Pour maintenir l’ordre social et les normes collectives, certaines croyances ancestrales désignent, hélas, des comportements supposément différents comme des menaces potentielles. Dans cette logique, la marginalisation des individus perçus comme déviants est donc devenue une pratique répandue dans de nombreuses contrées, afin de préserver l’harmonie au sein du groupe. Cette réalité, Nyaba Léon Ouedraogo (né en 1978) l’a vécue durant son enfance au Burkina Faso, en étant directement confronté à l’exclusion de plusieurs femmes de sa communauté. Face à ce souvenir troublant, il a décidé de revenir plusieurs années plus tard pour raconter leur histoire, illuminant ainsi les recoins obscurs d’une marginalisation silencieuse. Ce projet photographique est actuellement présenté sous la forme d’une exposition qui s’intitule Dévoreuses d’âmes, à la galerie Christophe Person, du 6 février au 15 mars 2025.
Long est le lien qui unit le galeriste et notre griot moderne. Leur collaboration, riche et fructueuse, a donné naissance à de nombreux projets, dont la création du « BISO », la Biennale Internationale de la Sculpture de Ouagadougou. À l’occasion de cette nouvelle exposition, ils présentent Dévoreuses d’Âmes, une série initialement réalisée en 2013 par le photographe pour les « Résidences photographies » du musée du Quai Branly – Jacques Chirac. Pour donner vie à ce projet, Nyaba Léon Ouedraogo a choisi de s’immerger in situ, s’engageant avec patience et détermination pour gagner la confiance de ces femmes, injustement jugées coupables d’avoir le pouvoir de capturer les âmes de leurs victimes. Il y découvre concrètement des femmes pauvres et abandonnées, dont les stigmates du temps et de la persécution sont gravés sur les visages.

Devoreuses d’ames (c)Nyaba Léon Ouedraogo
Au-delà des croyances magico-religieuses, la démarche photographique de Nyaba Léon Ouedraogo s’apparente davantage à un travail documentaire qu’à une quête esthétique. Il tient, par ailleurs, à dissocier le terme de « sorcières » des « dévoreuses d’âmes », refusant toute assimilation réductrice. Son objectif n’est pas simplement de capturer des images pour leur récit, mais pour ce qu’elles révèlent et symbolisent. Ainsi, il expose les causes profondes de cette stigmatisation et ses conséquences dévastatrices.
Au sein de la galerie Christophe Person, le visiteur a l’occasion de découvrir une série de diptyques où chaque femme apparaît sous deux portraits distincts. Ce dispositif artistique permet d’orchestrer un dialogue visuel entre le réel et l’imaginaire, entre une réalité brute et la réinvention de soi. D’un côté, la sévérité du quotidien : des visages marqués, des corps figés dans une posture impassible. De l’autre, une projection éclatante, où le vêtement devient armure, masque ou manifeste. Une Blanche-Neige innocente, une militaire courageuse, une sulfureuse diva de la musique disco : ces figures sont autant d’identités rêvées que de fenêtres ouvertes sur un avenir d’affranchi. Ce face-à-face révèle un paradoxe saisissant, entre ce que la société leur impose et ce qu’elles aspirent à devenir, entre l’oppression et l’émancipation.

Devoreuses d’ames (c) Nyaba Léon Ouedraogo
À l’aube de la Journée internationale des droits des femmes, qui invite à la réflexion sur les inégalités persistantes, l’exposition Dévoreuses d’âmes s’impose comme un témoignage puissant et nécessaire. À travers son objectif, Nyaba Léon Ouedraogo ne se contente pas d’immortaliser des instants : il met en lumière des femmes invisibilisées, victimes d’exclusion et de discriminations. De cette manière, par son engagement, il se positionne en allié de ces femmes réduites au silence, dénonçant ainsi dans une tribune retentissante une injustice trop longtemps tolérée.
Une exposition à voir à la galerie Christophe Person, 39 rue des Blancs-manteaux 75004 Paris jusqu’au 15 mars 2025
Rama Barry