Ecrire aujourd’hui comme hier, c’est tout simplement écrire

Print Friendly, PDF & Email

Y a-t-il une différence entre écrire hier, écrire aujourd’hui ou écrire demain? Cette question est importante parce qu’elle touche en priorité même à l ‘esprit de l’écriture qui, par essence, est atemporelle. On le sait, le livre est la première victoire sur la fragilité de la vie sur terre. Des hommes des ères reculées ont ainsi pu nous léguer les témoignages de leur vie à travers le livre, corollaire incontournable de l’écriture.

Si donc la principale qualité d’une œuvre littéraire, une bonne œuvre, est de résister au temps, on pourrait se demander si par nature l’esprit de la création littéraire peut se laisser emprisonner par les contraintes temporelles que nous impose le mot « aujourd’hui ». Ma première interrogation est ainsi liée au caractère atemporel de l’écriture.
Ma seconde interrogation dépend des ressorts de la création. Si l’on admet que le processus de création littéraire s’impose à nous, soit à travers les muses soit simplement à travers un immense fourmillement interne qui laisse s’épancher en une irruption irrésistible les laves de la création littéraire, on pourrait se demander si cette force, ou cette muse qui nous oblige à écrire change aussi selon les ères.
En clair, ma deuxième interrogation peut s’interpréter ainsi: la muse, lieu de résidence de la création, est-elle sensible à l’évolution du temps? Peut-on contrôler l’éruption des laves littéraires qui s’épanchent par nos encres?
Voilà la deuxième interrogation que pose le mot « aujourd’hui ».
La troisième est liée aux instances de réception de J’œuvre, je pense ici en priorité au public. Ecrire aujourd’hui serait-il suivre les aspirations du public avec l’objectif de lui servir des œuvres à sa convenance ? Une telle littérature, ancrée sur des bases superficielles, peut-elle réaliser son dessein, c’est-à-dire porter le message, se faire lire?
J’en doute, et j’arrive à penser que l’acte d’écriture est un acte forcément égoïste. Cet égoïsme suppose que l’auteur ne saurait parler d’une réalité qui ne touche point son âme au premier plan. Qu’elle soit personnelle ou étrangère, la réalité que l’écrivain décrit doit être la traduction du fourmillement de son intérieur. Si donc nous admettons la faible influence que nous avons sur les muses, la relation étant beaucoup plus unidirectionnelle, on pourrait se demander si l’association « écrire » et »aujourd’hui » a un sens.
L’une des garanties de la production et même de la protection de son œuvre étant son originalité, il devient à mon avis très difficile de jeter les bases contraignantes d’une forme d’écriture embrigadée dans des thèmes qui soient considérés comme littérairement à l’heure, mais qui ne nous émeuvent pas. L’acte d’écriture étant l’ouverture d’une âme ou d’une conscience qui se veut autonome, en tout cas face aux autres individus, il devient difficile de formater cet acte selon les critères que l’on croit littérairement corrects ou à l’heure.
Ma quatrième préoccupation est directement liée à la troisième dont elle constitue le prolongement. Si la nécessité de rencontrer les attentes du public s’ impose, on peut penser qu’écrire peut permettre au monde de sortir du terrorisme, de l’insécurité, de la faim ou des maladies plus proches de nous. Ecrire aujourd’hui serait donc synonyme de produire des œuvres dites engagées. On pourrait alors demander, non seulement à l’auteur d’écrire, ce qui constitue le premier engagement, mais aussi de passer à la deuxième dimension en produisant des œuvres engagées, puis à la troisième dimension, à vivre au quotidien l’engagement que prônent ces écrits. Cette logique de l’écriture engagée semble plus en phase avec l’écrivain porte-parole de son peuple. Seulement, est-ce le rôle de l’écrivain que d’être le porte-parole de son peuple? Je ne crois pas toujours, tant l’écriture, en tout cas à mon sens, est d’abord un acte personnel. Le seul fait de prendre la plume ne fait pas de lui un héros, même si d’autres consciences peuvent décrypter le message qu’il s’efforce de véhiculer dans ses ouvrages.
Si donc écrire aujourd’hui consiste à produire des œuvres qui soient actuelles par leurs thèmes, en admettant que la rencontre entre thème et qualité littéraire se fasse pour le bonheur de l’ouvrage, on pourrait se demander si le succès en serait garanti. Pourquoi ne pourrait-on pas croire que le peuple aspire aussi à l’évasion, à la découverte d’autres réalités, des réalités différentes de celles qu’il vit quotidiennement ?
Écrire aujourd’hui peut-il donc être uniquement la transcription de ce quotidien parce qu’il le faut meilleur ? Et pour le rendre meilleur ? A mon avis, les mensurations qui permettent de prévoir un chef-d’œuvre littéraire n’existent pas. L’écriture semble, en accord avec sa quête de l’esthétique, dotée d’une incertitude que nul ne peut prévoir, surtout à long terme.
A court terme, si on sait le marketing capable d’encenser une modeste production, il est difficile de la faire accepter par la postérité. Si nous admettons en outre que l’écrivain n’est pas journaliste et que la durée de vie d’un article est d’à peine quelques heures, contrairement au livre, nous admettons que la méfiance en ce terme d' »aujourd’hui » est très grande, car le recul et une certaine distance s’imposent face au quotidien. En ce sens, écrire aujourd’hui ne peut donc être facilement accepté comme écrire pour aujourd’hui. Si donc on n’écrit pas forcément pour aujourd’hui, alors peut-être écrire aujourd’hui ne serait aucunement différent d’écrire tout court !
Pourtant l’écrivain, malgré le succès de son œuvre qui transcende le temps, ne peut être que l’écrivain de son temps. Sa formation, son école littéraire, le quotidien qu’il vit influencent forcément l’irruption littéraire dont les laves portent les marques.
Il en a toujours été ainsi de l’histoire littéraire. Si le développement pour nous les africains est la chose la plus importante aujourd’hui, rien et rien ne peut forcer les écrivains africains actuels à en écrire les meilleures pages. Pourtant, l’actualité des œuvres produites il y’a des siècles ne souffre d’aucun doute. Ecrire aujourd’hui me semble tout à fait équivalent d’écrire tout simplement, parce que le livre et l’écriture transcendent les périodes ; parce que les lecteurs ne recherchent pas forcément dans les écrits les tares et la misère qu’ils endurent au quotidien.
J’en arrive à conclure que l’acte de création est un acte de liberté. Liberté par rapport au thème, liberté par rapport au temps, liberté par rapport à lui-même. La seule contrainte est celles des muses qui nous obligent, à l’heure qu’elles désirent, de nous imposer tel ou tel thème.

///Article N° : 3992

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire