Comment te situes-tu dans la critique africaine ?
Les premières réflexions sur le cinéma africain sont venues de critiques occidentaux. Le manque de formation et le peu d’occasions de voir des films ont fait que les cinéastes n’ont pas été confrontés à une critique africaine. Ce sont ainsi davantage des journalistes de cinéma que des critiques qui se sont exprimés. Je suis venu à la critique par le journalisme et en suivant l’Inafec, l’école de cinéma de Ouagadougou. Au cours de mes études de journalisme, je me suis spécialisé sur le cinéma en créant un ciné-club et en rédigeant ma thèse sur la production cinématographique au Burkina Faso. J’ai perçu à quel point la réflexion manquait sur la thématique et la forme adoptée par les cinéastes. Nos films étant avant tout des films sociaux, ils m’interpellent comme faisant partie de ma culture. La psychologie et l’accent sur le héros s’effacent pour laisser la place à un aspect communautaire.
Quels sont tes critèrres ?
Le cinéma se révèle être un art complet pour aborder les problèmes sociaux. En écrivant un papier sur Yaaba (Idrissa Ouedraogo) par exemple, j’essaye de comprendre notre rapport avec les vieux ou les enfants en analysant le contenu narratif de l’histoire, comment le cinéaste forge son discours. Le spectateur africain n’est pas aussi inculte que l’on croit. Il consomme beaucoup d’images et est à même de savoir pourquoi un film le touche ou pas. Avec ou sans action, il se sent concerné. Je crois à un type de cinéma de fiction basé sur les réalités culturelles et sociales. Tilaï ou plus encore Samba Traoré (Idrissa Ouedraogo) m’avaient un peu gêné sous ce rapport : une fiction ne correspondant pas à une réalité sociale. Le public ne s’y méprend pas. Il peut adhérer à des films de violence genre Rambo mais n’adhère pas à ce style de démarche dans le cinéma africain. Les films d’Henri Duparc, par contre, me semblent bien correspondre à cette exigence : le public africain entretient avec le cinéma un type de rapport que l’on rencontrait peut-être il y a 50 ans en Europe quand le cinéma était une sorte de foire du week-end où l’on sortait en famille, par amour de l’image. Les gens se sentent concernés par une structure linéaire ou logique et ont du mal à saisir des structures peu classiques.
Sur quoi mets-tu l’accent ?
Je cherche à renforcer la réflexion sur les films, afin de contribuer à la formation du public. Comme rédacteur en chef de la revue Ecrans d’Afrique, j’attache de l’importance à l’appartenance culturelle du journaliste. Un tunisien expliquera mieux Halfaouine (Ferid Boughedir) qu’un autre : il a plus de chance d’atteindre l’essentiel. Je me méfie ainsi des critiques occidentaux en raison de la fracture séparant le cinéma de réalité sociale en Afrique et le cinéma à dominante psychologique en Europe. Les critères de l’un ne peuvent être appliqués à l’autre. Depuis 1986, des films africains tels que Yeelen ont représenté des » synthèses heureuses » comme l’écrit Ferid Boughedir. Souleymane Cissé ouvrait une voie royale. Cependant, les critiques européens l’ont analysé au premier degré (magique ou mystique) et en ont donné une image influençant les autres cinéastes. Les Européens ne comprenant pas le contenu, ils encensent le film en tant que film d’évasion, exotique. S’il y avait vraiment une critique africaine, le public autant que les réalisateurs y gagneraient en réflexion et en approfondissement.
Les critiques de cinéma sont-elles suivies en Afrique ?
Le bouche à oreille fonctionne mieux que des articles dans des journaux qui ne sont pas toujours lus : si le film lui parle de lui, le public y adhère. Le critique africain ne peut intervenir qu’après le passage du film en Europe : les articles écrits par les critiques européens restent déterminants. Une véritable critique africaine est ainsi un vide à combler au même titre que l’exploitation, la distribution etc. : une critique qui ne parte pas de la même lecture de l’image que l’européenne mais réfléchisse comment les cinéastes peuvent être près de leur public et s’appuyer sur leur culture.
Peux-tu être négatif sur un film africain ?
On ne peut critiquer si on s’en tient au degré » j’aime ou je n’aime pas » : le critique doit être conscient du rôle qu’il doit jouer, celui d’une véritable analyse. Peut-on être négatif et ne pas soutenir des films qui ont été si difficiles à mener à bien ? Comment sinon faire avancer les choses ? Des cinéastes se sont plaints qu’on leur fermait les portes des financements ou des prix dans des festivals. Ce sont la rigueur et le professionnalisme du critique qui peuvent établir la confiance.
Que penses-tu de la critique occidentale ?
Le regard occidental et la vision qu’il voudrait avoir du cinéma africain se sont toujours opposés au regard africain lui-même. La demande actuelle de films urbains fait suite aux critiques apportées en leur temps à Yaaba et Tilaï d’Idrissa Ouedraogo ou Heritage Africa de Kwah Ansah. A une certaine époque, un film bien fait ne pouvait être africain. Si Haramuya de Drissa Touré a plu à la critique occidentale, c’est qu’elle y trouvait l’Afrique qu’elle voulait voir.
Quelles sont les attentes du public africain ?
Le public africain est soumis à de multiples influences mais reste accroché à ses valeurs. Il aime parler de la situation sociale et s’étonne qu’un Européen venu pour le Fespaco ne sache rien de la situation politique du pays après une semaine passée à Ouagadougou. Un Africain qui voyage cherche très vite à s’informer : cela traduit une préoccupation réelle que l’on retrouve vis-à-vis du cinéma. La fracture qui a pu apparaître entre les cinéastes et leur public vient de quelques films qui n’ont pas remporté l’adhésion pour des problèmes de forme trop abstraite ou de thématique trop éloignée de la réalité. Les films d’Henri Duparc marchent pour tous publics, populaire ou non : le » belote et rebelote « de Bal Poussière est devenu une expression utilisée dans toutes les capitales africaines !
De jeunes cinéastes rejettent l’étiquette de » cinéastes africains « …
L’absence de soutien des Etats africains oblige les cinéastes à aller chercher l’argent ailleurs. Certains vont s’adapter à la demande occidentale pour obtenir les financements. C’est là que la différence se fait avec des cinéastes comme Henri Duparc, Cheikh Oumar Sissoko, Ousmane Sembène ou Gaston Kaboré qui refusent toute influence. Les jeunes cinéastes qui refusent d’être étiquetés comme cinéastes africains sont souvent par nécessité plus vulnérables à cet égard. Un cinéaste est africain par rapport aux réalités qu’il transpose dans son film : sa façon d’aborder l’image identifie le film. On voit très bien cela dans les arts plastiques : on transpose toujours une réalité et une culture africaine. La notion de message est relative car le public reste le seul juge : un film s’impose de lui-même ! Si le public peut avoir accès aux films des autres régions, le cinéma peut contribuer à une certaine unité africaine par la connaissance de l’autre.
Clément Tapsoba est critique de cinéma burkinabé, rédacteur en chef d’Ecrans d’Afrique///Article N° : 141