Histoire(s) d’un quartier : balade africaine au pays de Gandhi

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Khirki village était LE quartier africain de Delhi. Jusqu’à ce que des tensions raciales s’exacerbent en 2014 et poussent la majorité des habitants africains à déménager. Mais depuis, de nombreuses initiatives tentent de nouer un dialogue entre les populations indiennes et africaines. Rencontre(s).

Pour rejoindre Khirki village, il suffit de trouver le Max hospital, ce centre de soins dernier cri. Puis, suivre la route principale jusqu’à l’opulent centre commercial de Saket. Là, s’engouffrer dans une rue de terre, se laisser mener jusqu’au carrefour suivant, emprunter les autres ruelles comme elles viennent. En quelques minutes à peine, Khirki vous aura absorbé.
Ici, les échoppes indiennes côtoient quelques épiceries et salons de coiffure africains. Indices d’une migration récente laissés ça et là dans ce quartier où l’on croise des Nigérians, des Congolais de RDC ou encore des Camerounais. Beaucoup sont étudiants, dans l’import-export ou encore employés dans des call-centers. « La plupart arrive en Inde avec un visa étudiant ou un visa d’affaires mais une fois que celui-ci expire, beaucoup restent sur le territoire sans papiers », explique Bani Gill qui rédige sa thèse sur les migrations africaines en Inde. Elle date cette forme de migrations africaines à la fin des années 2000 et rien qu’à Delhi, la chercheuse estime qu’ils seraient entre 10 000 et 20 000.

© Clémence Després

Restaurants clandestins
Jusque récemment, beaucoup d’entre-eux vivaient à Khirki. Yves, un réfugié ivoirien qui y a longtemps habité se souvient nostalgique de l’époque où ce territoire était encore LE quartier africain de Delhi. « C’était il y a deux ou trois ans, on comptait au moins une quarantaine de restaurants africains », se remémore-t-il. Aujourd’hui, il n’en reste que trois ou quatre. « On pouvait manger du poisson et trouver des frères avec qui le partager, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit », s’enthousiasme son ami Derek, un Congolais de Kinshasa qui travaille dans un des nombreux call-centers du pays.
Au récit de ces souvenirs succèdent ceux des violences et des attaques racistes qui ont poussé de nombreux résidents africains à s’installer dans d’autres quartiers. Car l’histoire même de ces restaurants clandestins est directement liée aux humiliations subies par les Africains noirs au pays de Gandhi. Las, de se voir refuser l’entrée des clubs de la capitale indienne, la communauté africaine se retrouve d’abord dans les appartements des uns et des autres. « On a fini par se dire qu’on allait créer nos propres endroits », explique Derek. Khirki est ce que l’on appelle en Inde un « village urbain ». La règlementation y est plus souple qu’ailleurs et les autorités se montrent plus clémentes (moyennant finance) vis-à-vis des établissements qui s’ouvrent de manière irrégulière.

Discriminations liée à la couleur de la peau
« Certains habitants ont commencé à se plaindre du tapage mais le fond du problème ici c’est le racisme, dénonce Yves. On se fait insulter, montrer du doigt et lorsque les enfants se moquent de nous, leurs parents rient plutôt que de les reprendre ». De nombreux Indiens font eux-même l’expérience de cette discrimination liée à la couleur de peau. « En Inde, on considérait autrefois que les basses castes avaient généralement la peau plus foncée et la colonisation a renforcé cette figure de l’homme civilisé à la peau clair », estime Ajay Dubey, spécialiste en études africaines à la Jawaharlal Nehru university à New Delhi. Car si « la couleur en Afrique est un lien », comme nous le disait si justement l’écrivaine martiniquaise Maryse Condé, elle a une autre portée en Inde a-t-elle également constaté lorsqu’elle y a séjourné après avoir habité en Guinée, en Côte d’Ivoire ou encore au Ghana . Et dans l’imaginaire collectif, les Africains sont en Inde associés à toutes sortes de trafics illégaux. « Les seules fois où il est question des Africains dans les médias, c’est pour rapporter une arrestation liée au trafic de drogue ou encore à la prostitution », explique Ajay Dubey.

© Clémence Després

Violences quotidiennes
A Khirki, cette violence quotidienne, faites d’insultes et de regards insistants, s’exacerbe un peu plus en janvier 2014. Somnath Bharti, alors en charge de la justice à l’assemblée régionale de Delhi, organise une descente dans le quartier en pleine nuit pour prendre « dealer et prostituées » la main dans le sac. L’opération cible principalement les résidents africains et fait grand bruit dans le pays. « La communauté a alors organisé des rassemblements et nous nous sommes rendus compte que des Indiens étaient prêts à se battre à nos côtés, raconte Yves. Cela nous a beaucoup touché ».
C’est d’ailleurs dans l’un de ces rassemblements qu’il rencontre Aastha Chauhan, une artiste qui travaille dans ce quartier populaire depuis plusieurs années. En 2014, elle se mobilise parce que le magasin d’une de ses amies camerounaises est pris pour cible par des habitants. « il fallait instiguer un dialogue pour mettre un terme à ces tensions », se souvient-elle. Aastha et Yves concrétisent alors une idée qui leur trottait dans la tête depuis longtemps : organiser un festival où les communautés africaines et indiennes se réuniraient autour de la musique, de la danse et de la nourriture. Un pari risqué mais qu’ils remportent haut la main la même année. Le résultat ? « Des Congolais sont venus rapper, des gamins du quartier ont fait des démo de hip-hop et tout le monde a passé une agréable journée côte à côte », se souviennent-ils, vidéos à l’appui.

© Clémence Després

Les liens entre l’Inde et l’Afrique
Parallèlement, d’autres initiatives se mettent en place pour favoriser le dialogue entre les communautés. Pour exemple, toujours en 2014, des anthropologues et des artistes indiens se réunissent au studio Khoj, un centre d’art implanté dans le quartier depuis les années 2000. Ils impulsent l’année suivante, un programme de résidences artistiques, « Coriolis Effect », avec pour thème les liens entre l’Inde et l’Afrique. Des relations qui ont commencé à se développer dans les années 1930 et qui se sont renforcées à travers le mouvement des non-alignés dans un contexte post-colonial de Guerre Froide ou encore depuis 2008 avec l’organisation des sommets Inde-Afrique. Pour autant, les interactions entre les populations africaines et indiennes ont été quasi-inexistantes. « La politique étrangère n’est pas faite par les individus et les citoyens, c’est là que le bât blesse, le commun des mortels ne réalise pas à quel point l’Afrique est importante pour l’Inde et il n’existe pas de compréhension mutuelle », déplore Ajay Dubey.

Projets artistiques
Un constat qu’a pu dresser Radha Mahendru qui gère le programme de résidences à Khoj. La première année, une dizaine d’artistes indiens mais aussi africains sont invités. « Cette initiative a facilité l’engagement des artistes mais cela ne s’est pas fait naturellement, il fallait une impulsion », estime la jeune femme. De cette expérience naîtra un roman graphique. Publié début 2017, il est le fruit d’un atelier d’écriture avec des réfugiés somaliens. Pour son édition 2016, la résidence s’est élargie à la question de la migration et de la mémoire. Elle a, entre autres, donné naissance à un journal : « Khirkee Voice ». Ce trimestriel de quartier a pour but de faciliter la connaissance de l’Autre et est publié en Hindi et en Anglais.
Plusieurs autres projets artistiques sont installés dans le quartier pendant toute l’année 2017. A commencer par une « Bibliothèque humaine ». Il s’agira en fait de performances, lors desquelles le public pourra poser des questions à un habitant du quartier. Une façon de raconter son histoire en interaction avec l’audience. Un autre projet se matérialisera par l’installation d’un studio d’enregistrement pour que chacun puisse venir raconter son histoire. Une tentative de saisir la mémoire des habitants de ce quartier alors qu’ils sont déjà nombreux à s’en être allés. Justement, pour ne pas faire d’histoire.

Clémence Després

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Un commentaire

  1. Chez moi, dans ma petite ile (La Réunion) ils sont méprisants envers nous, qui sommes d’origine africaine , emmenés dans cette çile avant eux ! heureusement qqqqqqqque nous sommes sous ‘tutelle » de la france ; ce qui nous donne un minimum de droits.

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