Des livres et des auteurs

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Jusqu’au 10 mai 2014 se tiennent les 20 ans de la Bouquinerie d’Anjouan, l’une des rares enseignes comoriennes à croire en une puissance des mots par le livre. Une dizaine d’auteurs conviés, des lecteurs par centaine et des concours d’écriture, transformant l’île d’Anjouan en club des lettres à ciel ouvert.

Fondée en 1994, la Bouquinerie d’Anjouan convie lecteurs et auteurs à danser sur les mots en ce mois de mai 2014, dans un pays où la lecture demeure une équation à plusieurs inconnues. Car s’il est vrai que le parlement de l’Union des Comores a surpris son monde, en s’engageant, il y a quelques semaines, dans un processus de ratification des accords de Florence sur la non-taxation des biens culturels en circulation, le livre y reste quand même un objet à la marge. « De nombreuses contraintes pèsent sur lui », explique Isabelle Mohamed (auteure sur Africultures de l’article « Comores : des fous et des livres » ), patronne de la Bouquinerie d’Anjouan, dans un échange récent avec le quotidien national, Al-Watwan(1).
Entre autres exemples, elle citait le fait que Les Comores, « marché restreint », se situaient loin des circuits de diffusion consacrés. « Il faut donc acheminer les livres. Ce qui constitue une charge importante ». Faire libraire revient, alors, à commettre un acte de militance. « L’objet livre, pas forcément très abordable sur son marché d’origine, doit payer son voyage jusqu’à un hypothétique lecteur sans pouvoir d’achat, pour finir par être taxé. Il devient produit de luxe. Sans taxes, l’opération commerciale est déjà très complexe et improbable. Après cela, elle devient suicidaire ».
Outre cela, les Comoriens parcourent les livres, bien souvent pour satisfaire à une manie religieuse ou pour donner l’impression de participer à un mode de consommation culturelle moderne. Rarement pour sacrifier au seul plaisir de chevaucher une langue. Pour cela, ils disposent d’une poétique du verbe assez forte, qui n’a nul besoin de la page blanche pour exister. L’oraliture est partout effective, sur les places publiques, au travers des rites de passage ou encore dans les agoras politiques. Autant d’endroit où la poésie est reine de tous les possibles. En fait, c’est de lire un livre, sans aucune obligation fonctionnelle en vue, qui paraît inhabituel. Un fait assez rare pour être cité dans les débats sur le rôle de l’écriture durant cette fête des mots, qui court du 03 au 10 mai 2014, dans plusieurs cités de l’île d’Anjouan.
Une littérature émergeante
A priori, la seule littérature comorienne publiée et plébiscitée dans les médias comoriens, la littérature d’expression française, paraît plus que démunie face au réel, en comparaison des traditions orales ayant préexistées, dans cet espace. Une littérature encore émergeante, qui n’a que trente années d’existence. Le premier roman comorien d’expression française, La république des imberbes de Mohamed Toihiri, n’est paru qu’en 1985 aux éditions L’Harmattan à Paris. Et le premier récit littéraire en langue shikomori, lui, n’entre dans les librairies qu’en 2011. Il s’agit du Mtsamdu Kashkazi Kusi Misri de Mohamed Nabhane, publié aux éditions Komedit. Ce qui, en regard de ce qui circule, au quotidien, dans l’archipel, ne représente qu’une infime partie de ce qui s’y produit, sur un plan strictement littéraire.
Sans doute est-ce une des raisons d’être de ces 20 ans de la Bouquinerie d’Anjouan, dans la mesure où l’événement, en conviant des auteurs à rencontrer le lecteur, rappelle à tous que le livre permet plus de partage lorsque les mots échappent à l’écrit. Le livre autorise à revenir sur l’imaginaire de son auteur, à en discuter la pertinence. Isabelle Mohamed, qui, à cette occasion, initie lectures publiques, concours d’écritures et causeries de fond sur les textes, en sollicitant tous les âges, tous les niveaux, et sans la moindre subvention institutionnelle, s’entoure d’une petite confrérie d’auteurs et de bénévoles. Certains viennent d’Haïti ou du Congo comme Jean-Euphèle Milcé ou In Koli Jean Bofane, d’autres du pays même tels Anssoufouddine Mohamed ou Aboubacar Said Salim. Et tous ont à cœur cette idée de trafiquer de l’imaginaire à partir des livres.

(1) Article de Al Watwan ///Article N° : 12205

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© Mourchid Abdillah
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