Emilson Daniel Andriamalala est l’un des plus célèbres auteurs malgaches. Son roman Fofombadiko, a enfin été traduit en français, près de cinquante ans après sa sortie. Ma Promise est donc la traduction réalisée par le malgache Johary Ravaloson et sort chez les éditions Dodo vole.
Voici un petit ouvrage en taille mais sa venue constitue un événement éditorial et culturel : il s’agit de la première traduction en français du roman le plus connu d’un des auteurs les plus célèbres à Madagascar. Ma Promise d’Andriamalala (1918-1979) est la traduction de Fofombadiko, un roman de 1954, publié à Antananarivo en 1962, lauréat du seul prix malgache, le prix Akbaraly, mis au programme des écoles depuis des dizaines d’années et considéré comme une des références poétiques et romanesques. Car s’il s’agit bien d’un roman comme indiqué sur la couverture, ce texte passionnant est au carrefour de plusieurs autres genres littéraires et là est bien une de ses singularités. Construit de manière circulaire, il met en scène un narrateur qui s’adresse à la femme qu’il n’a pas réussi à conquérir car elle vénère un aimé idéalisé qu’elle croit disparu. Sous le signe de cet échec initial, il s’adresse à elle et remonte le fil de leur étrange histoire dans laquelle interfèrent sans cesse un passé dont les indices sont savamment dispensés au fil des chapitres. Ce sont leurs fantômes érigés au statut d’« idoles » qui hantent leurs « presque-songes » (203) et il faudra attendre la toute fin pour comprendre les enchevêtrements de ces trajectoires.
L’insurrection de 1947 en toile de fond

Ma Promise, éditions Dodo vole, 2020
La tension romanesque tient au fait que, pris dans le déclenchement de l’insurrection de 1947 et la violence des divers partis, le couple est contraint de suivre les fugitifs dans la forêt. Le roman d’amour se double très vite d’un roman historique où apparaissent les rebelles armés de leurs sagaies et confiants dans les sorciers, l’avion et la répression de l’armée française, les villageois apeurés et des Malgaches de diverses régions divisés par la politique. Le narrateur qualifie l’usage de la violence de « folie » (73) et critique le nationalisme radical défendu par les militants en France. Mystère sur les identités et les positionnements, suspens face aux multiples dangers, retournements de situation, l’aventure tient en haleine. S’ajoute, par le biais des réflexions du narrateur et des oppositions entre les personnages, une dimension philosophique qui traite aussi bien de la violence des hommes, de la présence de Dieu, de la nature de l’amour, du patriotisme et de la cohésion des diverses populations de Madagascar.
La galerie de portraits permet de comprendre les relations entre ceux des régions centrales (les Merinas), ceux des Côtes (ici les Betsimisarakas) et les colons français, dans les villages de la forêt comme à la ville côtière de Tamatave (Toamasina). Les déclarations du narrateur résonnent comme une des thèses du livre quand il commente le moment où il fut menacé de mort par le chef insurgé : « Je croyais sincèrement qu’il était impossible qu’un Malgache puisse tuer un autre Malgache ! » (82), ou, quand il évoque son enfance de Merina au milieu des Betsimisaraka sur la côte : « Je ne crois pas aux ségrégations ethniques entre Malgaches ; le cloisonnement est dû aux us et coutumes et non à la haine ou au mépris » (46). Enfin, l’ensemble, y compris les sujets les plus réalistes, est placé sous le signe du rêve, incarné par l’omniprésence de la lune et de la nuit et les furtives descriptions de la beauté de la nature. Les scènes sont juxtaposées, suspendues, orientées par la constante opposition entre l’idéalisme et le réel, l’amour désincarné et la violence effective, l’idéal patriotique et les divisions. Ce brouillage intrigue, agace parfois mais permet d’échapper aux lectures réductrices et de discerner, si possible, tous ces niveaux dans un texte très fluide, presque flottant, à la fois simple et complexe dans sa construction comme dans son interprétation.
Un texte référence pour les romanciers malgaches
Il faut rendre hommage au travail de traduction de Johary Ravaloson, qui est avant tout un romancier admiratif d’Andriamalala (dernier ouvrage : Amour, patrie et soupe de crabes, Dodo vole, 2018, une fresque ironique de la société malgache contemporaine). Dans un souci de lisibilité, il traduit littéralement les expressions malgaches ou les proverbes ce qui introduit parfois des effets de calque (« Quel bénéfice tirerait-on à vouloir mesurer l’eau répandue, qu’on ne peut récupérer ? », 191), d’opacité (« les Malgaches sans distinction de cheveux », 101) ou d’énigme (« les rires en cascades des femmes de la côte », 27). S’il explicite l’intertextualité avec le poète Rabearivelo en ajoutant une épigraphe de lui au premier chapitre, il ne précise pas que le mot « presque-songes » vient aussi d’un de ses recueils. Le texte est ainsi mis en valeur indépendamment de toute surcharge paratextuelle mais on peut regretter l’absence d’une préface qui aurait présenté E.D.Andriamalala, sa trajectoire biographique (originaire de la capitale Antananarivo donc merina, il a vécu sur la côte, comme ses personnages), littéraire (il est tour à tour poète, romancier, journaliste, homme politique) et idéologique (sa présentation de l’insurrection est très éloignée de l’image nationaliste construite plus tard et il sera l’idéologue de la malgachisation en 1975).
Il faudrait aussi souligner que ce roman continue d’être une référence pour les romanciers malgaches qui traitent de l’insurrection de 47. Esther Randriamamonjy reprend le modèle de la femme nationaliste qui rentre de France et se heurte à la réalité dans Ho avy ny maraina (1994), un autre classique, Charlotte Rafenomanjato reprend pour titre Vie pour vie (2003) la formule du chapitre 22 et René Radaody-Ralarosy suit le schéma du couple surpris par l’insurrection et embarqué avec les fugitifs dans la forêt dans Zovy (2007).
Andriamalala a fait rêver les jeunes Malgaches romantiques ; on ne peut qu’espérer que les lecteurs de cette première traduction pourront appréhender une sensibilité, une esthétique et une conscience politique éloignés de leurs normes.
Dominique Ranaivoson
2 commentaires
bravo pour le travail. Je voudrais seulement signaler le travail immense que Juliette a fait sans jamais en parler, un travail de lectrice, d’accompagnatrice… elle l’a fait pour Andrimalala et Clarisse Ratsifandriamanana. Quand on lite les ouvrages de ces auteurs, surtour Ny zanako pour Clarisse Ratsifandriamanana, on voit le regard
Michèle Rakotoson
Tena tiko ity tantatra Fofombadiko ity, efa in-10 aho no namaky azy tamin’ny teny gasy fa tsy mety leo mitsy tena hoe tsara e. Mankasitraka VERO