Dans Histoire de Ian van *** Gentilhomme de Flandre, Adrien Salmieri nous raconte la vie d’un jeune aventurier flamand, genre Léon l’Africain, qui confie à Dieu et au lecteur la confession des pérégrinations tumultueuses de son âme. Dans ce récit expiatoire situé au 18ème siècle, le narrateur invoque la miséricorde céleste pour les péchés qu’il a commis dans son existence de ruptures. » Je les consigne à ces cahiers non pour une supériorité qu’ils posséderaient sur la mémoire d’autrui, mais parce qu’il m’a été imposé, mon Père, dans la contrainte où on m’a jeté, d’évoquer les actes de mon existence sans rien omettre dans la confession « .
Né à Tunis en 1929 et vivant en France depuis 1964, Salmieri que l’on pourrait définir, à vouloir simplifier, écrivain italien de graphie française – publie ses précédents romans au cours des années 70. Après une longue absence et le combat contre un mal qui l’a frappé à la » source » même des paroles pour ses histoires, l’auteur conjugue dans ce nouveau roman son autobiographie avec des digressions historiques. Il revient ainsi sur les thèmes qui lui tiennent le plus à cur : le déracinement, le passé lourd à supporter et impossible à effacer, le sens de culpabilité pour la mort des autres, la violence, l’appel à une justice censée purifier le mal. Se considérant » l’Italien d’autres rivages « , d’une contrée ineffable qu’il laisse voilée de mystères, Salmieri impose à ses personnages dont il réinvente à chaque fois identités et appartenances, les déguisements les plus extravagants qui confondent le lecteur » bienveillant » auquel l’auteur veut s’adresser.
Le jour de la naissance de Ian toute sa famille reste tuée par un prodigieux déluge qui s’abat sur la maison parentale : » la foudre défonça à grand fracas le toit de notre hôtel, des cataractes d’eaux s’engouffrèrent par la brèche, dévalant à toute force les escaliers jusqu’aux appartements « . Encore » ensanglanté des marques de la délivrance « , il échappe à la mort grâce à sa nourrice Marijke qui l’arrache » du berceau qui tournoyait à demi renversé par le flot « . Il grandit en roi dans son bercail endeuillé jusqu’au jour où le désir peu filial qui l’attire vers Marijke, sa » vraie et unique mère « , ne peut plus être caché. » Sur le dos, nue entièrement, le drap fluait d’entre ses cuisses, coulée d’écume figée, découvrant le ventre, le centre souverain qui porte la mémoire de la première séparation [
] j’ai scruté, voracement, ici, partout, là, sans désirs, seulement la curiosité et l’accablement de la faute « .
Fuyant en quelque sorte la honte d’avoir commis cet » inceste de pensée » il part avec son précepteur italien, un savant jésuite, qui abuse de lui et dont il se débarrasse en le dénonçant à la justice. Après avoir affronté toutes les adversités dignes d’une odyssée purgatoire qui le mènera à la conquête de sa femme, il revient au paradis de son enfance, près de sa nourrice devenue maintenant son amante. Cette relation avec la mère adoptive, qui avant le retour du héros reste onirique comme dans le mythe de Phèdre et Hyppolite mais aux rôles inversés, n’est que l’allégorie du rapport avec la Tunisie natale (auquel Salmieri avait consacré le roman Chronique des morts (1)). » Je pénétrais en elle qui me repoussait en s’écartelant, je fus la charrue qui s’enfonce dans le sillon et je reconnus le sillon, la terre déchirée par le soc qui exhale sa ferveur d’attente moite ; et longuement je labourai et je criais de joie pour la rejonction… « .
Personnage de l’altérité, obscur et instable, aimant les intrigues, poussé à la dissolution par le désamour de sa personne, délateur obsédé par la justice à laquelle il se soumet dans le but d’être réhabilité, le destin n’aura aucune pitié de lui. Il est ainsi contraint à subir la vision et la conscience de l’Enfer dans la vie, condamné à la souffrance éternelle sans le soulagement de la mort car une nouvelle fois : » le déluge submergera la ville, le feu du ciel et des hommes la bouleversera pierre sur pierre, et je demeure « .
1. Ce roman vient d’être republié dans le recueil : Tunisie, rêve de partages, (Omnibus, Paris, 2005) ; 25Histoire de Ian van *** gentilhomme de Flandres ou le théâtre du péché, (éd. De Corlevour, Paris, 2004) ; 22,50
du même auteur
Aux Éditions Julliard:
ROMANS:
Le soldat, 1972.
Elpénor, la nuit, 1973.
Chronique des morts, 1974.
Notes de voyage dans l’île, 1978.
La violence d’un été, 1979.
NOUVELLES:
IL, 1975.
TRADUCTION :
Matteotti, précédé d’un essai, 1974.
En italien :
La quarta Italia, Publication de la Sorbonne Nouvelle Paris III (Circe, Paris, 1996).
En collaboration avec Fabio Flego : Moses Levy, inediti oli viareggini (Viareggio, Pezzini, 2000).
Aux Éditions Finzi, Tunis, en collaboration :
Pittori italiani in Tunisia, 2000.
Memorie italiane in Tunisia, 2000.
Architettura italiana in Tunisia, 2003.
Lavoro e lavoratori italiani in Tunisia, 2004.///Article N° : 4405