entretien de Wilfried Mwenye avec Mal Njam, directeur de galerie

Mal Njam décline l'identité de la peinture camerounaise aujourd'hui

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Quel est aujourd’hui l’état des lieux de la peinture au Cameroun ?
Globalement, je dirai que les arts plastiques se portent plutôt bien au Cameroun. Les succès que rencontrent ces derniers temps les créateurs camerounais à travers le monde ainsi que l’éclosion des galeries d’art au Cameroun, témoignent d’une vitalité exceptionnelle. Bien plus qu’un effet de mode conjoncturel et éphémère, il faut y voir une évolution structurelle qui a connu un tournant décisif au milieu des années 90 et n’a eu cesse de prendre de l’ampleur.
L’actuelle « réussite » camerounaise dans le domaine des arts plastiques tient autant d’un environnement international favorable, que d’un dynamisme soutenu à l’intérieur du pays.
La consécration par la critique et par le marché de nombreux créateurs africains à travers le monde, tels Chéri Samba, Ousmane Sow, l’autorité des grandes biennales continentales telle que « Dak’Art » et la circulation de plus en plus aisée des œuvres dans le sens Sud-Nord et bien plus timidement dans le sens Sud-Sud, ouvrent des horizons qui sortent de l’audience exclusive des collectionneurs marginaux et contribuent de façon déterminante à la promotion, des œuvres et de leurs auteurs.
Il faut par ailleurs noter l’apport substantiel des centres culturels et des services culturels des ambassades, surtout dans le domaine de la formation des artistes et de la diffusion de leurs œuvres. C’est ainsi que dans l’aire francophone d’Afrique et même au-delà, l’action de l’association Afrique-en-Créations relayée par les Centres Culturels Français et par la publication « Revue Noire », a joué un rôle important dans la promotion des artistes plasticiens africains et de leur travail. Les mêmes efforts sont à louer du côté des Instituts Goethe, British Councils et American cultural Centers.
Cet environnement international porteur a rencontré un important écho au Cameroun. Le talent et l’expérience des artistes en nombre et en qualité, conjugué avec l’apparition de centres de diffusion performants tels qu’Africréa à Yaoundé, Doual’art et la galerie MAM à Douala, le début de structuration de l’enseignement, la libéralisation de la presse et les retombées de la politique de développement culturel engagée par le Ministère de la Culture, comptent parmi les clés du rayonnement des arts plastiques au Cameroun.
Quelles sont les grandes étapes qui ont préparé et précédé cet état ? (Thèmes, techniques et influences, etc.)
La lecture de l’évolution des arts plastiques en Afrique dans l’espace et dans le temps, nécessite me semble-t-il, une grille de lecture spécifique, adaptée à la réalité africaine. Tout en se référant aux différentes étapes marquantes de l’histoire « universelle » de l’art, il convient nécessairement de prendre en compte le fait qu’il n’a fallu qu’un petit siècle à l’Afrique pour recoller les wagons de la  » grande histoire « .
Nous proposons ainsi un découpage de l’histoire des arts plastiques au Cameroun à travers six principales périodes.
La période pionnière (1880-1930), est caractérisée par la copie des œuvres des européens et des créations empreintes d’une certaine naïveté.
Le néo-impressionnisme (1940-1960) laisse éclater des couleurs vives et multiplie la représentation des scènes de vie traduisant un certain bonheur à vivre sous les tropiques. Il témoigne d’un début d’appropriation de l’art du chevalet et la marque d’une stylisation de plus en plus originale.
Le néo-symbolisme (1960-1980), qui se développe à l’aube de l’indépendance présente beaucoup d’œuvres manifestant une volonté farouche d’affranchissement politique et l’affirmation d’une identité propre puisant dans les valeurs ancestrales.
Le néo-modernisme (1980-1990), les œuvres de cette période sont d’une maturité qui témoigne des effets des premiers fruits des débuts de la formation académique des artistes. Les œuvres entendent aussi bien explorer le fond que la forme. La tendance à l’abstraction se développe.
l’art contemporain (1990-2000), l’âge d’or peut-être. L’exploration des matériaux, des techniques et des supports d’expression ne semble pas avoir de limite. Sans qu’elle s’inscrive tout à fait dans le courrant de création que « l’histoire universelle » distingue comme art contemporain, beaucoup d’œuvres de cette période interpellent leur époque et leurs contemporains sur la question de la modernité et sur l’idée même de l’œuvre d’art.
L' » art globalisant », est une tendance en gestation qui se développe notamment à la faveur des possibilités offertes par les nouvelles technologies de la communication.
Comment se porte le marché de l’art aujourd’hui dans notre pays ?
Il me semble excessif de parler aujourd’hui de marché de l’art au Cameroun. Les différents maillons qui devraient constituer la chaîne de l’offre et de la demande des biens culturels ne sont pas encore en place dans le pays.
Il y a notamment peu de lieux de production et de diffusion. La formation des artistes n’est pas encore systématique. La rencontre entre l’art et l’université ne s’étant toujours pas opérée, la création artistique souffre du manque d’une approche théorique et critique soutenue. L’absence d’éléments d’accompagnement tels que les publications n’aident pas à l’éducation du goût du public. De plus, l’Etat se refuse toujours à mettre en place une politique d’acquisition de nature à stimuler le « marché ».
Comment dans ces conditions me diriez-vous peut-on parler de bonne santé des arts plastiques au Cameroun ? Le fait indéniable est que les résultats sont là. Un peu comme pour le foot-ball où le Cameroun enregistre de bons résultats sans aucune infrastructure de base, les artistes et les professionnels Camerounais (galeristes, critiques, commissaires d’expositions) malgré les carences relevées, demeurent parmi les plus en vue du continent.
Comment faire pour inciter le goût des arts plastiques au Cameroun ?
Tout revient à l’éducation du goût du public à travers l’enseignement scolaire dès le bas âge. Il convient de renforcer la qualité de formation des artistes et multiplier les occasions d’exposition ; augmenter le nombre de publications ; associer plus étroitement les médias à l’effort de diffusion et de vulgarisation ; mettre en place les structures visant à permettre l’initiation à la pratique des arts pour les adultes.
Les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités pour faciliter l’accès à l’art au grand public en édifiant par exemple des lieux de diffusion (musées, centres d’art, écoles des beaux arts). L’Etat devrait aussi mettre en place des mesures d’incitation financières visant à soutenir la création artistique. Il s’agit notamment de développer une politique d’achat pour doter les espaces publics d’un fonds d’œuvres d’art.
Et puis, surtout, il faut alimenter le débat sur le sens esthétique dans notre environnement social. L’Africain et plus singulièrement le Camerounais, souffre d’un déficit de projection de son image. Comme il n’a pas un retour de sa propre image, il se connaît finalement peu et par conséquent, il pèse peu sur son art de vivre.
Pourquoi l’intérêt pour l’art ne semble aujourd’hui l’apanage que d’une infime catégorie de personnes ? N’avez-vous pas l’impression qu’il manque une critique d’art qui puisse accroître son audience auprès du public ?
Il convient de rappeler qu’en tout temps et en tout lieu, l’art n’a jamais été l’affaire des grandes masses. C’est un domaine où l’initiation a toujours beaucoup compté plus que la vulgarisation.
Pour se préoccuper du raffinement de l’esprit, je comprends que l’on pense d’abord à résoudre des problèmes plus immédiats. Mais à force de se préoccuper de l’immédiat, du matériel et du trivial, on finit par s’appauvrir en oubliant de cultiver l’esprit. Le manque d’imagination et de créativité dont nos sociétés africaines font aujourd’hui montre tient certainement de cet appauvrissement sensoriel et artistique.
Le rôle de la critique d’art me semble-t-il doit davantage tourner au renforcement de l’initiation et du discernement qu’à la vulgarisation auprès des masses. L’accroissement de l’audience de l’art auprès d’un public plus élargi passe par l’éveil sensoriel, l’initiation à la pratique des arts, la connaissance de l’histoire et des courants de création, bref, autant de choses qui relèvent avant tout de l’école.
Présentez-nous africréa, votre galerie d’art.
Comme cela s’entend, Africréa est un néologisme construit à partir des mots Afrique et création. A la base, il s’agit pour nous, de mettre l’accent sur la libération de tout le génie créateur africain et de miser sur la création artistique pour que l’Afrique soit à l’heure, et en bonne place au rendez-vous du donner et du recevoir qui détermine l’évolution de l’humanité et qui fonde les valeurs de l’universalité.
Africréa est un centre d’art contemporain, donc un lieu de référence matériel et immatériel qui mobilise à la fois : l’ingénierie, les moyens de production, de diffusion et de formation pour participer de façon conséquente à l’augmentation en qualité et en quantité de l’offre artistique camerounaise et plus généralement africaine.
Avec son expérience cumulée et ses infrastructures déployées sur près de 2.000 m2 couverts avec une galerie d’art de 500 m2, une salle de spectacle d’une capacité d’accueil de 500 places, et puis des bureaux, des salles-ateliers, des boutiques et autres, Africréa apparaît aujourd’hui comme un pôle de rayonnement culturel qui fait la fierté de l’ensemble de la sous-région de l’Afrique Centrale.
Depuis bientôt huit ans que nous déployons nos efforts sur le terrain, nous sommes fiers de voir que l’existence du centre d’art contemporain africréa a contribué de façon remarquable à l’excellence camerounaise dans des domaines aussi variés que sont les arts plastiques, le théâtre, la musique, la danse, la mode, la poésie.
Africréa, votre galerie d’art dont la vocation est de réfléchir, de promouvoir et de vendre la culture africaine contemporaine, réussit-elle dans ces nobles missions ?
Africréa est une initiative qui se projette loin dans le temps. Il est sans doute trop tôt pour mesurer tout l’impact qu’il produit aujourd’hui dans l’environnement camerounais tant il faut le rappeler, il s’agit avant tout pour nous, d’agir sur les consciences et sur les comportements afin de peser sur l’art de vivre.
Cela dit, au quotidien, nous connaissons dans notre travail des joies et des peines. Notre action pour l’augmentation qualitative et quantitative de l’offre artistique porte indubitablement ses fruits. Les débuts de structuration de l’offre et la demande des biens culturels commence à être bien manifeste dans notre centre.
En revanche nous ne parvenons pas encore à mobiliser les moyens de promotion à la mesure de la qualité de nos prestations. Nous n’avons toujours pas réussi à entraîner de façon significative l’institution scolaire. Nous ne travaillons pas suffisamment avec les médias pour l’édification de repères tangibles pour le grand public. Nous ne disposons pas encore de toutes les ressources humaines à la mesure de notre projet. Mais heureusement, tous les jours qui passent, nous donnons le meilleur de nous-mêmes et la sensation de nous sentir utiles et un peu mieux compris grandit en nous.
Vendre, diffuser, nous le faisons et peut-être même de façon assez satisfaisante mais le véritable enjeu pour nous c’est de contribuer à la création de valeurs en mesure d’identifier l’Afrique nouvelle. Des valeurs éthiques et esthétiques que l’Afrique aurait à proposer au monde !
Parlez-nous de Jean Emati, l’un des rares peintres camerounais dont le talent vient de pulvériser les records de vente au Cameroun. Quelle innovation a-t-il apporté pour se démarquer tant des autres ?
Je ne sais pas d’où vous tenez les sources qui font état des records nationaux de vente de tableaux d’art au Cameroun. Je ne me sens pas en mesure de les confirmer. Je peux dire en revanche pour l’avoir exposé à Africréa, confirmer que les œuvres de l’artiste Emati ont connu un très grand succès dans notre centre d’art. Tant un succès d’estime qu’un succès commercial. L’un des faits qui nous a paru des plus remarquables à l’occasion de cette exposition, la première exposition individuelle d’envergure qui lui était consacrée à Yaoundé, est qu’il a non seulement bien vendu, mais que pour la première fois depuis l’existence d’Africréa, un artiste Camerounais a été acheté à 50% par les Camerounais et 50% par les expatriés. Jusque là, la part générée par les expatriés représentait toujours plus de 60% des recettes.
Il y a un flou dans la tête du public entre un musée et une galerie d’art. Quelle différence faut-il nettement faire ? Quelles sont les voies qui conduisent une œuvre d’art au musée ? Et quel est l’état de notre musée national aujourd’hui ?
Il y a plusieurs niveaux où les deux peuvent avoir la même vocation et jouer le même rôle, à savoir mettre en valeur des œuvres d’art et leur présentation avec un maximum de professionnalisme à l’appréciation du public.
On attend du musée qu’il insiste davantage sur la dimension patrimoniale et l’entretien de la mémoire collective. Ainsi, le choix des œuvres présentées dans un musée répond toujours à des critères de conservation et dépend la plus part du temps de choix politiques, dans la mesure où il s’agit pour cette institution de montrer à la société l’image qu’elle doit avoir d’elle-même. De ce point de vue, le musée vitrine de la société, participe à la diffusion de la culture dominante qu’un Etat, une communauté ou d’un collectif entend propager.
Contrairement au musée qui peut aussi bien s’intéresser à l’art qu’aux coutumes et traditions, à la science, à la nature, et finalement à tout, la vocation de la galerie d’art est avant tout d’ordre artistique. Les choix de programmation d’une galerie répondent donc le plus souvent à des considérations esthétiques. De ce point de vue, la galerie affiche et revendique même la subjectivité de ses choix. Une galerie répond à une direction artistique un peu comme un journal répond à une ligne éditoriale.
Je suis incapable de vous faire l’évaluation du musée national. Je n’ai aucune autorité pour cela. Il y a seulement lieu de s’interroger à savoir le type de musée pour lequel l’Etat camerounais a opté en créant cette institution. S’agit-il de mettre l’accent sur l’histoire, sur les traditions, sur les innovations ou sur la création contemporaine ? Il peut bien évidemment s’agir de tout cela si on veut, mais alors il faudrait bien plus d’espace, bien plus de contenu et bien plus de ressources.
Comment la peinture contribue-t-elle à intégrer et à adapter l’homme dans sa culture ?
Si on admet que l’artiste a une perception très aiguisée des sensations, des sentiments, des rêves et des angoisses de sa communauté, et si on admet également qu’il peut cultiver le génie de faire partager aux autres ce qu’il ressent, je crois qu’on admet implicitement ses œuvres peuvent traduire le sentiment commun, la communauté de destins ou l’exaltation de valeurs partagées.
L’artiste apparaît alors comme un support d’expression, un lieu d’élaboration de langages, un talent de codification de normes, un ciment pour la collectivité.
Le créateur Africain contemporain est confronté à un grave problème de contextualité. Disposant de plus identités et de plusieurs cultures, il peut référer à plusieurs codes d’expressions relevant de différentes identités culturelles. La loi du marché étant dictée par les acheteurs occidentaux, il court en permanence le risque de privilégier l’acheteur aux dépends de son compatriote. De s’installer dans la langue de l’étranger en oubliant celle de son frère et de sa sœur. A ces moments là, sa dimension de vecteur d’intégration devient bien évidemment sujette à caution !
La poésie de nos tableaux vous semble-t-elle suffisamment éloquente ?
Je ne sais pas de quels tableaux vous parlez. Mais vous savez bien que chaque œuvre es porteuse d’une poésie particulière. Comment généraliser ? Je ne me permets pas.
Demain, la peinture camerounaise. Quel contenu donner à ce livre ?
Le titre me met en appétit et me met en attente de trouver des réponses pertinentes sur bien des questions : Quelle structuration de l’enseignement ? Quel développement de la production et de la diffusion ? Quels pistes de création nouvelles ? Quelle politique de conservation et de dotation des musées ? Quelles réflexions théoriques sur la création ? Quels nouveaux talents émergents ? Vous voyez, bien des questions qui nous montrent que nous avons tous du pain sur la planche.

///Article N° : 4001

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