Nous reprenons ci-dessous le texte de Lilian Thuram qui a servi d’introduction à la soirée du 7 mai 2007 réunissant des artistes et sportifs du monde noir et des médias pour lancer la série télévisée « Tropiques amers » diffusée le jeudi à partir du 10 mai sur France 3.
L’esclavage est un phénomène humain universel. La civilisation grecque en a fait un art de vivre et un fondement de sa société. L’Afrique précoloniale a pratiqué un esclavage traditionnel, fondateur de plusieurs empires. Sa pratique sur le continent européen était tellement développée que l’appellation « esclave » traduit une de ses sources géographiques, la Slavonie historique.
Mais l’esclavage transatlantique se distingue par trois singularités : sa durée, son organisation juridique et son fondement racial.
Sa durée, quatre siècles du 15ème au 19ème siècle, atteste de sa profondeur historique. Les Codes Noirs (français, anglais, espagnols) élaborés par les pouvoirs politiques de l’époque, légitiment et organisent son fonctionnement par des règles de droit méticuleuses et précises articulées autour de la définition centrale de l’esclave comme « bien meuble ».
Son fondement idéologique et sa légitimation « morale » découlent de cette définition par la construction intellectuelle de la non-humanité biologique et génétique et de l’infériorité culturelle de ses victimes noires. Le racisme anti-noir a constitué la justification intellectuelle de la traite transatlantique, qui était avant tout une entreprise économique et commerciale visant à l’exploitation des « nouvelles terres » des Amériques et des Antilles. La même hiérarchie raciale avait légitimé l’extermination physique et l’ethnocide des peuples autochtones.
L’éradication démographique avait précisément servi de justification à l’organisation de l’esclavage, par le transfert massif et organisé d’une nouvelle « force de travail », provenant du continent africain, le plus rentable par sa proximité géographique. Les hommes, les femmes et les enfants noirs ont été enlevés, avec la complicité des pouvoirs féodaux esclavagistes.
L’esclavage a été structuré autour de deux facteurs lourds : le racisme et la violence.
Jean-Michel Deveau, éminent historien, l’a bien caractérisé dans les termes suivants : « L’esclavage transatlantique est la plus grande tragédie de l’histoire humaine par sa durée et son ampleur. »
La violence a abouti à une saignée humaine dont les estimations exactes se montent à plusieurs dizaines de millions de personnes.
Le racisme a, par sa profondeur historique et culturelle, profondément structuré toutes les sociétés des Amériques et des Antilles, sur les plans politique, économique et social.
C’est cette tragédie qui a été déclarée « crime contre l’humanité » par la Conférence de Durban contre le racisme en 2001 et par le Parlement français grâce au combat historique de Madame Christiane Taubira. Ce crime est encore marqué par les deux entreprises d’occultation : le silence et l’invisibilité.
Le silence des livres d’histoire et l’invisibilité de ses victimes. Le travail de mémoire constitue donc une urgence pour réhabiliter la résistance, physique et culturelle de ses victimes, et surtout pour faire l’archéologie du racisme qui imprègne encore en profondeur les sociétés, et les cultures, qui en ont été les scènes principales.
Questionnons-nous…
L’Homme Blanc a-t-il encore un complexe de supériorité vis-à-vis de l’Homme Noir ?
L’Histoire a-t-elle inculqué savamment à l’Homme Noir la peur, le manque de confiance en soi, le complexe d’infériorité ?
N’est-il pas temps de déconstruire le racisme ?
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