Du fait social à l’état sauvage

À propos de l'exposition Domestiquer de Jérôme Havre

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D’origine martiniquaise, l’artiste multidisciplinaire Jérôme Havre, né en France en 1972, vit actuellement à Montréal, d’où son œuvre rayonne au Canada et au-delà en Amérique, en Europe et en Afrique. Longtemps marqué par des problématiques post-coloniales, il touche dans sa dernière exposition à des interrogations plus fondamentales. Le titre « Domestiquer » n’est-il pas le maître mot de la civilisation dans toute son ambiguïté ? Étymologiquement, il implique d’acclimater à vivre en intérieur à la maison (domus), au service de son maître (dominus) mais à l’abri des intempéries, ce qui à l’origine était fait pour la vie sauvage, à l’état libre dans la forêt (silva). Il s’agit donc d’apprendre à vivre en société, entre quatre murs que bien peu distingue de ceux d’une prison, ou du moins du grillage d’une cage – permettant la communication avec l’extérieur tout en en interdisant l’accès.
C’est dans un tel environnement que Havre accueille le visiteur, ayant peint les murs de la galerie d’un motif géométrique à l’entrelacs répétitif comme celui d’un tissu, empiétant légèrement sur le plancher à la manière des plis d’une robe, ce qui souligne la continuité entre enclos physique et enrobage symbolique, d’un seul tenant dans le fait social auquel s’asservit l’être humain afin de s’affranchir des aléas de l’état de nature. Les textiles qui le démarquent de celui-ci en cachant sa nudité dans le vêtement de la culture ne sont-ils pas des grillages qui l’enserrent jusque dans son intimité ? Reprenant par le recours aux tissus le fil de sa démarche de sculpteur, Havre s’en sert également comme d’une peau : c’est celle de coton exotique bigarré de ses homoncules acéphales aux corps sans organes qu’il appelle Holothuries, du nom scientifique des concombres de mer qu’évoquent leurs inexplicables protubérances. Ces hybrides polymorphes pervers se juchent sur leurs cothurnes en équilibre précaire au-dessus du gouffre béant à même leur piédestal, comme si celui-ci ne tenait lui-même debout qu’en vertu de cet enjambement dont dépend la station verticale, soit l’effort de prendre constamment sur soi en un défi à la gravité qui définit l’humain par rapport à l’animal. Leur rapport intime est pourtant assumé ici à un niveau élémentaire par ces adorables et troublantes figures inhumaines, vaguement biomorphes, qui flottent entre les règnes tels des racines de mandragore, induisant en nous on ne sait quelle atavique nostalgie.
De même, l’appel de la jungle comme habitat premier est mis en scène et en boîte sur les murs dans le cadre de photos de cages de zoo, où son environnement est sommairement reconstitué avec de la terre et des branchages dans une pièce fermée, à l’éclairage artificiel tamisé pour simuler la canopée. Dans un tel jardin d’acclimatation à la domesticité, l’animal enfermé est confortablement abrité des éléments par leur simulacre étouffant. La culture fait-elle autrement pour l’être humain par son imitation de la nature, qui devient à la fois plus ostentatoire et plus contradictoire au fur et à mesure qu’elle l’en aliène ? Tel est l’inquiétant soupçon tapi dans la pénombre de cette forêt en chambre où l’artiste attire sournoisement le visiteur désorienté par la confusion des genres humain, animal et végétal, du vital et du social.

Jérôme Havre
Domestiquer
Galerie Donald Browne,
372 rue Sainte-Catherine Ouest, local 528
Montréal
Tél. : +1 (514) 380-3221
[www.galeriedonaldbrowne.com]
Du 7 janvier au 18 février 2012
///Article N° : 10588

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Les images de l'article
Exposition Domestiquer © Jérôme Havre
Exposition Domestiquer © Jérôme Havre
Exposition Domestiquer, invitation © Jérôme Havre
Exposition Domestiquer, vue d'ensemble © Jérôme Havre
Exposition Domestiquer © Jérôme Havre
Exposition Domestiquer © Jérôme Havre





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