Diaspora et terrorisme dans la Corne de l’Afrique

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Les ouvrages théoriques sur la Corne de l’Afrique et écrits en français sont très rares. Et si l’on met de côté ceux consacrés à la mythique Ethiopie, dans la filiation de l’éthiopianisme français, la bibliographie se réduit à la peau de chagrin. Il existe depuis une dizaine d’années un groupe hétéroclite de chercheurs français s’intéressant à cette partie du monde : certains sont politologues comme Gérard Prunier, Roland Marchal, Colette Dubois, M-A. Pérouse de Montclos ou Daniel Compagnon, d’autres sont linguistes comme Didier Morin ou Marie-Claude Simeone-Senelle, d’autres enfin littéraires comme le très généreux Jean-Dominique Penel, excavateur de textes anciens qui a montré toute l’étendue de sa passion ailleurs qu’à Djibouti, en Centrafrique, au Niger et, à présent, en Gambie. Chaque livre paru est un coin de voile qui se lève, une pierre nouvelle pour consolider la fragile fondation.
Voici un ouvrage de sciences politiques sur la Somalie, un pays sans Etat depuis la chute de la dictature de Siad Barre en 1991 et qui n’est plus directement sous les feux de l’actualité depuis la débâcle de l’opération américaine Restore Hope, déclenchée en décembre 1992 à la suite de l’échec de la mission de l’ONU (UNISOM I). Son auteur M.A Pérouse de Montclos, chercheur à l’Institut de recherche du développement (IRD), connaît la région et a travaillé plusieurs années au Kenya voisin. Son étude, qui s’est déroulée, de l’aveu de l’auteur, sur cinq ans à partir de 1996, était conçue dans le cadre d’un programme d’études sur les réfugiés. La région est riche, on le sait, en conflits et en réfugiés. Les fameux shiftas somalis ballottés entre les frontières et maltraités tant par les soldats éthiopiens que par leurs collègues kenyans, loin de leur image d’Epinal de bandits et de voleurs de bétail, étaient avant tout des nomades pris en tenaille entre la raideur implacable de Nairobi et d’Addis Abeba et l’irrédentisme officiellement professé par le régime de Mogadiscio. Inutile de dire que cette politique, toute légitime qu’elle soit, fut coûteuse pour ne pas dire suicidaire.
En dépit de son titre racoleur, cet ouvrage sérieux a le mérite d’aborder la Somalie (la péninsule mais aussi sa diaspora jeune et tumultueuse) depuis plusieurs angles. L’auteur tente d’analyser les raisons qui ont présidé à la destruction de ce pays par ailleurs culturellement, linguistiquement et religieusement homogène. Récemment, les autorités américaines suspectèrent la Somalie de servir d’abri à des sympathisants de la mouvance de M. Oussama Ben Laden ; c’est l’occasion pour M-A. Pérouse de Montclos de se pencher sur les spécificités de l’Islam qui a cours dans ce pays avant de s’interroger sur la triade diaspora, trafics (de khat, notamment) et terrorisme. Les groupes fondamentalistes n’ont pas réussi à ressouder cette société très fragmentée et, partant, établir une république islamique.
Mais le grand apport de cet ouvrage réside dans la cartographie fouillée de la diaspora somalienne, éparpillée sur tous les continents :  » on estime qu’entre les trois quarts et les quart cinquièmes d’une population de 8 à 9 millions d’habitants ont été chassés de chez eux par un conflit qui, avec la famine, aurait fait plus de 300 000 victimes. Un Somalien sur six a dû quitter son pays « . D’où, une série de mutations individuelles et collectives que l’auteur recense, d’où le cortège d’obstacles sur le chemin de l’exil comme le dénigrement, le racisme, l’exploitation etc. Cependant cette diaspora très fragile subvient à hauteur de 20% des besoins essentiels de la population demeurée en Somalie. Hélas, elle finance tout aussi largement les groupes armés qui sèment le chaos et renvoient aux calendes grecques l’avènement d’un Etat nouveau. Cet état de guerre permanent est pain béni pour les chefs de guerre, plus mafieux que claniques, et qui pour tout l’or du Paradis ne lâcheront pas leurs kalachnikovs.
Au final, pas de scoop sur les liens entre Al Qaida et la péninsule somalienne, mais une analyse passionnante d’un pays et d’une région complexe et ignorée. Mieux, la première cartographie à peu près complète de ce que j’ai appelé, ailleurs, le  » peuple en marche « , autrement ces millions de personnes sans Etat, ce pays en exil de lui-même.

Diaspora et terrorisme, de Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Presses de Sciences Po, Paris, 2003, 24 euros.///Article N° : 3139

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