Kalla, le feu

De et mise en scène par Philippe Pelen Baldini

Par la compagnie Théâtre Talipot
Print Friendly, PDF & Email

La matière du feu
Un spectacle qui brûle le regard comme des braises, et dont on ne sort pas indemne, qui vous laisse des papillons de lumières dans les yeux, non pas l’éblouissement du beau, mais le rayonnement abominable de l’horreur qui ravage le monde et dont l’étincelle première est toujours en nous, tapie au plus profond.
Un spectacle de feu, où le feu se fait matière, où le feu se fait mater et la scène creuset alchimique de toutes les expériences humaines, de toutes les monstruosités aussi. Un spectacle qui échappe au classification et qui s’auto-dévore dans le tourbillon d’une énergie ardente. Un spectacle qui fait feu de tout bois : conte, danse, rituel, chants traditionnels, percussions, art lyrique, musique classique… Ce n’est pas tant la flamme séductrice et changeante qui intéresse Philippe Pelen Baldini que le frottement d’où jaillit l’étincelle, frottement des corps bien sûr, frottement des langues, frottement des musiques, des voix, frottement des pensées aussi, frottement des mythologies, frottement des peurs et des angoisses.
Cette version de la genèse passe par l’histoire de Kalla, esclave rebelle, esclave qui a choisi la liberté et que les chasseurs d’hommes jettent dans le brasier du volcan. Mais au coeur du feu, elle devient à son tour feu, feu pour éclairer la nuit des hommes, feu pour réveiller les ombres, feu pour guider les enfants exilés et perdus, feu pour attiser la braise de l’insoumission. Un mythe ontologique de l’île de la Réunion qui vient se frotter à d’autres grandes figures génésiques : Chronos, Prométhée, Adam et Eve, l’éternel féminin et toutes les formes d’oppression qu’elle subit de par le monde. Kalla réinvente la rencontre brutale et destructrice des colons et des peuples de l’Océan indien et d’Afrique, friction originelle qui fait la diversité actuelle de l’île, feu de mort et de fertilité à la fois.
Philippe Pelen Baldini construit des images en épaisseur, aussi visuelles qu’acoustiques, et travaille sur une vraie matière organique de terre et de chair. Au coeur de ce flux d’images qui avance dans la fusion du jeu, comme de la lave incandescente avec ses ruptures, ses sursauts, ses craquèlements, les corps des acteurs ont une présence extrême : nudité, peinture de terres, chevelures végétales…, et surgissent alors des images saisissantes qui impressionnent notre mémoire et continuent de nous hanter bien après le spectacle, comme celle du colon blanc qui brandit un régime de mains noires coupées, représentation violente d’une Afrique aliénée par l’esclavage, tandis qu’il tire par les cheveux une figure de femme qui peut évoquer l’Asie, comme cette flamme-femme bleue, femme étouffée au feu qui couve et jaillit soudain en un douloureux cri qui tord son corps convulsé, nié, occulté, ou celle encore de ce « pré-dictateur » fauve à la tribune de la haine.
Un théâtre qui brûle la rétine et nous ouvre les yeux par les tripes. Le vrai feu salvateur de la scène.

Théâtre des Halles
texte et mise en scène : Philippe Pelen Baldini
assistant : Thierry Moucazambo
composition musicale : création collective avec la collaboration de Ricky Randimbiarison.
Lumières : Nicolas Boudier
Scénographie Philippe Campana
Costumes : Maud Balestibeau
Création sonore : Etienne Fortin
avec Landy Andriamboavonjy, Laura Caronni, Yanis Desroc, Portia Manyike, Thierry Moucazambo, Mickaël Talpot.///Article N° : 2389

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire