Exemple d’un soutien massif à une production culturelle gérée par les acteurs africains, le programme régional bantu de l’Union européenne vient de tirer le bilan de ses quatre années d’existence.
450 langues, soit le dixième des langues parlées dans le monde : l’espace bantu est d’une extraordinaire diversité, issu des grandes migrations qui débutèrent dès le 1er millénaire av. J.C. et se poursuivirent jusqu’au VIIIe siècle de notre ère, partant de quelque part entre le Cameroun et le Nigeria, et s’étendant jusqu’à la pointe australe de l’Afrique. Les rencontres des Bantu agriculteurs avec des peuples de chasseurs-cueilleurs ont forgé une unité culturelle que les contacts avec les Arabes à partir du VIIIe siècle et avec les Européens après le XVe siècle n’ont pu remettre en cause. La colonisation intégrale de l’espace bantu débouchera pourtant sur sa balkanisation au Congrès de Berlin de 1885, tandis que les Européens joueront sur la division des ethnies pour mater résistances et révoltes. Aux indépendances, le contrôle des échanges reste entre les mains des Occidentaux, perpétuant le rapport colonial.
Répondant à la volonté africaine de rétablir les origines culturelles, le CNUD, l’Union européenne et la Coopération française ont financé un vaste programme de recherche sur la tradition orale, les habitudes alimentaires et l’Histoire africaine, et y investirent 10 millions de dollars de 1983 à 1992. Suite aux difficultés et incertitudes rencontrées dans la gestion des fonds du Ciciba, seule l’Union européenne continua son soutien sous la forme d’un » programme culturel régional bantu » dont une première phase de quatre ans vient de s’achever en décembre 1998. 5 à 10 millions de FCFA furent ainsi attribués chaque année dans chacun des pays de la zone à des micro-projets suivis par des coordinateurs délégués par le ministère de la Culture de chaque pays. La réunion bilan des coordinateurs à Libreville fin novembre 1998 est révélatrice des enjeux et difficultés d’un tel programme. Y participaient Michel Kanago (Centrafrique), Aboubakari Boina (Comores), Jean-Luc Aka Evy (Congo), Fidèle Gomes (Gabon), Pancracio Esono Mitogo Obono (Guinée équatoriale), Maria Nazaré Dias de Ceita (Sao Tomé & Principe), Esther Sikazwe (Zambie) ainsi que Corneille Monoko (RDC).
La sauvegarde du patrimoine culturel et sa diffusion étaient au cur des quelque 250 projets financés : recueil et édition des mythes, répertoires culturels, documentaires ethnographiques, sauvegarde d’instruments de musique traditionnels, inventaires des oeuvres, lexiques linguistiques et méthodes d’apprentissage des langues, expositions et soutien aux musées nationaux constituaient l’essentiel des actions. Engagées sur propositions des acteurs culturels locaux, elles ont en général conduit à des résultats tangibles. Leur caractère hétéroclite en l’absence d’une véritable politique concertée ne facilite cependant par leur appréhension, les cantonnant à des cadres locaux.
Souvent confrontés au manque criant de moyens audiovisuels ou d’édition, leur diffusion reste par trop confidentielle. Un site internet ou une foire bantu tout comme un espace bantu dans la future maison de l’Afrique à Paris ont ainsi été envisagés.
Leur inscription contemporaine par une pédagogie adaptée ou le lien avec les expressions culturelles actuelles est également problématique: à quoi bon des musées vides, des vidéos dans les placards, des ouvrages non-édités ? Le succès des manifestations théâtrales de rue, dans les quartiers ou les écoles, ou des journées de la bande dessinée organisées au CCF de Libreville (en commun avec le ministère de la Culture gabonais et la Coopération française) viennent heureusement nuancer ce constat.
Administrativement, la tutelle européenne n’est pas allée sans lourdeurs, tandis que les coordinateurs nationaux n’étaient pas toujours dégagés de leurs autres obligations. Un nouveau programme ne pourrait ainsi aller sans une professionnalisation accrue. C’est également le cas pour les productions culturelles : l’émergence d’unités de production audiovisuelles et d’édition devrait être efficacement soutenue. Elle permettrait la prise en main par des acteurs locaux de projets qui ne peuvent être indéfiniment soutenus par l’extérieur.
Les moyens alloués par les Etats africains à la Culture étant encore bien faibles, il est possible que l’Union européenne tire les conclusions de cette expérience et la poursuive. Il est cependant question de calquer cette action sur le découpage géographique de l’OUA, ce qui divisera la zone bantu (mais résoudra du même coup la difficile relation au Ciciba) pour rééquilibrer l’action sur tout le continent.
Ce programme a joué le rôle de pionnier. Ses résultats et sa notoriété locale sont assez encourageants pour que l’on puisse espérer la poursuite de tels micro-projets véritablement issus des besoins du milieu culturel local, c’est-à-dire également ancrés dans les expressions culturelles contemporaines, sans pour autant négliger l’appui à des projets essentiels comme la création là où elles manquent de maisons de la culture ou d’unités de production audiovisuelle ou éditoriales locales.
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