Analyse des conditions d’émergence du champ littéraire congolais tributaire du parcours de ses auteurs et du contexte de leur production.
Cet ouvrage clair et dense de ce Congolais à la fois auteur et universitaire présente une analyse sociologique de la littérature de la République Démocratique du Congo nommée Congo-Zaïre. En reprenant les concepts de champ littéraire, de réception, de statut de l’écrivain, établis par Bourdieu et déjà appliqués à l’Afrique par Pierre Halen, il entreprend d’analyser les conditions de la récente émergence du champ littéraire congolais consacré au niveau institutionnel tout récemment avec le 4e sommet de la Francophonie de 1991. Postulant dès le départ que « la littérature écrite congolaise est grandement tributaire, quant à son émergence, du parcours suivi par ses auteurs et du discours général qui les environnait » (64), l’auteur décrit les politiques et les discours coloniaux belges sur le Congo, les lieux (églises, écoles, maisons d’édition, musées), le contenu (manuels, journaux, livres, expositions) et les destinataires (belges, congolais « évolués » ou non) de la production de la période coloniale qui a profondément préparé ceux qui seront les premiers auteurs nationaux. Il rappelle les facteurs qui pesèrent après l’indépendance (1960) sur la production nationale, la prégnance de l’Église catholique, la succession de pouvoirs chaotiques, puis la doctrine de l’authenticité prônée par Mobutu à partir de 1965. L’analyse du champ littéraire lui-même vient ensuite, avec les Belges « passeurs » qui incitèrent les Congolais à « réinscrire l’imaginaire de l’orature dans la modernité qu’apporte et que symbolise l’écriture » (99) et les « intercesseurs » qui ont activement « contribué à l’émergence et à la promotion d’une littérature autochtone » (111).
Dans un souci de prendre en compte les différences entre les auteurs, le panorama distingue ensuite le « sous-champ » né de l’exil de nombreux Congolais dès les années 1980 du champ national dont les contours varient selon le contexte sociopolitique. Le lecteur suivra rapidement les trajectoires littéraires en Europe de Kamanda, Mwankumi, Ngoye, Tshibanda et celles aux USA de Mudimbe et Tshisungu puis, sur le territoire national, celles du populaire Zamenga, des intellectuels Ngoye et Mudimbe. L’auteur s’intéresse au plus près aux réseaux entre écrivains, l’association UEZA, les nombreux cercles et les universités. Il observe aussi comment fonctionnent (ou ne fonctionnent pas) les pôles d’édition, le poids du compte d’auteurs, le rôle plus ou moins affiché de la censure et des critiques littéraires.
Enfin, la dernière partie interprète minutieusement les dernières anthologies et un questionnaire de l’auteur rempli par 33 écrivains avant de conclure à la difficulté extrême pour ce champ littéraire de se définir à l’intérieur de contours nationaux admis par tous, de trouver un consensus sur le contenu du mot et de la mission de l’écrivain et une cohérence thématique (l’exil et l’errance par exemple).
Cet « état des lieux » (308) littéraire du plus vaste pays francophone aboutit au constat que, à l’image du paysage sociopolitique catastrophique, « le roman congolais se plaît à reproduire ce scénario d’impuissance » (309). Le grand apport de cette étude est dans le recul par rapport aux uvres que d’autres ont inventoriées ailleurs et dans l’analyse sereine des mécanismes de sources et de visées diverses voire contradictoires, de cette littérature qui aboutît à sa lente et difficile émergence.
Les écrivains du Congo-Zaïre, Approches d’un champ littéraire africain, Metz, Charles Djungu-Simba, Université Paul Verlaine, Centre Ecritures, Collection Littératures des mondes contemporains, série « Afriques », 2008, 329 p.///Article N° : 7508