Eboussi Boulaga dans la brousse roussie de la langue française : « On peut bien s’approprier la langue française »

Print Friendly, PDF & Email

Pour nous, il y a un problème de la langue qui a été soulevé. Le français n’est pas forcément inapproprié. On peut se l’approprier, et la langue appartient à celui qui en use et qui la maîtrise. Donc, on peut sentir cette tension d’être toujours l’hôte du français. Comme par exemple Kafka qui disait être l’hôte de la langue allemande et ne pas écrire une phrase sans atteindre une sorte de perfection. C’est un écrivain de langue allemande. Tout le monde sait que c’était un juif de la période de l’assimilation et qui ne s’est pas investi dans les mythologies véhiculées par la langue allemande ou par d’autres écrivains allemands. Du fait de son expérience propre, il a recréé tout un univers fonctionnant avec sa situation de juif de la transition qui n’est pas tout à fait européenne, mais qui l’est aussi. Dans le français, et là nous devons en user de telle manière que nous le recréions et, je crois, tous les poètes même français recréent la langue et nous devons la recréer de telle manière qu’on puisse voir que c’est une recréation.
Il y a sur un autre plan les traductions. Une des pierres de touche de la bonne poésie africaine pour moi, c’est qu’elle puisse être retraduite dans une langue africaine lorsqu’elle est en français. Je crois que la force de quelqu’un comme Philombe qui écrit des sortes de ballades c’est qu’à la limite, on pourrait le retraduire dans une langue béti. Tout comme on peut retraduire (c’est une expérience qui a été faite) Le Vieux nègre et la médaille. Ca veut dire que c’est une langue qui ne résiste pas tout à fait à la traduction. Vous me direz que c’est de la prose. Mais il y a des gens qui se prêtent davantage aux traductions ou aux va-et-vient, parce que cela nous permet de réinventer ce que nous appelons la poésie. Nous l’avons entendu de façon très étroite en disant, il n’y a pas de mots correspondants. Mais nous constatons qu’il y a des genres littéraires comme le mvet qui sont de la poésie. C’est un genre pas tout à fait chanté, qui est mi-chanté mi-récité. Mais il y a d’autres genres élégiaques ou autres qui n’entrent chez nous que sous-forme de chanson.
Il y a des traductions du français ou d’autres langues dans nos langues. Mais il y a aussi l’opération inverse qui est qu’il y a des gens qui se prêtent à la traduction. Nous ferons ce que font tous les gens qui assistent à une renaissance ou à une transformation. C’est-à-dire que nous sommes à une situation constante de traduction et de va-et-vient qui est inévitable pour un certain nombre d’entre nous. Ce que j’ai surtout voulu refléter, c’est la diversité des possibilités. Nous n’allons pas exclure dogmatiquement une espèce ou une autre sans pour autant nous interdire de discuter avec ceux qui pratiquent telle ou telle forme de poésie en prenant les critères qui ne sont pas nécessairement les critères internes au poème. Les critères internes sont valables, mais la poésie n’est pas simplement une affaire intime. On ne parle pas une langue privée ! Une langue est toujours sociale, collective et historique et c’est pourquoi nous ne pouvons pas accepter comme explication que c’est (la poésie) une affaire personnelle. C’est un type de poésie. Il y en a d’autres où le poète est inspiré. Il ne parle donc pas de lui-même, il ne parle non plus de remous internes, de ses effets, etc., donc, il y a une large expérience que nous devons intégrer sans exclure dogmatiquement un aspect ou un autre. La discussion, l’échange sont ce qui m’apparaît comme le remède à nos solitudes, à nos entreprises solitaires et peut-être ferons-nous œuvre très personnelle et peut-être très collective.

///Article N° : 3994

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire