine important pour l’investissement dans la nouvelle économie du savoir ; et sont un moyen efficace de renforcer les valeurs spirituelles et l’identité culturelle (UNIDO, 2013, p. 8) »
Enfin, le troisième panel avait pour thème « Chômage des jeunes et croissance inclusive : quelles politiques d’appui à entrepreneuriat dans le secteur culturel et créatif ? M.Marlen Bakalli, de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (UNIDO) y a également souligné le rôle essentiel des micros, petites et moyennes entreprises (MPME) dans le développement de entrepreneuriat des jeunes au sein de l’économie créative. Tout comme l’ont fait, les jours suivants en séance plénière, Mme Claudia Leitao, ex-Secrétaire Nationale de l’Économie Créative au Brésil ; Mme Lala Deheinzelin, l’une des pionnières de l’économie créative au Brésil et M. Francisco d’Almeida, délégué général de l’Association française Culture et Développement.

La Net Generation donne de la voix
Si tous les experts s’accordaient donc à reconnaître la pertinence d’un soutien aux MPME culturelles pour promouvoir l’emploi des jeunes, il était important d’écouter également les témoignages et les recommandations de jeunes entrepreneurs. Deux jeunes femmes, chefs d’entreprise, étaient donc invitées à partager leur expérience et à émettre des recommandations : Mame Diarra Bousso Gueye, créatrice-styliste sénégalaise et Marceline Fleure Brou Ndoua, créatrice d’une agence web sportive en Côte d’Ivoire.
Si leurs activités diffèrent, les deux entrepreneuses semblaient se rejoindre sur l’essentiel. Au commencement de leur projet, elles n’ont bénéficié d’aucun soutien extérieur et n’ont dû compter que sur leurs fonds propres. D’autre part, l’essentiel du développement de leur entreprise se fait aujourd’hui grâce à Internet et aux technologies de l’information et de la communication (TIC).
Internet, tous les jeunes entrepreneurs invités dans le cadre de cette réunion ministérielle (intervenants ou rapporteurs des panels thématiques) se sont avérés ultra-connectés. Parfaits représentants de la Net Generation, ils maîtrisent avec une grande aisance l’outil devenu central non seulement dans leurs activités professionnelles mais aussi dans la stratégie de développement de leurs entreprises. Tous ont plaidé pour un meilleur accès et une formation des jeunes aux TIC. « Pas de business sans Internet » ont-ils martelé à l’attention des responsables politiques présents. Leur message a-t-il été reçu ? Rien n’est moins sûr. Au fil du débat, un fossé générationnel semblait se creuser.

À l’issue de deux jours de débats et d’échanges intenses, la première version de la Déclaration de Praia « Une approche multisectorielle pour promouvoir l’emploi des jeunes dans l’économie créative en Afrique » a tout d’abord été lue et discutée en séance plénière puis corrigée avant d’être adoptée.
Le 30 novembre, lors de la cérémonie de clôture à l’Assemblée Nationale, le Premier Ministre du Cabo Verde, Dr José Maria Neves, s’est joint à l’ensemble des ministres présents, auteurs de la Déclaration, pour s’engager dans sa mise en œuvre. « La Déclaration doit donner lieu à des projets pilotes dans le domaine de l’économie créative », a-t-il souligné. « Il est essentiel que nos pays arrivent à un accord politique sur ces questions. Au Cabo Verde, un changement de paradigme est déjà en cours ». Tous les ministres et hauts responsables politiques présents, principalement originaires de huit pays, se sont engagés pour mettre en œuvre et suivre la Déclaration de Praia.
Pour l’Unesco, cet appui à une approche intégrée en faveur de l’emploi des jeunes contribuera aux mises en œuvre de sa Stratégie opérationnelle pour la priorité Afrique (2014-2021) et de sa Stratégie opérationnelle pour la jeunesse (2014-2021). Il s’inscrit également dans les perspectives du Congrès international d’Hangzhou « La culture : clé du développement durable » qui s’est tenu en Chine en mai 2013.
Alors que se déroule une campagne internationale pour la prise en compte de « la culture comme objectif dans l’agenda de développement post-2015 », la Réunion ministérielle qui vient de se tenir à Praia et la Déclaration à laquelle elle a donné lieu revêtent une importance considérable. Le texte suggère « d’inclure dans la programmation des Nations Unies un soutien accru aux États pour la mise en œuvre des plans d’action, des programmes pilotes comprenant un dispositif de suivi et d’évaluation ». Suivi et évaluation, tels sont bien, effectivement, les maîtres mots.

///Article N° : 11940

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Les images de l'article
Le Ministre de la Culture de CI, le Ministre de l'Education du Ghana et le SG du Ministère de la Culture du Sénégal et Melle Bousso Gueye © DR





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