Historique est cette élection, comme le rappellent les médias occidentaux. Mais aucune démocratie ne se résume à une élection. Si transparente soit-elle, une élection présidentielle ne peut être que le début d’un long processus qui prend appui sur un projet de société, lequel a pour fin la satisfaction des besoins et le bien-être du grand nombre et non pas le bonheur d’une classe dirigeante.
On ne peut manquer de s’interroger, à juste titre, sur l’issue de l’élection « historique » du 31 octobre 2010, après une campagne électorale qui a coûté 20 milliards de francs CFA (du jamais vu sous nos cieux). De belles paroles ont coulé à flots. On a fait appel à la fibre patriotique et/ ou ethnique. On a rappelé les valeurs en cours, celles qui confondent moyens et fins, richesse matérielle et bonheur. Une rhétorique digne de nouveaux sophistes du 21ème siècle a promis monts et merveilles à un peuple qui ne souhaite que la paix, rien que la paix, pas celle que l’on proclame du bout des lèvres, mais plutôt celle-là fondée sur des valeurs de tolérance et d’équité, sur le respect de l’autre, dans une démocratie (non pas de façade) mais réelle et pluraliste.
Ces dernières années, on cite volontiers la Fondation Mo Ibrahim comme vigile africain qui veille sur la bonne gouvernance, parmi les gendarmes internationaux. Cette Fondation veut récompenser les meilleurs en mesurant la gouvernance des pays africains à l’aide d’un certain nombre d’indicateurs en rapport avec le développement humain, la santé, l’éducation, le respect des droits humains, l’environnement… Qu’à cela ne tienne ! On aurait bien aimé, avant que leur gouvernance ne soit mesurable, que nos dirigeants soient des chefs dignes de ce nom. Qu’ils aient la carrure de vrais chefs et qu’ils incarnent cette noble posture. La politique est, en effet, un noble métier qui ne doit être exercé que par des femmes et des hommes de confiance, qui ont une parole et pas n’importe laquelle. Malheureusement, la plupart des dirigeants divisent leurs peuples, les réduisent à l’état de « populations », mot bien commode qui a tendance à désigner des individus et des groupes qui servent de bétail électoral, comme s’ils devaient être taillables et corvéables à merci, chaque fois que des politiciens ont besoin d’eux pour remplir une feuille de route électorale faite de calculs froids, comme si les populations n’étaient pas des humains ayant des droits et des devoirs.
Que le peuple de Côte d’Ivoire prenne ses propres responsabilités. Malgré l’avis des experts qui pensent que « tout va bien », chacun sait que de nombreux Ivoiriens vivant dans leur propre pays n’ont toujours pas de carte nationale d’identité, ni de carte d’électeur ; que l’enrôlement, dans les ambassades à l’étranger ne s’est pas passé dans des conditions idéales, loin s’en faut, excluant, d’office, de nombreux citoyens ivoiriens. Pendant ce temps, jusqu’à la veille de l’élection, des anti-modèles qui auraient des comptes à rendre devant l’histoire et au peuple de Côte d’Ivoire s’autoproclamaient chantres de la paix et de la réconciliation. Le peuple, fatigué de dix ans de ni guerre ni paix, regarde ces nouveaux messies aux mains tachées de sang, entend ces paroles calculatrices, sans y croire. Le peuple n’est jamais dupe, en ce qui concerne les rouages d’une machine électorale même s’il en fait les frais. On croit que le peuple a bon dos. Un dos sur lequel on peut tout dire, tout écrire, sauf que le peuple finit par prendre conscience qu’il est formé de citoyens ayant les mêmes droits et tenus de respecter les mêmes lois et non d’ethnies, de familles, de Frères et Surs, de Tanties et de Tontons, de Pères et de Mères.
La communauté politique n’est pas une communauté familiale. Cette confusion volontairement entretenue (comme celle du privé et du public), montre à quel point un projet de société est une urgence, pour clarifier les différents types de rapports politiques, économiques, familiaux, amicaux.
Demain est un autre jour. Même s’il n’y a rien de neuf sous le soleil d’Eburnie, que l’on pense qu’un fauteuil n’est jamais une fin en soi, qu’il est éjectable, voilà pourquoi, le temps de s’y asseoir doit être consacré à la réalisation d’un projet de société qui ne se résume nullement à quelques paroles de sophiste. Comme si on devait réinventer, chaque jour que Dieu fait, la politique, en utilisant la « démocratie » en tant que paravent que l’on ouvre à son propre peuple et à la communauté internationale comme un mot magique. Il nous appartient de sortir du registre de la magie des élections et de la « démocratie », qui, non construite, pourrait enfanter un monstre en lieu et place du bonheur attendu par tous
Dallas, 31 octobre 2010///Article N° : 9794