Femme et être humain : autonomisation et réalisation de soi

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Féminisme ? Parlons plutôt de la « question féminine », car, philosophiquement parlant, il s’agit bien d’une question. Qui sommes-nous aujourd’hui ? Interviennent ici les regards croisés des femmes vers d’autres femmes et sur elles-mêmes, des hommes et des femmes, des femmes et des hommes. Que faisons-nous, que savons-nous, qu’espérons-nous ? Disons, d’emblée, que nous sommes des êtres humains, faisant partie intégrante de l’ensemble des humains, vivant sur ce continent de tous les contrastes nommé par un mot singulier, mais qui, en réalité, est bien pluriel : Afrique(s).

Mon propos concerne cette double évidence fondamentale qui ne semble pas être évidente à certains égards, dans des situations vécues, compte tenu des histoires (collectives et individuelles), des cultures, des géographies plurielles, des territoires que nous habitons, des frontières que nous traversons. Ce qui m’intéresse dans ce questionnement c’est l’entre-deux, les rapports de force et de pouvoir, les sentiments, les alliances et comment nous les gérons en vue de garder ou de construire l’estime de soi et notre dignité d’être humain. Aujourd’hui, experts en développement et chercheurs en sciences sociales désignent ce nœud de problèmes et plus précisément ce système par le concept de « genre ». Si le genre, dans les études en langue anglaise s’est imposé depuis des décennies, il constitue aujourd’hui (1) un concept fédérateur autour duquel s’effectuent les études dans le « monde francophone » concernant la place des femmes dans le développement. Mais le concept de « genre » mérite d’être clarifié dans la mesure où il ne saurait y avoir de « genre » sous-entendu « humain » sans dignité humaine. En ce sens, comment parler de dignité humaine sans faire un état des lieux, sans montrer les paradoxes et mettre en avant la traversée des barrières et des frontières. Car si pouvoir (empowerment) il y a, il se manifeste à ce niveau, dans cette aptitude à transgresser toutes sortes d’interdits et de pesanteurs afin de suivre des aspirations qui ouvrent l’accès à un certain épanouissement.
Des chiffres et des images de l’autonomisation des femmes
On pourrait donc se demander si les chiffres des experts en développement traduisent (ou trahissent) les situations réelles dans lesquelles vivent les femmes en Afrique. Les chiffres veulent montrer une vision positive de la place des femmes dans un système dans lequel elles sont productives et acquièrent leur autonomie notamment économique. Aujourd’hui, ces chiffres semblent indiquer une tendance à l’amélioration de leurs conditions de vie : le nombre de filles scolarisées s’accroît, de plus en plus de femmes ont des responsabilités en politique et dans le monde des affaires. Cependant, on remarque que dans les zones de conflits et de guerre, la scolarisation des enfants se trouve ralentie, elle peut faire place à un phénomène de déscolarisation qui frappe de plein fouet les filles.
Mais être déscolarisée ne signifie pas, pour une fille, baisser les bras, surtout en période d’extrême urgence. Ce moment peut aussi être celui de la débrouillardise, de l’apprentissage non formel des dures réalités de la vie dans la mesure où l’instinct de survie est plus fort que les pulsions de mort. Nous sommes tous des vivants et il faut compter avec ce désir de vivre qui habite chaque humain, femme ou homme, même dans un monde absurde. Or, ici, nous avons affaire à des univers dans lesquels malgré la désorganisation des points de repères et parfois des sociétés, la quête de sens n’a pas disparu et le monde n’est pas encore « désenchanté ». On remarque que les individus apprennent à résister et à espérer.
Les femmes sont donc très actives à tout point de vue, dans les affaires, les associations, les mouvements et groupes religieux, mais aussi en politique. Ce sont des piliers sur lesquels repose la bonne marche des sociétés. Cela autorise certains magazines à bâtir leur réputation par la diffusion d’images de femmes « noires » ayant « réussi dans la vie ». Mais il faut aller au-delà des chiffres et des images, vitrines du genre et de la place des femmes dans le « développement » car le point 3 des Objectifs du Millénaire pour le développement fixés par l’ONU en 2000 (2), requiert, il me semble, que la complexité des situations soit prise en compte.
On remarque que l’une des conséquences de la multiplicité des crises en période de mondialisation, quand chaque société et chaque État (même en faillite) cherche sa place sur l’échiquier mondial est, aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’absence de père dans les familles (3) pour des raisons de travail, par suite de guerre, d’insécurité politique, d’émigration ou toute autre raison. Les mères doivent faire face et prendre en charge l’éducation de leurs enfants, qu’elles vivent dans des familles monoparentales ou non. Les pères peuvent exister certes, çà et là, sur la place publique, ailleurs, sur leur lieu de travail, de loisir ou confrontés aux dures réalités du chômage. Ils sont alors incapables d’assumer leurs responsabilités de chefs de famille. Ce sont les femmes qui prennent la relève, jouant à la fois les rôles de père et de mère et bien d’autres rôles le cas échéant.
Cependant, la question du genre – concept à la mode (4) – concerne aussi bien les aspects visibles qu’invisibles, imaginaires ou inconscients, du vécu non pas seulement des femmes elles-mêmes mais aussi des hommes avec lesquels elles ont toutes sortes de relations de travail, familiales, amicales ou amoureuses. Or, partout où il s’agit de relations humaines entrent en scène des désirs, des passions, des ambitions, des envies. En un mot des sentiments d’amour et/ou de haine, des attitudes d’acceptation ou de rejet. Quand cela se passe dans des sociétés où les lois écrites côtoient des coutumes ancestrales encore en vigueur et de nouvelles habitudes nées avec les mutations sociales, la première question est celle-ci : comment être fondamentalement libre, suivre ses propres aspirations, au moment où les conditions objectives (politiques, sociales, familiales, juridiques) peuvent constituer des freins à l’épanouissement de la personne humaine ? La deuxième question concerne le regard réciproque de l’un à l’autre et de l’autre à l’un mais aussi, d’un point de vue éthique ce que l’humain est capable de faire à son semblable. Comment l’homme perçoit-il la femme ? Comment est-il perçu par la femme ? Comment les femmes se perçoivent-elles entre elles ? Mettons entre parenthèses, pour l’instant, l’autre volet de la question : comment les hommes se perçoivent-ils entre eux ? Percevoir n’est peut-être pas le mot juste, car il s’agit plus précisément d’agir : que peuvent-ils faire les uns avec les autres, comment et pourquoi ? Le regard et le faire dont je parle tournent autour de la personne humaine qui, visiblement, est un corps mais un peu plus. Plus précisément un tout indivisible comme je le précise au passage dans mon essai (5). Pourquoi ôterait-on à ce tout indivisible sain et parfaitement constitué, par exemple au nom de la culture (6) ou de toute autre instance de légitimation, ne serait-ce qu’une infime partie physique ou spirituelle ? Partons donc du principe que ce tout indivisible doit pouvoir exister en tant qu’être humain libre de ses faits, pensées et gestes, libre aussi de son corps. L’analyse de situations vécues montre que c’est là où le bât blesse, que des maux réels perdurent malgré l’évolution des conditions de vie. Devrons-nous passer sous silence au nom du « développement » (concept qui reste à définir) ces discontinuités remarquables çà et là parce qu’il s’agit d’améliorer l’image de marque d’un continent, ou encore d’éviter de prêter mains fortes à des idées reçues concernant une vision négative de l’Afrique ? Il est souhaitable, il me semble, de tenir compte aussi des ruptures, des juxtapositions, des mixités, des imbrications, parties intégrantes des relations femmes-hommes.
La vision d’un monde habitable
Le premier pas à franchir dans la mise en avant de changements significatifs ne peut être, à mon sens, que la prise en compte de la complexité d’un monde dans lequel la femme et l’homme doivent affronter les mêmes circonstances extérieures, que cela s’appelle pauvreté, chômage, guerre ou richesse, travail ou paix sociale. Ont-ils les mêmes chances de réaliser leurs propres rêves et désirs, leurs aspirations ? Depuis leur tendre enfance, tout se passe comme si quelque chose leur échappait. Mais quoi donc ? Toute la question est là. Par-delà les divisions et les séparations entre humains, observables d’hier à aujourd’hui, il y en a une qui demeure dans toute société ; comme un presque rien qu’on pourrait oublier, auquel on ne pense pas tous les jours, qui peut avoir des variantes jusqu’au jour où, on en prend réellement conscience, en situation, à propos d’un fait précis. Car considérer implicitement les femmes et les hommes comme des êtres humains différents – parce qu’ils sont biologiquement différents par le sexe – admettre que, du point de vue des tâches à accomplir quotidiennement, certaines doivent l’être par les femmes et d’autres par les hommes, au moment même où les conditions de vie sont en pleine mutation, il y a là un problème de discrimination qui mérite qu’on s’y arrête quelque peu.
Les femmes elles-mêmes pourraient contribuer à l’aggravation des maux et des violences subies par d’autres femmes parce qu’elles jouent, parfois, un rôle de relais dans un système donné (mariage, prostitution, excision…). Elles pourraient aussi, comme on le constate, faire subir à d’autres femmes des violences (verbales, psychologiques, voire physiques). Car il y a aussi bien un au-delà du corps qu’un devenir du corps. Puisque tout corps est vivant et qu’il existe en tant que tel, subissant le passage du temps. Voilà pourquoi il me semble que le « genre » ne s’applique pas uniquement aux situations à chiffrer, celles propices à quelque taux d’évaluation : par exemple le nombre de filles scolarisées par rapport au nombre de garçons ; le nombre de femmes et le nombre d’hommes vivant en dessous du seuil de pauvreté ; le nombre de femmes et d’hommes ministres dans un gouvernement, ou parlementaires dans un pays etc. Aujourd’hui, ce sont les chiffres qui font autorité et qui tendent à prouver que dans une société donnée, les femmes sont autonomes financièrement, que les filles sont scolarisées, que les femmes participent plus ou moins aux affaires publiques, partagent les mêmes responsabilités que les hommes…
Parce que femmes et hommes, quelles que soient leurs différences (statut social, identités, etc.) ne peuvent, idéalement, que vivre ensemble. Chaque humain, avec sa manière d’être, dans un monde commun, apporte, selon ses désirs et aspirations, des actions et des rêves à la construction du monde habitable. À partir de là, quelles sont les reconnaissances et les discriminations qui entrent en jeu, quelles sont les solidarités qui naissent afin que ce monde soit, justement, habitable ? Habitable, voilà le mot juste en effet, qui mériterait ici tout un traité ! Parce que le continent africain est celui des contrastes, le premier risque à prendre est de vouloir analyser des lieux multiples en insistant sur leur hétérogénéité tout en essayant de dégager des traits communs à des situations dissemblables. En prenant ce risque, il faut s’attendre à ce que l’opinion commune, qui a tendance à effacer les nuances pour sauter à pied joint sur ce qu’elle a envie de voir et de dire, réagisse violemment soit parce qu’elle ne reconnaît pas les schémas qu’elle a envie d’emprunter pour toute analyse concernant l’Afrique, soit parce qu’elle n’accepte ni les outils de l’analyse, ni sa logique, ni ses présupposés.
Le genre : de l’autonomisation à la réalisation de soi
Cependant, la fausse route est bonne à prendre parfois dans la mesure où elle permet d’entendre des voix d’ordinaire vouées au silence, peu prises en compte ; d’entrevoir des difficultés et des paradoxes que la sérénité et l’éloquence des chiffres et des images pourraient voiler. Il s’agit d’interroger autrement le vécu des femmes et des hommes dans toutes les sphères d’activités mais aussi dans leur vie privée. Ce dernier aspect me paraît important. Emprunter cette voie de traverse est une tâche d’autant plus ardue que, de ce point de vue, ce qui est considéré par l’opinion commune comme une victoire (par exemple l’élection d’une femme comme présidente de la République, notamment au Liberia en novembre 2005) ou comme une avancée significative (l’instruction et l’autonomie financière des filles et des femmes) ne doit pas nous faire perdre de vue qu’il s’agit d’une étape dans l’histoire des femmes africaines. Car le genre concerne le mode d’existence des individus qui entrent en relation, les parcours des uns et des autres et pas seulement les activités. Il doit s’intéresser aux épreuves, à l’être, au bien-être, au devenir, à l’imaginaire qui gouvernent les rapports sociaux. Ainsi, être autonome financièrement, avoir atteint le haut de l’échelle sociale, avoir un niveau de vie au-dessus de la moyenne sont des changements visibles et audibles qui constituent une étape dans la recherche de l’autonomisation et du pouvoir (empowerment), et non pas une fin en soi. Une femme peut être puissante à tout point de vue et avoir l’impression de ne pas se réaliser en tant que femme, vivre avec des chaînes intérieures, psychologiques, ou se heurter à toutes sortes de barrières. Or la réalisation de soi montre bien qu’on est en paix avec soi et avec les autres et qu’on peut donner le meilleur de soi-même. Cette réalisation est, à mon avis, la source de l’estime de soi et de la vision positive de l’action.
Ainsi, des avancées même très significatives pourraient occulter bien des aspects de la question féminine qui ne renvoie pas seulement à la place des femmes dans le « développement ». Par exemple, la question de la place des femmes africaines dans la production et la circulation du savoir reste entière. Quand je dis « savoir » je ne parle pas seulement d’instruction ou d’alphabétisation qui donnerait du pouvoir aux femmes. Je ne parle pas non plus d’éducation de base ni de pointe. Je ne parle pas ici de l’acquisition de diplômes scolaires et universitaires. Tout cela est nécessaire, vital. Mais quels sont leurs savoirs et savoir-faire quand elles n’ont pas suivi un cursus scolaire ? Que se passe-t-il pendant et après un parcours même très brillant, comment utilisent-elles leurs savoirs pour les autres et pour elles-mêmes ? En d’autres termes, que faisons-nous de ce que nous avons appris, de ce que nous savons ? Comment le faire fructifier, diffuser ? Toute forme d’instruction, d’éducation et de formation permanente peut certes contribuer au savoir, à l’ouverture d’esprit, aux « yeux ouverts », à une prise de conscience de soi et des autres dans le monde. L’une des batailles pour le développement durable et la lutte contre la pauvreté se situeraient à ce niveau. Et si nous allions plus loin en questionnant la « durabilité » ? Celle-ci ne peut passer sous silence les aspirations de chacune et de chacun, de même que, plus globalement, la question du projet d’une société habitable. Or, avant que la société habitable ne devienne réalité, elle doit être imaginée et pensée. Les femmes ont leur place ici, du côté des grands rêves, d’une vision du futur, du côté de la prise d’initiatives, de la force de pensée et de proposition.
Perspectives d’avenir
Il me semble donc qu’il faut ouvrir l’horizon et envisager quelques perspectives d’avenir. Comment participer à la production du savoir ? Comment lui donner un contenu critique ? Dans quelles conditions ? De quel espace et de quel temps disposent les femmes dans des sociétés auxquelles nous avons affaire en Afrique, en pleine mutation, confrontées à toutes sortes de crises – politique, économique, militaire, sociale ? Comment gèrent-elles l’éclatement des familles en milieu urbain ? Quel espace-temps pour le savoir et le savoir-faire lorsque l’on se déplace dans une cuisine ou un marché avec un téléphone portable ? Dans un cybercafé où l’on utilise l’internet ? Dans un salon de coiffure, d’esthétique, de couture, lieux privilégiés où l’on met en valeur la beauté du corps féminin ? Quel espace-temps imaginer pour le savoir et le savoir-faire sous toutes leurs formes, quand on doit assumer des charges domestiques tout en travaillant pour soi-même et pour une, deux, voire plusieurs familles ? Car le travail domestique, faut-il le rappeler, ne disparaît pas des tâches quotidiennes, même au sommet de la hiérarchie sociale. L’électroménager et toutes les machines peuvent être des outils permettant d’alléger ce travail, mais il faut bien une main, c’est-à-dire un esprit, pour tourner le bouton d’un robot, d’un aspirateur, allumer une cuisinière à injonction. Qui donc dialoguera avec ces machines multiples qui peuplent une maison ?
Les femmes, et c’est peu dire, ont besoin de temps pour elles-mêmes, pour exister en tant que telles. L’idée de la « chambre à soi », chère à Virginia Woolf, pensée en Occident, peut-elle faire partie du rêve des Africaines ? Cela pourrait être un espace-temps minuscule, parmi mille occupations. Elles pourraient le trouver, si les conditions sont réunies, après le travail domestique et celui qui leur permet de gagner leur vie, quel que soit le type d’activité exercé.
Pour donner un exemple précis, doublement significatif, je me rappelle avoir commencé un texte (un long carnet de route en Suisse) et de la difficulté que j’avais à ce moment-là, en 1994, à trouver un espace pour placer mon ordinateur et écrire tranquillement sans être dérangée par mille interférences liées à mon environnement immédiat à Abidjan. Dans ce texte, je rapportais le vécu de femmes africaines en situation de migration en Suisse et, au moment où je réfléchissais à ces voix que j’avais entendues, j’ai commencé à méditer sur ma propre expérience. Comme si, parler avec d’autres femmes m’avait, du coup, rendu un grand service.
Les hommes pourraient se dire qu’ils ont aussi un rôle à jouer ne serait-ce que dans le domaine du travail domestique. Mais ils ne se le disent pas spontanément. Car des lois orales et des manières de penser constituent des barrières psychologiques, quel que soit le niveau d’instruction des hommes et des femmes. Prendre part aux « travaux d’intérêt général » pour la famille permettrait aux femmes de libérer un peu de temps pour elles-mêmes. Cela n’est pas encore, quoi qu’on puisse en dire, une bataille gagnée. Un autre problème surgit à ce niveau de l’analyse. Du temps gagné pour soi pourrait l’être au détriment du temps d’autres femmes. Aujourd’hui, dans la plupart des pays africains, les employé(e)s de maison, les « boys » et les « bonnes », comme on les appelle, n’existent pas seulement dans les familles les plus aisées. Par ailleurs, ce travail ne peut être considéré comme forme de domination de la femme blanche – comme il a pu être pensé – qui aurait à son service des femmes noires. Selon le statut social, et quelle que soit la pigmentation de sa peau, une femme peut avoir à son service une ou plusieurs autres femmes (et parfois des hommes), employées de maison ou membres de la famille. Il s’agit là de l’un des cas de figure qui nous autorise à parler de rapports de domination entre le féminin et le féminin.
La question féminine est-elle universelle ?
En tenant compte de ces aspects, comment penser aujourd’hui la question féminine en y incluant la partie géographique et historique relative au continent africain ? Cette partie avait été occultée ou peu prise en compte par les féministes occidentales (7); heureusement, elle est, depuis des décennies, pensée par des chercheuses de l’Afrique et des diasporas et de manière active (8). Il y va, en effet de l’universalité de cette question qui prend en compte la hiérarchie entre le masculin et le féminin lié au système patriarcal apparu à un moment donné de l’histoire. Ce système ne se présente pas partout de la même manière. Il a des variantes et est plus ou moins visible d’une société à l’autre. Une analyse de type marxiste montrerait que la lutte des classes intègre toutes les autres formes de lutte. Ce postulat peut être remis en question dans la mesure où entrent en jeu non seulement des femmes et des hommes mais aussi des Blancs et des Noirs, ou d’autres types de pigmentation de la peau, qui renvoient à autant d’identités, d’appartenances, de provenances, d’alliances, de réseaux à prendre en compte. Lorsque tous ces humains sont appelés à cohabiter, des problèmes de domination et d’exclusion, de discrimination, des tensions de toutes sortes prennent naissance et perdurent. Cependant, force est de constater que, dans certaines situations, des femmes peuvent être des pions essentiels dans le système patriarcal au service des hommes ; dans d’autres situations, des mécanismes de domination se reproduisent de plus belle, dans lesquelles ce sont des femmes en position de force et de pouvoir qui sont à l’origine des violences et des maux contre d’autres femmes.
Les mythes et les anecdotes ont la vie dure. Ils nous disent que « les guerres prennent naissance dans l’esprit des hommes »… autour des femmes, et que ces dernières seraient prêtes, à remuer ciel et terre, ou s’étriper, pour conquérir l’amour d’un homme. À supposer que l’essentiel ne soit pas là – puisque la vie ne se réduit pas à une lutte permanente autour de corps-objets, de sexes ou de territoires à conquérir et/ou reconquérir – de nombreux paradoxes déterminent les relations qui ont leurs spécificités d’une culture à l’autre, tout comme l’âge, le statut social et les identités des individus qui composent le genre.

1. Tout se passe comme si, dans ce domaine, il y avait une « rupture épistémologique » à partir d’Esther Boserup (1970). Le rôle productif des femmes est nettement affirmé dans la mesure où il est tenu compte de l’intégration des femmes dans le développement (IFD) qui est perçue selon plusieurs approches, d’une décennie à l’autre: la quête d’égalité (equity appoach), l’approche anti-pauvreté (anti-poverty approach), l’approche efficacité (efficiency approach) et l’approche acquisition de pouvoir (empowerment approach). Voir Gerti Hesseling, Thérèse Locoh, « L’Afrique des femmes », introduction, Politique africaine, n° 65, 1997. D’autres types d’approche apparaissent aujourd’hui en rapport avec l’évolution de la situation des femmes dans le monde.
2. « L’égalité des sexes, qui est inscrite dans les droits de l’homme, est au cœur de la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement. Sans elle, on ne pourra vaincre ni la faim, ni la pauvreté, ni la maladie » OMD, 3, « Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes ».
3. La littérature mais aussi le cinéma nous montre à quel point les femmes se prennent en charge au quotidien quand les hommes sont « absents » ou inefficaces. Voir, entre autres, Faraw, une mère des sables, d’Abdoulaye Ascofaré, Mali, 1997 ;Bintou de Fanta Régina Nacro, Burkina Faso, 2001; Madame Brouette de Moussa Sène Absa, Sénégal-Canada-France, 2002 ; Le chemin de l’espoir, documentaire de Victorine Bella Meyo, Gabon, 2005.
4. Voir sous la direction de Thérèse Locoh, Genre et sociétés en Afrique : implications pour le développement. Les Cahiers de l’INED, n° 160, janvier 2008.
5. Que vivent les femmes d’Afrique, Paris, éditions du Panama, 2008, p.60 ;.108-109
6. La pratique de l’excision qui n’existe pas partout sur le continent ni même dans toutes les régions d’un pays donné reste un fait autour duquel le consensus est loin de se faire aussi bien du point de vue des méthodes de sensibilisation, de la compréhension de la pratique elle-même, que de l’utilisation de mots pour la désigner.
7. Un exemple récent et significatif de ce point de vue : comment ne pas être frappé par la part congrue réservée à l’Afrique dans ce livre très médiatisé Le livre noir de la condition des femmes, sous la direction de Christine Ockrent, coordonné par Sandrine Treiner, postface de Françoise Gaspard, Paris, XO, 2006 et Seuil, Points, 2007 ?
8. Notamment dans les universités américaines, en Afrique du Sud, au Kenya, au Nigéria. La frontière, dans l’étude de la question féminine, serait-elle aussi du côté de la langue ?
///Article N° : 8339

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