Khalo Matabane : « Je me sens Sud-Africain, plus que jamais »

Entretien de Sabine Cessou avec Khalo Matabane

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« Mon travail est politique. Mes sujets sont politiques ». Khalo Matabane, étoile montante du cinéma sud-africain, travaille depuis trois ans à l’écriture de son premier long-métrage de fiction. Alors que le pays ira voter, le 22 avril 2009, pour les quatrièmes élections démocratiques depuis la fin de l’apartheid, il entamera le tournage d’une histoire qui traite de la revanche et du passé.
« Je ne suis pas de ceux qui ont des insomnies parce que Jacob Zuma sera le prochain président« , assure le cinéaste. Il trouve d’ailleurs « risible » la lutte féroce pour le pouvoir qui se joue depuis deux ans dans les rangs du Congrès national africain (ANC). Ce qui l’inquiète beaucoup plus, ce sont les conséquences à long terme de la crise de leadership que traverse le pays. « Les dirigeants ont perdu de vue la lutte contre la pauvreté. Je suis déçu par les intellectuels dont la réflexion n’est pas ancrée dans le réel et coupée du monde des pauvres. Quand je leur dis qu’il faut que les deux premières années d’études soient gratuites après le Baccalauréat, ils répondent immédiatement que ce n’est pas possible. Ils ne cherchent même pas à savoir quelles solutions concrètes on pourrait trouver pour financer ce genre de réforme« .
Son prochain film racontera le voyage intérieur d’un homme qui cherche à venger le meurtre de sa fiancée. Le film ne traitera pas de la criminalité, que l’adjectif « endémique » ne suffit plus à décrire aujourd’hui. Cette criminalité a atteint de tels niveaux et pousse une telle vague migratoire qu’un écrivain comme André Brink présente sa décision de rester en Afrique du Sud comme un acte de résistance… Mais Khalo Matabane traitera plutôt de l’impact psychologique qu’a eu la lutte contre l’apartheid sur toute une génération de Sud-Africains, minés par les coups bas, les trahisons, les intrigues politiques et les manœuvres d’infiltration du pouvoir. Des hommes et des femmes dont la vie personnelle est aujourd’hui en lambeaux parce qu’ils ne peuvent plus faire confiance à personne.
Khalo Matabane a peu à peu abandonné le genre documentaire, même si son travail reste « ancré dans le réel« . Dans le documentaire Story of a beautiful country, en 2004, il avait tourné les portraits de Sud-Africains dans des taxis collectifs : l’émotion à vif d’un couple mixte à Johannesburg, les vues d’un Afrikaner armé dans la province de l’État libre, l’arrogance d’une étudiante issue des nouvelles élites noires au Cap. Il a montré la profondeur des blessures de ses compatriotes, mais aussi leur espoir et l’extrême fragmentation de sa société.
Dans Conversations on a Sunday afternoon, un docu-fiction réalisé en 2005, il a évoqué l’immigration africaine, bien avant les déferlements de violence de mai 2008, les townships ayant alors massacré et pourchassé Zimbabwéens, Mozambicains, Somaliens et Congolais. Inspiré par une rencontre avec une jeune femme érythréenne à l’aéroport de Francfort, Khalo Matabane s’est mis dans la peau d’un poète noir. Un personnage de fiction parti à la recherche, dans les vraies communautés immigrées de Johannesburg, d’une jeune Somalienne croisée brièvement, et qui lui avait raconté l’enfer de la guerre dans son pays.
Son prochain projet de documentaire, Immigrants, consistera en sept volets qu’il confiera à sept réalisateurs différents sur des communautés d’immigrés installés depuis longtemps en Afrique du Sud et ayant eu un impact significatif sur l’histoire du pays. Parmi ces communautés figurent les Indiens et le rôle joué en Afrique du Sud par Gandhi, les Grecs, mais aussi les Juifs, qui ont activement participé à la lutte contre l’apartheid. Il sera aussi question des Portugais, qui ont afflué après les Indépendances de l’Angola et du Mozambique en 1975, et des Chinois qui revendiquent aujourd’hui d’être classés « noirs » pour mieux profiter des opportunités du black economic empowerment (montée en puissance économique des Noirs).
Khalo Matabane est sans doute l’une des voix les plus honnêtes sur l’Afrique du Sud d’aujourd’hui. Passionné par la situation au Moyen-Orient, il dévore des livres plutôt que des films. À son avis, la situation en Israël n’a rien à voir avec les Palestiniens, mais beaucoup plus avec « la façon dont les Juifs vivent le traumatisme subi pendant la Seconde guerre mondiale. Quand on a vécu ça, soit on devient paranoïaque, soit on reproduit l’humiliation en l’infligeant à d’autres. » Comme beaucoup de ses compatriotes, il a tendance à projeter l’histoire de son propre pays sur d’autres situations. Mais il ne se sent pas aspiré par la grande vague migratoire que l’Afrique du Sud connaît depuis 1994, et qui s’est intensifiée ces deux dernières années, ne concernant plus seulement les Blancs. « Plus que jamais, je me sens Sud-Africain, dit-il. New York est une ville que j’adore et il y aurait beaucoup de choses à dire sur les similitudes entre les États-Unis et l’Afrique du Sud. Mais c’est en Afrique du Sud que je veux vivre. Ce pays est un condensé du monde actuel, avec sa violence, ses divisions, mais aussi sa patience et sa faculté de pardonner. » Sabine Cessou (Johannesburg)

///Article N° : 8498

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