Des écrivains aux voix multiples

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Dans un pays ballotté par l’Histoire, l’écrit se fait le miroir de la politique, ce qui finit par poser la question du devenir de la littérature. Exploration.

« Nous venons au monde pour nommer : gare à qui nommera sa perte ou sa honte. »
Sony Labou Tansi

Il est clair que le paysage littéraire congolais s’est diversifié, étendu et agrandi. En dehors des œuvres purement littéraires aux préoccupations essentiellement esthétiques, nous voyons arriver depuis un certain temps sur le marché du livre une floraison d’écrits à classer surtout dans le domaine des sciences humaines.
Les hommes politiques ne sont plus restés en marge et veulent désormais rivaliser avec les initiés, spécialistes et praticiens en la matière, leurs aînés dans le domaine littéraire, pour faire carrière dans la littérature. C’est une nouvelle race d’écrivains qui, tentée par la force des choses et l’envie d’écrire, se laisse aller là où le vent les emporte en écrivant, chacun selon sa convenance, sur n’importe quel thème.
Le thème en soi n’est pas mauvais, seul l’écrivain est mauvais. Lorsqu’on regarde de près ce genre de littérature, elle nous renvoie à des approches théoriques bizarres laissant planer le doute sur leur qualité. On voit ces écrits ne pas répondre aux exigences littéraires pratiques. Et on se prend à se demander pourquoi ils se mettent maintenant à écrire. L’inventaire des registres existants donne une diversité allant de l’assemblage de discours purement politiques à de la littérature véritable. Mais leur sève n’est nourrie que des envolées politiques.
Parler de ces écrivains aux voix multiples aujourd’hui, c’est tenter de prendre la mesure d’une écriture et finalement dresser un bilan à la fois honorable et décevant depuis la « fameuse révolution » jusqu’à nos jours, c’est-à-dire depuis le « J’accuse la Chine », de Fulbert Youlou (1966) jusqu’à « Le manguier, la souris et le fleuve » de Denis Sassou Nguesso (1997). Ces écritures retracent en filigrane toutes les velléités politiques, la démarche et la logique d’un peuple déboussolé, désorienté par des « slogans révolutionnaires » désabusés et exagérés, en mal de démocratie. Parce qu’elle est dévoilement d’une certaine culture, celle de l’étape dite de la « révolution et construction nationale » (1) et de la « stratégie de la guerre subversive » (2) où tout « phénomène social scientifique qui fait partie du mécanisme révolutionnaire » (2) est renvoyé aux calendes grecques. Parce qu’elle est aussi conscience nationale où à coup de « slogans » et de « retroussons les manches », ces nouveaux hommes politiques vous rabattent les oreilles et, dans cette effervescence politique, veulent écrire des mémoires pour témoigner de leur temps. Malheureusement, à cause de la « mobilisation populaire » et au nom de la « révolution », une euphorie inouïe s’installe, conduisant le pays dans la « médiocrité » dont parle Sony Labou Tansi. Des ingrédients s’infiltrent alors partout (c’est-à-dire dans tous les milieux) comme fléau et produisent une mauvaise littérature. C’est tout un destin national qui prend le coup. Et on s’interroge alors sur ce que devient la littérature congolaise…
Heureusement, tous ne sont pas partis dans la même voie. Quelques voix résistent : Jean Malonga, Tchicaya U Tam’si, Sylvain Ntari Bemba, Guy Menga, Jean Pierre Makouta Mboukou… D’autres font le jeu, très futés, et jouent avec les mots pour ne pas avoir un « mauvais sang » (3). C’est le cas de Maxime Ndébeka, Tati Loutard, Letembet Ambily, Henri Lopès. Ils ne se laissent pas non plus trop écraser par les écrivains révolutionnaires en mal d’une idéologie dogmatique, puisque « la tactique communiste en Afrique a renoncé à toute doctrine, elle est destructive et sanglante, raciste et antireligieuse. Aucune réalisation économique ne peut être portée à son compte. Toute l’aide est dirigée vers les individus, les mouvements et les rébellions, les syndicats et c’est efficace quand on sait la foule d’oisifs africains qui entoure le pouvoir des jeunes Républiques et qui pérore et palabre sur les beautés du socialisme » (4) – autant de causes endogènes qui plongent l’Afrique dans la misère, la pauvreté et dans les guerres fratricides. Cette situation interpelle plus d’un écrivain comme Sony Labou Tansi, Emmanuel Dongala, Jean Blaise Bilombo-Samba, Matondo Kubu Turé… Fort prisés, les écrits révolutionnaires sont par ailleurs prédominants et gagnent presque toute les sphères de la société. C’est pourquoi on peut trouver des écrits du genre « Tribu-classe » de Pascal Lissouba (1966) ou « Congo » d’Alphonse Massamba-Débat (1967) sous forme de tapuscrits circulant entre les dits révolutionnaires pour une véritable subversion.
Quoi qu’il en soit, le verbe politique et le slogan révolutionnaire font bon ménage et abondent dans le pays en se revêtissant d’un sursaut national. Depuis lors, on assiste à une prolifération d’écrits insignifiants ou « inclassables », pour reprendre le terme de Tati Loutard dans la préface de « Piment sucrés sous les tropiques » de Bénoît Moundélé Ngollo (1997). Ces écrits circulent dans le pays et meublent le soubassement de l’univers littéraire. Ces écrivains, qui s’autoproclament comme tels, se lancent de plus en plus dans cette aventure comme si c’était un simple jeu où chacun fait preuve de détermination. Tous ces politiques vont publier à compte d’auteur en Europe où ils mettent en jeu leurs moyens personnels. Citons parmi tant d’autres : « La trilogie déterminante ; Sêlé-sêlé ; Le mauvais cadre agricole ; Tokolonga ou le Socialisme triomphera » de Jacob Okanza (1975), « Combat pour un sport africain » de Jean Claude Nganga (1979), « La vie de Marien Ngouabi » de Théophile Obenga (1980), « La réalité congolaise » de Gilbert François Gakosso (1983), « La mort de Boganda » de Letembet Ambily (1983), « Pour l’Afrique » de Denis Sassou Nguesso (1987), « La pensée philosophique Matsouaniste » de Bernard Kolelas (1989), « Tous solidaires pour un Congo radieux » de Xavier Okota-Ebale (1987), « Contribution dynamique à la résolution des problèmes congolais pendant la conférence nationale » de Sébastien Matingou (1991), « Itinéraire d’un Africain vers la démocratie » de Jean-Pierre Thystere Tchicaya (1992), « Congo, la transition escamotée » de Guy Menga (1993), « Le sens du devoir » de J.Marie Mokoko (1995), « Congo : les fruits de la passion partagée » de Pascal Lissouba (1997), « L’histoire de rat » de Joseph Mampouya (1998), « Le prix à payer » de Claude Ernest Ndalla, « Les dessous de la guerre du Congo-Brazzaville » de Paul Soni (1998), « Brazzaville à sang et à feu » de Norbert Dabira (1999), « La conquête de la paix » de Jean François Obembe (1999), « Sauces piquantes servies chaudes » de Benoît Moundélé Ngollo (2000), « Beto na Beto ou le poids de la tribu » d’Aimée Gnali Mambou (2001), « Bouillon de sang » de Youlou Bakith (2001), « Propos rescapés d’un solitaire » d’Aimé Emmanuel Yoka (2001)…
Dans cette panoplie d’écrivains, il convient de signaler aussi ceux qui se sont lancés dans le roman comme « Sur la Braise »d’ Henri Djombo (1990), « Le vent du miroir » de Jean Dellot (2000), tout en restant dans le système, c’est à dire des ministres.
La pertinence de tous ces écrits, c’est qu’ils nous renvoient à une profonde pensée de la vie politique, à la perception idéologique d’une classe bien déterminée – pour la plupart des hommes longtemps restés au pouvoir : la vision politique d’un pays, refoulée par l’Histoire et par tous les événements politiques qu’à connu le Congo. Sans nul doute le reflet ou l’horizon de la pensée politique d’un pays déchiré dans le lointain comme dans le récent, et que bien des générations pourront lire avec le recul du temps.

1. Révolution et construction nationale, Alphonse Massamba-Débat, République du Congo (1966).
2. J’accuse la Chine, Fulbert Youlou (ex président du Congo Brazzaville), Ed. Table Ronde (1966).
3. Mauvais sang, Tchicaya U Tam’si, Ed. J.P. Oswald, Paris (1955), réed. L’Harmattan 1999.
4. Fulbert Youlou , J’accuse la Chine, pp 114-115.
A. Singou-Basseha est écrivain et journaliste. ///Article N° : 2112

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