Beau projet que ces chantiers d’Eyala Pena conçus au Cameroun grâce à l’énergie sans faille de Barbara Bouley avec des scénographes, des auteurs contemporains, des metteurs en scène… chantiers destinés à stimuler la création dramatique camerounaise. Des ateliers d’écriture animés notamment par l’auteur togolais Kossi Efoui ont commencé à susciter des vocations, des travaux de scénographie dirigés par Jean-Christophe Lanquetin ont débouché sur la réalisation d’une structure itinérante qui est venue jusqu’à Lille en passant par Aubervilliers pour nous donner un aperçu du travail initié, des stages de mise en scène orchestrés par Nicolas Saelens ont commencé à jeter les bases d’une pratique théâtrale professionnelle.
Dommage cependant que ce magnifique projet généreux et constructif ait souffert d’une communication qui lui a considérablement enlevé de sa plus-value. Pourquoi avoir construit le rayonnement artistique d’une telle entreprise sur l’idée que le théâtre n’existe pas au Cameroun, pays qui n’aurait pas d’auteur dramatique et qui sans l’intervention énergique de Barbara Bouley et de son équipe serait resté dans le plus grand obscurantisme théâtral. Le peuple camerounais ne sait pas ce qu’est le théâtre. « Personne n’a véritablement idée de ce que représente la création d’un spectacle » déclarait la chorégraphe Grâce Ekall au journal Aden. « Au Cameroun, les gens ne savent pas exactement ce qu’est le théâtre », aurait encore affirmé le dramaturge Kouam Tawa. « Les gens n’ont pas idée de ce que peut être un texte de théâtre ». Mais croit-on qu’au pays de Molière, l’homme de la rue connaisse Novarina, Azama, ou Noëlle Renaude ? Le Cameroun est pourtant un des pays francophones qui a fourni le plus d’auteurs dramatiques depuis les années cinquante, les pièces de Guillaume Oyono, de Protais Asseng, de Jean Evina Mba et plus récemment de Félix Kama sont jouées dans toute l’Afrique !
L’histoire d’Eyala Pena a commencé, nous raconte-t-on, avec la coupe du monde de football et l’opération « Du monde entier » organisée au Théâtre Gérard Philippe à Saint-Denis en 1998. De tous les pays qui participaient alors à la coupe du monde, le Cameroun faisait décidément figure de parent pauvre : pas un seul auteur camerounais contemporain à en croire Barbara Bouley qui, n’écoutant que son courage, s’embarque pour Douala à la recherche de l’oiseau rare
Qu’a donc bien pu faire « le pays des crevettes » à ces créateurs exaltés qui pris dans un élan artistique de générosité irrépressible vont apporter la bonne parole théâtrale à des peuples maintenus dans l’ignorance et l’obscurantisme dramatique. Royal de Luxe avait ouvert la voie au « pays où le théâtre n’existe pas » et voilà que Barbara Bouley à son tour entreprend son voyage d’exploration au pays où, cette fois, « le mot théâtre n’existe pas » lit-on dans Aden (6/10/00) sous la plume de Hugues Le Tanneur
Barbara Bouley s’envole donc vers l’Afrique dont elle ignore tout, à la recherche d’un auteur camerounais introuvable, alors qu’à la même époque Mercedes Fouda, solide Camerounaise qui n’a pas sa langue dans sa poche, est en résidence d’écriture à la Maison des auteurs de Limoges… Drôle de chassé-croisé !
Mais Barbara Bouley débarque au Cameroun et découvre une situation artistique catastrophique relate Hugues Le Tanneur, à qui elle confie : « Tous ces gens étaient divisés, dispersés, ne s’entendaient pas entre eux. Les comédiens, par exemple, étaient particulièrement remontés contre les auteurs. La première chose à faire était donc de les rassembler pour qu’ils se connaissent et se parlent. »
Quelle est cette démangeaison occidentale qui veut que le Blanc fasse toujours le bonheur des Africains malgré eux ? Quelle est cette posture quasi néo-coloniale qui veut que l’Européen qui s’engage dans un projet artistique en Afrique le fasse d’abord pour les Africains, pour leur apporter la révélation d’un art dont ils ignorent tout ? Pourquoi toujours aussi peu d’humilité et de décence à l’égard de ceux que l’histoire a soumis et qui auraient besoin aujourd’hui de retrouver confiance en leur pouvoir de création ? Pourquoi ne pas reconnaître que ces projets artistiques africains, les artistes occidentaux qui les entreprennent le font aussi pour répondre à leur propres désir, à leur propres rêves ? Pourquoi, dès qu’il s’agit de l’Afrique, l’art devrait-il se muer en projet humanitaire ? Les artistes africains ont aussi beaucoup à apprendre aux créateurs du Nord et ceux-ci ne s’y trompent pas. Le voyage en Afrique reste encore aujourd’hui un voyage initiatique qui sans aucun doute apporte plus à l’Occidental qu’à l’Africain.
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