Mme Pascale Perraudin, vous êtes PH. D assistant professor of french à Saint Louis University, Etats-Unis. Vous enseignez les langues classiques et modernes. Pouvez-vous nous donner plus d’informations sur vous ?
Tout d’abord, je tiens à remercier les poètes et auteurs camerounais que j’ai pu rencontrer, et plus particulièrement à Jean Michel Jiménez qui m’a mis en contact avec tout ce monde, vous compris. Je suis enseignante de français, de littérature et de culture francophones aux Etats-Unis, ce qui m’intéresse en général en tant que personne et peut-être en tant qu’enseignante ; j’ai toujours ressenti un fort intérêt pour les échanges culturels. Ce que je ressens, c’est un besoin viscéral de m’ouvrir aux autres et d’envisager d’autres façons de penser, d’analyser les choses, de réfléchir. Personnellement, c’est ce que je ressens comme étant unes grande richesse : la possibilité de pouvoir s’ouvrir aux autres, de nouer des contacts. Ce que je cherche à faire en tant qu’enseignante, c’est de procurer cette possibilité aux étudiants, d’élargir leur horizon et de voir un autre monde auquel ils ne peuvent pas avoir accès forcément. Des les amener à être conscients de la présence des autres à travers des films, des textes africains qu’on peut replacer dans le contexte historique, et ainsi de voir les effets que l’histoire a eu sur les gens. J’espère qu’ils pourront prendre conscience des responsabilités qu’ils ont en eux-mêmes, pas seulement vis-à-vis de leurs concitoyens, mais vis-à-vis des autres à travers le monde
Vous enseignez le français aux Etats-Unis à des américains. La tâche est-elle aisée ?
Pas du tout ! Il n’existe pas une même structure d’enseignement des langues qu’on puisse retrouver partout aux USA. L’enseignement des langues varie énormément d’un établissement à l’autre, ainsi que les demandes et les exigences qui y sont inhérentes. De ce fait, il y a des gens qu’ils apprennent le français depuis deux ou trois ans et qui s’expriment bien, tandis que d’autres ont des lacunes assez considérables. Donc, les niveaux varient énormément. Sur un autre plan, je pense qu’il y a un certain isolement aux USA en dépit de toutes les possibilités financières et technologiques dont jouissent les américains. Je ne pense pas que les gens soient conscients nécessairement de l’importance qu’il y a à connaître et maîtriser une langue étrangère, de la maîtrise d’une autre langue qui ouvre à une autre culture, forcément. C’est un handicap certain quand on cherche à enseigner le français aux USA. On a toujours l’impression qu’il faille convaincre les gens, leur convaincre que cette une bonne chose que d’étudier une langue étrangère au-delà de deux ou trois années au lycée ou à l’université. Et que c’est vraiment à travers la langue et la culture qu’on peut réellement apprendre à s’ouvrir à d’autres personnes.
S’agissant de votre séjour au Cameroun, dites-nous ce qui vous y conduit ; êtes-vous parvenue au terme de votre périple ?
Je dois avouer que c’était mon premier voyage en Afrique. Il y a très longtemps, je souhaitais venir en Afrique, mais je n’avais pas la possibilité de le faire. C’est grâce à une bourse de mon université que j’ai réussi à réaliser ce rêve. Pour moi, c’était important de venir, puisque je connaissais l’Afrique à travers mes lectures, les connaissances que j’en avais étaient surtout livresques. Il était donc important pour moi de venir
ce que je voulais également, c’était de trouver d’autres pistes de recherche pouvant m’aider m’imprégner de la littérature camerounaise contemporaine. Grâce à la générosité de tous les écrivains, poètes et universitaires camerounais, je bénéficie pleinement de mon séjour, puisque j’ai rencontré des écrivains et des poètes qui ont bien accepté de parler avec moi, d’évoquer leurs priorités et leurs altitudes, et de me mettre en contact avec bien d’autres personnes de leur cercle.
Vous vous intéressez particulièrement, paraît-il, à la question de la violence dans l’écriture littéraire. Avez-vous réussi à rassembler au Cameroun des éléments pertinents qui intègrent cette thématique particulière ?
Je ne saurai répondre à cette question, du moins pour l’instant, mais j’ai pris connaissance de certains textes qui semblent aller dans cette direction là. Il me semble qu’un certain nombre de textes, poèmes ou nouvelles, font très fréquemment référence à une violence dont la camerounais est victime. Par exemple, les nouvelles de Séverin Cécile Abega où la violence apparaît de façon manifeste dans les textes tirés du recueil Les femmes ne boivent pas le whisky. La violence se manifeste à travers le pouvoir et les excès qui en découlent. J’ai pris connaissance des textes d’Angeline Solange Bonono et d’un autre texte qui vient d’être publié, Le jeu de la vengeance que je n’ai malheureusement pas encore lu. Je vais pouvoir travailler sur tous ces textes pour voir s’il y a des problématiques qui émergent et si elles sont différentes de celles d’autres textes que j’ai étudiés dans le passé. Dans vos textes aussi que j’ai lus, il me semble qu’il y a une récurrence de la blessure, de la douleur et de la misère. Il me semble qu’il y a matière à réformer la thématique que j’ai déjà circonscrite.
Peut-on parler d’un public de la littérature africaine aux Etats-Unis ? Si oui, quel est ce public ? Quels sont ses besoins, ses exigences ?
Je crois qu’il y a effectivement un public américain qui s’intéresse à la littérature africaine. Ce public là s’intéresse également à la littérature venant d’autres continents. C’est un public déjà sensibilisé à des questions qui sont articulées au niveau de la société américaine, telles que le multiculturalisme, le foisonnement des cultures. Je crois que c’est ce même public qui s’interroge déjà sur la société américaine qui a l’envie et le désir de s’arrêter sur les textes africains.
On intéresse aussi les américains à la littérature africaine à travers les programmes de littérature. Dans mon cas précis, étant donné que j’enseigne le français, la plupart de mes étudiants suivent un cursus qui est consacré à la culture et à la littérature françaises. Mais on essaye de les sensibiliser et de les familiariser ave d’autres cultures, mais nous veillons aussi à ce qu’ils soient à même de problématiser leur relation au monde ainsi que la relation qu’un pouvoir dominateur a au monde. Dans mon cas, c’est à travers la position de la France dans le monde. Je les amène à tirer des conclusions sur l’impact qu’un autre pouvoir dominateur peut avoir sur le monde.
La culture américaine écrase le monde et l’aliène à son bon vouloir. Comment ressentez-vous cela, vous qui vivez aux USA.
Je me sens très isolée, en tant que française aux USA. Il y a en effet une culture et un discours dominants qui sont très fortement définis aux Etats-Unis ; il est difficile de ne pas s’y conformer. Tout, dans la culture, invité à se conformer à un modèle dominant, et c’est à près le schéma que vous décrivez de l’étranger ici. Il m’est très difficile d’accepter ce genre de démarche, difficile de l’accepter d’un point de vue philosophique, éthique et culturel. Personnellement, ça m’affecte beaucoup. Je me sens isolée aux USA parce que j’ai l’impression qu’il n’y a pas toujours suffisamment de place pour un vrai échange entre les cultures.
Après mon passage au Cameroun, je ne peux que rentrer aux USA avec une mission plus affirmée de sensibiliser les gens à l’ouverture vers l’autre.
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