Habib Diabaté, griot et fier de l’être

Entretien de Souleymane Sangaré avec Habib Diabaté

Bamako
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Les Diabaté sont les représentants de l’une des grandes familles de djelis, dont sont issus des djelis célèbres tel que feu Sidiki Diabaté, Abdoulaye Diabaté ou encore Naîni Diabaté. Le nom Diabaté signifie :  » on ne peut rien te refuser « ,  » l’irrésistible « . D’après la légende, les Diabaté seraient à l’origine des Traoré. Cette légende raconte l’histoire de deux frères qui étaient partis à la chasse, voulant abattre le buffle que personne jusqu’ici n’avait réussi à vaincre. Lorsqu’ils tombèrent enfin nez à nez avec le buffle, l’aîné prit peur et s’enfuit, laissant son cadet l’affronter. L’aîné, honteux, entreprit de flatter ce frère qui n’avait pas hésité à verser son sang (en bambara, le sang se dit djeli), afin qu’il ne révèle à personne sa faiblesse. Le cadet charmé par la voix de son frère lui dit :  » N dogo, i kan diya kojugu, i jébaga tè  » et que nous pouvons traduire de la façon suivante:  » Mon frère, ta voix est si envoûtante que personne ne peut te résister « . Ce sont ces quelques mots,  » i jébaga tè « , qui donneront par la suite le nom Diabaté. Et c’est avec beaucoup de fierté qu’Habib Diabaté revendique son statut. Né au Mali, il y a 53 ans, dans un village appelé Kougnakari, situé à Kayes, première région du Mali, il vit aujourd’hui à Bamako. Il est séparé de sa femme, djelimusso, et père de trois enfants.

À quel âge, comment et par qui avez-vous été initié ?
J’ai commencé à l’âge de sept ans, au village. Un grand griot de renommée continentale du nom d’Amadou Sacko m’emmenait avec lui à des cérémonies et me demandait de le suivre dans ces paroles et gestes. De retour à la maison, il me demandait de lui rappeler quelques-unes des expressions qu’il avait prononcées pendant qu’il chantait l’apologie de quelques invités. C’est ainsi que je suis parvenu à retenir l’histoire de certains noms de famille, des notables du village etc. Un jour, juste après le crépuscule, alors qu’on s’amusait au clair de lune, il m’appela pour me tendre un petit cora (1) et un n’tamani (2) en guise de cadeau. Il me recommanda à un joueur de ces instruments. C’est ainsi que j’ai été petit à petit initié par Amadou Sacko et mes parents.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours en tant que griot, de votre rôle dans la société et auprès de vos diatiguis ?
Cette activité était pendant longtemps exercée par mes arrières grand-parents, moi-même je l’exerce depuis plus de 40 ans. Je ne fais que ça, et comme dans tout travail, il y a des avantages et des inconvénients. Mais je n’ai pas rencontré de difficultés majeures parce que j’ai eu de la chance d’être bien accueilli par la famille Kanté au Quartier-Mali à Bamako qui sont devenus mes diatiguis. Je profite de l’occasion pour leur adresser une fois encore mes remerciements. Les quelques difficultés que nous pouvons rencontrer sont celles de l’ignorance de la valeur d’un griot et l’idée que les griots seraient des personnes très cupides. Je pense que cette mentalité doit être transcendée et qu’il faut voir autrement le griot à travers les différents rôles qu’il peut jouer dans la société. Quant à mes relations avec mes diatiguis, elles vont du respect mutuel en passant par des recommandations auprès d’autres connaissances. Avec mes diatiguis, c’est moi qui suis sollicité pour jouer le rôle de démarcheur pour tous les évènements au sein de la famille. Avec moi, on ne discute pas d’argent, après la cérémonie je me contenterai de ce qu’on me donnera. J’avoue que je suis gâté par mes diatiguis, on s’occupe très bien de moi. Mon rôle dans la société me permet de m’occuper de beaucoup de choses. Pour les baptêmes, je dois démarcher l’imam du quartier, m’occuper de l’achat des colas en même temps informer les parents etc. Les démarches des mariages nécessitent une plus grande subtilité, certaines belles-familles faisant entendre des critères fallacieux. Quand les démarches aboutissent dans de pareilles situations et que le mariage peut avoir lieu, vous pouvez imaginer ma joie. Dans la société, nous jouons souvent le rôle de courroie de transmission.
Votre rôle au quotidien a-t-il changé en même temps que la société et les mentalités ?
Rien n’est comme avant. Ce qu’on gagnait avant on ne le gagne pas aujourd’hui, c’est l’individualisme, chacun ne songe qu’à lui. Avant , c’est l’union familiale qui prévalait. Nous tendrons vers la culture occidentale, certaines coutumes seront en voie de disparition.
En quoi votre rôle est-il différent de celui des djelimussos?
Depuis fort longtemps, nous ne jouons pas les mêmes rôles, je dirais même depuis les temps immémoriaux. Lorsqu’il y a naissance d’enfant, il est très rare que nos diatiguis demandent à une djelimusso (griotte) d’aller annoncer la nouvelle à l’imam du quartier et aux autres parents chefs de familles. Pour le mariage, je n’ai jamais vu ni entendu qu’on ait diligenté une djelimusso avec une délégation de parents pour demander la main d’une fille en mariage. Son rôle est ultérieur à celui-là. Même au temps des Massakès (les rois), ils avaient tous un djelikè (3), les djelimussos étaient pour les Massamussos (Reines). Dans la société actuelle, lorsqu’un garçon demande la main d’une fille, sa maman lui pose d’abord des questions pour connaître le nom de cette fille et celui de ses parents, pour ensuite demander à sa djelimusso de mener une enquête pour avoir de plus amples informations et savoir si la fille est issue d’une famille de noble. Quant au père du garçon, il demandera à son djelikè de chercher à savoir comment la mère de la jeune fille se comporte avec son époux. Toutes ces investigations ont leurs importances avant de prendre quelque décision que ça soit. Mais au jour d’aujourd’hui, tout ça a tendance à être négligé. Les gens se fient à leur instinct, or ce n’est pas toujours suffisant.
Que pensez-vous de la nouvelle génération des djelis ?
Avant, on cherchait à connaître une personne avant de la louer ou lui demander quoi que ce soit. Aujourd’hui, on nous traite de gens très cupides, cela est très grave. Avant, cela ne prévalait pas, nous étions fiers de nous, la considération et le respect qu’on nous accordait nous satisfaisaient bien plus que l’argent. Au cours des cérémonies de mariage, nous voyons aujourd’hui des personnes dont nous ne savons pas s’ils sont des djelis ou convertis en djelis pour la circonstance, cherchant leur pain suite à la pauvreté. Il faut être invité ou recommandé, nous devons faire très attention. Il y a beaucoup de bons djelis, on se connaît. Nous avons un rôle important à jouer dans la société que d’autres personnes ne peuvent jouer.
Quel rôle chacun jouait lorsque vous viviez avec votre femme?
On m’appelle sanunèguèny (4) comme pseudonyme, c’est édifiant et évocateur. Avec ma femme, c’était magnifique. Tout le monde nous invitait en couple, elle chantait et moi je jouais dans les cérémonies, les gens étaient ivres de joie. Je la regrette pendant certaines cérémonies, je tourne la page et le livre reste ouvert. On se complétait, et unis on gagnait beaucoup que séparé. C’est la vie (rires).
 » On naît griot, on ne le devient pas.  » Qu’est-ce que vous en pensez, et en quoi vous en êtes fiers ?
Pour moi, cela remonte à très longtemps. Il y avait, d’après ce qui m’a été raconté, un massakè du nom de Demba Sadio qui avait un fils nommé Nionkoutou Sadio pour qui mon arrière-grand-père aurait quitté son village de Ségou, pour venir le voir afin qu’il l’héberge. C’est ainsi qu’il devint son djeli. Et toute sa progéniture a suivi, en se comportant en djeli. La question ne se pose même pas. C’est comme le moine dans sa tenue, on ne demande pas s’il est un moine où pas. Je ne regrette rien, j’en suis fier. Je suis né griot, je finirai griot.

1. Instrument d’origine mandingue constitué d’une demi-calebasse sur laquelle est tendue une peau de vache et possédant plusieurs cordes.
2. Egalement appelé n’tama, le n’tamani est un tambour qui se tient sous le bras, dont la fonction est aussi bien mélodique que rythmique.
3. Masculin de djelimusso, désigne le griot.
4. Littéralement, cela signifie gourmette en or.
///Article N° : 3623

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