Merci Jean-Paul Gourévitch, merci M. le Président de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer J’ai également le plaisir de rencontrer Loïc Hervouet. Vous voudrez bien excuser mon retard mais compte tenu de l’actualité liée aux élections présidentielles en Côte d’Ivoire, j’ai dû réaliser un certain nombre d’interviews.
Il m’a été demandé de vous exposer mon point de vue sur une mémoire partagée des indépendances, ou, au minimum, une mémoire décomplexée des relations franco-africaines et plus largement des relations franco-africaines.
Est-ce qu’une histoire décomplexée est possible ?
J’aimerai tout d’abord me présenter. Je suis journaliste, directrice des programmes d’Africa n°1. J’ai le privilège de m’adresser aux Africains de France et aux Français puisque Africa n°1 émet en modulation de fréquence depuis Paris. Africa n°1 c’est une radio africaine internationale généraliste née à Libreville au Gabon en 1981 créée par le Président défunt Omar Bongo Ondimba.
Il s’agissait de faire en sorte que l’Afrique puisse parler au monde et donner sa propre vision du monde aussi bien aux Africains en Afrique, qu’aux Africaines dans le monde entier.
Je me bornerai à parler de mon expérience parce que je suis journaliste. Je ne suis pas dans la logique des dogmes mais dans celle de voir les choses telles qu’elles sont. Je pense que les choses sont beaucoup plus complexes lorsqu’on parle des relations franco-africaines.
Je suis née au Gabon, en Afrique centrale dans un petit pays dont la particularité, en dehors d’être doté d’immenses ressources naturelles et minières, est parfois dans l’il du cyclone. On parle de l’affaire des biens mal acquis, des relations vraiment complexes entre la France et l’Afrique. Je viens d’un pays qui, en dehors d’être doté d’immenses richesses naturelles et minières a un rapport au monde particulier. Loïc Hervouët en a parlé tout à l’heure en évoquant l’exemple de Madagascar.
Pour vous expliquer ce rapport du Gabon au monde, je vais citer le cas d’un Français, Vincent Ravalec qui est romancier et qui en parle beaucoup mieux que moi.
Il écrit qu’après avoir cherché dans plusieurs continents, c’est finalement en Afrique équatoriale, et notamment au Gabon qu’il a trouvé une réponse aux questions qu’il se posait. Il a rencontré le Gabon, des Gabonais mais surtout une religion, le Bwiti.
Le Bwiti, c’est une science, un art de vivre, une religion. Il faut dire que Vincent Ravalec travaillait avec acharnement depuis l’âge de 17 ans sur la psychanalyse, la méditation, le questionnement philosophique, l’expression artistique, l’approche chamanique. Il a vraiment pu trouver les réponses à son questionnement intérieur acquis fondamentalement au Gabon et il écrit « ce que croyais avoir appris s’est trouvé confronté à un savoir abyssal ». Il raconte donc l’expérience.
« Le premier soir, allongé sur un lit de feuilles, je suis entré dans une sorte de tunnel blanc, j’avais des visions de la société occidentale, télé, métro, comme si la terre elle-même nettoyait mon cerveau de toute une pollution psychique. Au matin a eu lieu une remontée dans le passé.
Je ne m’étais jamais intéressé à ma généalogie familiale, mais avant de partir, sur les conseils de mon guide – Mallendi, j’avais retrouvé mon arbre généalogique (et des ancêtres près de Brocéliande !). Là, psychiquement et physiquement, je suis redevenu tour à tour plusieurs de ces ancêtres, bretons d’abord, puis plus lointains, indiens. Alors c’était très visuel, clair, intense »
Alors il se pose les questions. « Quand on fait des expériences au Gabon notamment qu’est-ce qu’on revit ? Est-ce que ce sont des vies antérieures ? Est-ce que c’est une mémoire génétique ? Combien avons-nous de mémoires ? ». Il répond « je ne sais pas mais j’ai l’impression d’avoir revécu avec des images très précises des existences qui m’appartiennent, des logiciels qui me composent. L’initiation au Gabon m’a permis d’aller vers la lumière »
Je vous le dis parce que c’est également cette façon de concevoir le monde qui m’a nourrie mais pas seulement puisque je suis arrivée en France quand j’avais 4 ans, mon père était étudiant en médecine à Nantes.
Avant cela, ceux qui connaissent bien l’histoire du Gabon savent que le 17 février 1964, il y a eu un coup d’Etat. Des officiers gabonais s’emparent du président Léon M’Ba, le président de l’Assemblée Nationale ainsi que de plusieurs ministres et personnalités politiques. Ils constituent un comité révolutionnaire et mettent en place un gouvernement provisoire civil dont la direction est confiée à Jean-Hilaire Aubame. C’est l’histoire du Gabon, je vous épargne ce qu’il y a autour mais ce qu’il faut se rappeler c’est que les forces françaises ont débarqué à l’aéroport de Libreville en provenance de Bangui, la capitale Centrafricaine. Les militaires gabonais n’avaient pas pris soin de contrôler militairement l’aéroport et les Français vont remettre à son poste Léon M’Ba, le premier président du Gabon. Donc à partir de là peut-être que je ne suis pas une personne née dans les années 60 mais je pense que l’imaginaire collectif des Gabonais est empreint de cette réalité là et on ne pas l’ignorer.
Donc je suis venue en France rejoindre mon père et là je découvre l’école française avec ce qu’elle enseigne, ses valeurs dans une langue que moi, petite fille gabonaise, j’apprends à aimer parce qu’elle constitue pour moi un refuge, une forme de liberté. Entre 1964 et 1970, mon père est très dur parce qu’il voudrait nous inculquer les bonnes manières françaises. Il est assez rigoureux. Il faut qu’on soit propre, poli, et cette langue française, j’ai fait corps avec elle parce qu’elle était une sorte de bouclier et c’est vrai que quand on est enfant on n’a pas conscience de ce qui s’est passé avant. On découvre au fur et à mesure qu’il y a un rapport spécial entre le pays ou vous vivez et le pays d’origine. Moi, ce que je sais, c’est que quand j’étais petite, ma mère me disait lorsqu’un petit blanc va te traiter de négresse, tu lui réponds « cochon de braté » C’est la seule chose, c’est le seul mot que j’avais pour exprimer ce que j’étais et pour me défendre.
Les années ont passé. Je suis retournée au Gabon. J’ai appris à connaître, à comprendre la société gabonaise africaine alors que l’inverse aurait pu être plus facile mais moi je l’ai fait dans l’autre sens. J’ai acquis la culture française ; je suis française fondamentalement.
Quand je suis rentrée au Gabon, j’ai appris à comprendre la société africaine. C’est peut-être pour ça que je suis devenue journaliste car au fur et à mesure justement que je comprenais la complexité de la société africaine, je voyais bien qu’il y avait un écart immense entre ce que les médias africains véhiculaient sur nous-mêmes et sur l’Afrique et la réalité.
Moi mon leitmotiv c’est vraiment de changer l’image de l’Afrique. C’est de redonner confiance aux Africains, c’est de dire aux Français de nous regarder différemment, de dire aux Africains de regarder le Blanc et le Français tel qu’il est, loin du cliché du Blanc (c’est un colon, il a tout bon, il a tout réussi. C’est le plus beau, c’est le plus fort). C’est un effort que l’on doit faire de part et d’autre.
Je suis convaincue qu’aucune culture, aucune civilisation n’est mauvaise par essence. Je pense que dans les médias, à travers le cinéma, le sport, à tous les niveaux on a insidieusement véhiculé l’image du Noir qui n’est pas entré dans le monde et la semaine dernière j’assistai à une conférence justement sur le devenir de l’Afrique et Anthony Bouthelier (2) disait que la question du développement de l’Afrique est une question totalement globale en 2010 alors qu’elle devient exceptionnelle dans les pays émergents comme le Brésil.
Mais moi, j’ai une question à poser. Est-ce qu’on jauge l’Afrique sous son angle véritable ou bien est-ce qu’on est vraiment dans la vérité lorsqu’on dit que les chefs d’Etat africains sont des corrompus ? Pendant trente ans les médias africains et français l’ont dit mais ce que beaucoup de journalistes ne savent pas c’est que dans des nations aussi jeunes (on n’a que 50 ans d’indépendance) les citoyens africains comme leurs dirigeants ont avec le bien public un rapport plus proche des usages communautaires de solidarité immédiate et obligée que de toute autre considération. Donc le lien tribal, je vais utiliser ce terme là sans la connotation qu’on donne dans les médias. (Quand on dit « tribal », « ethnique » tout de suite la réaction est « Ah, non, c’est pas normal, c’est primitif, c’est des sauvages » Non, bien sûr) le lien tribal est tellement fort que justement parfois c’est peut-être la cause de ce qui se passe en Afrique.
Je vais vous citer le cas d’un historien et sociologue français d’origine ivoirienne Claude Boli qui est responsable du département recherche au musée national du sport et il écrit ceci « en 1954 France Football écrit un article sur le premier joueur de football originaire d’Afrique Noire. Voici ce qu’on lit « Espoir, devenu vedette, il s’appelle Golon, né la 7 juillet 1927 à Cotonou, marié, 2 garçons, c’est Diane qui le présenta au stade. On a eu quelques peines à croire que ce garçon, si frêle, timide, s’imposerait dans une équipe pro. S’il approche de la grande consécration sans tout à fait l’atteindre – il n’a joué qu’un match officieux en équipe de France contre les pros hollandais le 12 mars 1953
- c’est qu’il a beaucoup de mal à discipliner ses instincts ».
Voilà comment on décrit l’homme noir, l’homme africain, les instincts. Nous sommes d’abord des êtres humains. C’est d’abord l’instinct qui fait de nous ce que nous sommes : l’instinct de survie, le besoin d’être rassuré. Ca vient des profondeurs et je ne pense pas que le dire c’est nous catégoriser dans la catégorie des sous hommes, de ceux qui ne sont pas rentrés dans l’histoire et 50 ans plus tard Nicolas Sarkozy continue à véhiculer sur l’Afrique des idées comme celle-là parce que ça arrange tout le monde. Quand je dis tout le monde, c’est la famille africaine, les Français, et c’est tellement plus facile que d’aller regarder au-delà de l’apparence.
Autre exemple Moi je suis souvent sidérée d’entendre des journalistes dire qu’en Afrique il y a 17 millions de personnes véhiculant le sida. Sans commentaires. 17 millions déjà c’est énorme. On balance une vérité qui fait froid dans le dos mais ces personnes ce sont 17millions d’êtres humains qui se battent. Il y a des gens, des associations qui cherchent à trouver des solutions. Une femme qui se retrouve contaminée par son mari, elle fait partie de ces 17millions de personnes mais c’est une femme qui se bat, qui se dit, »je ne veux pas mourir parce que j’ai des enfants à élever, parce que mon homme il a d’autres femmes ; je ne peux pas mourir. »
Je pense qu’il faut vraiment qu’on fasse mieux notre travail nous journalistes. Il faut vraiment regarder au-delà des apparences et c’est ce que je pourrais dire en termes de contribution sur de meilleurs rapports et sur une relation décomplexée entre l’Afrique et la France.
Je crois qu’en 2010 on a beaucoup célébré ces indépendances, c’est ce qu’on fait aujourd’hui, et je pense que la question du devenir de nos relations s’impose d’autant plus qu’il y a des enjeux et des défis nouveaux mais c’est le même finalement. Il y a des hommes et des femmes qui sont en quête d’un meilleur avenir pour eux, pour leur vie, celle de leurs enfants. Il s’agit d’assurer leur subsistance. C’est là où vous avez réussi, c’est là où les Français ont réussi à faire qu’on soit dans une société où tous les besoins primaires ou les instincts premiers sont satisfaits mais après qu’est ce qui se passe ? La question qu’on doit se poser tous ensemble est comment augmenter le niveau de bonheur et ce bonheur se résume à quoi ? Est-ce que cela se résume à un pouvoir d’achat ? Nous ne sommes pas que cela et je pense que l’avenir des relations franco-africaines dépasse justement simplement la question de la subsistance et des richesses.
Ce que j’ai constaté c’est que c’est une question de tous les dirigeants du monde aussi bien africains qu’occidentaux, qu’européens et ils ont ceci de particulier que même dans les pays démocratiques ils ont tendance à être assez autistes sur les besoins des citoyens. Je terminerai par une citation de M. Louis Dominici qui a été ambassadeur de France au Gabon et qui a beaucoup écrit sur les rapports entre la France et l’Afrique. Il dit « l’Afrique a été pour la France le chemin du monde » et je suis d’accord avec ça. Je pense que pour que nous ayons de meilleurs rapports, pour avoir une relation décomplexée, il faudrait que la France regarde désormais avec respect le continent africain parce que c’est vrai que je n’aime pas voir la relation franco-africaine de façon machiavélique où les Blancs sont mauvais et où nous les Noirs « c’est pas de notre faute ». Il y a quelque chose de fondamental à faire c’est qu’on se débarrasse des oeillères avec lesquelles on regarde l’Afrique et qu’on la regarde telle qu’elle est. Moi je suis bien placée pour vous dire que c’est vrai qu’il y a des guerres, il y a le sida, des maladies, c’est sûr qu' »il y a à prendre du fric ». C’est pour cela que les Chinois arrivent en force ainsi que d’autres nations en Afrique. Je vous assure que l’Afrique est vraiment le continent de l’avenir et le restera parce que là-bas malgré ces difficultés les gens ont cet instinct de vie important. Moi, je vois quand je vais faire des reportages dans des hôpitaux, je vois des jeunes qui se suicident alors qu’ils sont dans une société qui est riche. Une société riche ce n’est pas simplement le fait de pouvoir aller acheter un produit dans un magasin c’est le fait de se dire quil y a la sécurité autour de moi. Je sais que si je suis malade, même si je n’ai pas les moyens d’aller à l’hôpital car de plus en plus de Français sont dans cette forme de précarité, mon pays offre cette forme de sécurité. C’est ça la richesse. Mais dans nos pays où il n’y a rien du tout où il faut faire des kilomètres pour aller prendre un comprimé de nivaquine. Il y a des enfants qui font des kilomètres pour aller à l’école ; des écoles qui n’ont pas de toits. Ces êtres humains en Afrique ont encore cet instinct de survie qui est important et si on continue à regarder l’Afrique seulement en terme de « oh ! Non ! Ils ne vont pas s’en sortir ». Je pense qu’on est tous mal barrés. Il faut vraiment qu’on avance ensemble. Je pense que cela passe par un respect véritable, qu’il faut aller derrière les mots, il faut voir derrière les apparences et il ne faut pas aller en Afrique seulement quand il y a des catastrophes, il faut aller en Afrique quand ça va bien. En Afrique il y a des gens qui sont heureux, il y a des gouvernants qui gouvernent normalement, il y a des professeurs africains qui sont fiers d’enseigner la langue française à des jeunes Africains parce qu’ils disent c’est la langue de l’émancipation, c’est la langue de la civilisation, c’est la langue de la liberté.
Voilà ce que je pourrais dire en tant que grand témoin aujourd’hui. Je vous remercie.
(1) L’exposé d’Eugénie Diecky étant resté oral, les intertitres sont de l’équipe qui a mis en forme les actes.
(2) Président délégué du CIAN et Administrateur de l’Agence Française de Développement (AFD)///Article N° : 10127