» La manière dont les gens mésestiment les cultures africaines m’insupporte « 

Entretien de Virginie Andriamirado avec Laure Malécot

Paris
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Sur les ondes d’Aligre FM – une des dernières radios libres de la bande FM – elle interviewe depuis trois ans diverses personnalités  » pétries  » d’Afrique. La voilà passée le temps d’un entretien avec Africultures de l’autre côté du micro. Rencontre avec Laure Malécot, conceptrice et animatrice de l’émission Résonances Africaines.

Comment est né le concept de l’émission Résonances africaines ?
J’ai créé Résonances Africaine en 2004, après avoir vécu 5 ans au Sénégal où je faisais partie d’un collectif d’artistes. En 2000, j’étais allée en Cote d’Ivoire avec un projet de film documentaire. Les évènements aidant, je me suis retrouvée à filmer les émeutes. Les gens ne s’attendaient pas à ce que les élections se déroulent comme ça même s’ils avaient des doutes sur leur déroulement. Ils pensaient plutôt à une révolution tranquille… et elle s’est transformée en carnage. J’ai vu des jeunes ivoiriens en attaquer d’autres à la machette sous prétexte de nationalité, ça m’a marquée et suite à cela je me suis posée beaucoup interrogée sur les questions identitaires. Je me suis aperçue qu’en Côte d’Ivoire, la culture africaine n’est pas valorisée. La plupart des jeunes mimétisent l’Occident et j’ai été surprise de voir qu’ils n’avaient pas le respect de leur propre culture. Cela m’a d’autant plus frappée, que j’avais eu l’occasion d’aller au Mexique où les Amérindiens ont une grande fierté de leur culture qu’ils revendiquent.
Je suis rentrée en France fin 2001 et suis restée bouche bée face aux résultats des élections présidentielles de 2002 me demandant ce qui s’était passé dans ce pays pendant mon absence. J’ai constaté qu’il n’y avait aucune représentation des minorités en France et pas seulement des Africains. Les minorités sont surtout présentes dans les faits divers mais pas ailleurs. En parlant avec le président d’Aligre – avec lequel j’avais déjà travaillé en 1998 – et qui envisageait de faire une émission sur l’Afrique, j’ai proposé de faire une émission sur la résonance de la culture Africaine dans le monde. Lors de mon voyage au Mexique j’avais rencontré les populations afro amérindiennes, culturellement pétries du métissage qui s’est opéré au cours de leur histoire sur les côtes du Pacifique. Les échos d’Afrique y sont très présents tant dans le syncrétisme religieux que dans la musique. Partout où les Africains sont allés, ils ont apporté leur culture avec eux. Je trouvais intéressant de montrer comment cette culture africaine est belle dans son extension et j’avais envie de la valoriser.
Le but était-il aussi de donner la parole à des gens que l’on n’a pas l’habitude d’entendre ?
Oui. J’ai tenu à mettre en avant la parole des artistes dont le travail fait souvent référence aux souffrances humaines. Contrairement aux politiciens et autre gens de pouvoir, ils ne pratiquent pas la langue de bois. Ils ont une parole ouverte, vivante.
Résonances Africaines, c’est aussi une façon de lutter contre les a priori que beaucoup de gens ont sur l’Afrique. La manière dont ils mésestiment par ignorance les cultures africaines m’insupporte. Très vite, j’ai aussi invité des non-Africains intéressés par l’Afrique pour ne pas enfermer l’émission dans un ghetto africanisant. C’est avant tout une émission pluriculturelle où je m’attache à représenter diverses disciplines et à recevoir des plasticiens, des cinéastes, des écrivains, des conteurs, des acteurs, ou des danseurs.
Sur quels critères choisissez-vous vos invités ?
J’essaye de m’attacher à leur actualité. Même si Résonances Africaines n’est pas une émission de promotion à proprement parler, je trouve important d’encourager les gens à aller voir une exposition en cours où à lire une nouveauté. Si un auteur publie un livre et que personne ne l’achète, il n’en fera pas un deuxième. A part RFI et Africa N° 1, un artiste africain qui veut faire la promotion de son travail se trouve un peu coincé. Mais je peux aussi fonctionner au coup de cœur.
Il m’arrive cependant régulièrement d’inviter des gens qui ne sont pas en promo mais qui travaillent sur une thématique liée à l’actualité. Depuis un an, je reçois des associations humanitaires avec lesquelles il me semble nécessaire de faire de temps en temps un point autour de leur travail, comme nous avons pu le faire sur le trafic d’armes en Afrique ou sur certains accords économiques.
Depuis trois ans, j’ai tissé des fils que j’essaye de suivre et d’approfondir. J’apprends en même temps que mes auditeurs. Au cours d’une émission avec des artistes antillais, j’ai mesuré à quel point ils souffraient de ne pas savoir d’où ils venaient. Je ne le savais pas avant de faire cette émission. Contrairement à certaines idées reçues, notamment auprès de certains Africains, les Antillais ne sont pas enfermés dans une tour d’ivoire, indifférents à ce que les Africains font. Ils sont pour beaucoup préoccupés par l’Afrique. Je reçois régulièrement des artistes antillais que je cuisine un peu sur ce sujet et je crois que ça leur fait du bien d’en parler et aussi de faire passer le message.
Toutes proportions gardées, les structures n’étant pas les mêmes, en quoi Résonances Africaines se démarque-t-elle des émissions culturelles en relation avec l’Afrique que l’on peut entendre sur des radios comme RFI ou Africa N°1 ?
C’est justement l’idée de la résonance. C’est une émission sur la résonance de l’Afrique dans le monde. Africa N°1 est une radio africaine avant tout destinée aux Africains. Résonances Africaines n’est pas une émission africaine, ses auditeurs ne sont pas forcément africains ni même concernés par l’Afrique. Dans les mails qu’ils m’envoient, beaucoup disent découvrir ce continent à travers cette émission.
Ce qui m’intéresse justement c’est de faire une émission sur l’Afrique sur une radio qui ne soit pas connotée Afrique. Je ne ferai pas la même émission sur des radios plus connotées. Ce sont surtout des  » bons français  » qui l’écoutent et j’espère les faire un peu changer dans leurs a priori. Le racisme né avant tout d’un manque de compréhension et d’un manque de connaissance. Si je peux favoriser leur respect des Africains et de leur culture, si je peux contribuer à ouvrir leur regard et qu’ils sortent de l’image des  » pauvres gars sur des bateaux qui viennent bouffer leur pain « , j’aurais atteint mon but. Le fait que Résonances ne soit pas qu’une émission de promotion, permet des échanges moins formatés que ceux que l’on peut entendre ailleurs.
Pourquoi avez-vous décidé d’intégrer un flash d’informations africaines, non prévu à l’origine ?
Parce que les chaînes généralistes françaises ignorent l’actualité africaine sauf quand les Français sont concernés. Quand ils se font expulser de Côte d’ivoire, ils font la une des journaux, mais nombre de Sénégalais, de Maliens et de Burkinabés se sont fait jeter de ce pays depuis 2000, et de cela personne n’en a parlé. Ça me révolte !
Pour aider les auditeurs à mieux cerner une information, nous pouvons être amenés au cours du flash à faire des rappels historiques. C’est important de leur donner des repères, pour les aider à mieux cerner une information. J’insiste régulièrement sur le passé colonial de la France. Sur le continent américain, la douleur des noirs est passée. C’était celle des esclaves. Les Africains ont été  » esclavagisés  » sur place, on leur a colonisé le mental et les Français doivent comprendre que les Africains portent encore cet héritage, sinon ils ne pourront jamais dialoguer.
Sur ces trois années d’émissions quelles sont les rencontres qui vous ont particulièrement marquées ?
J’ai eu la chance de rencontrer grâce à cette émission beaucoup de gens que j’admirais comme Alpha Blondi. J’ai entendu sa musique partout où j’ai voyagé, que ce soit en Europe, en Amérique latine ou en Afrique. Comme il est très facile d’accès, il ne m’a pas impressionnée comme je l’aurais cru. Celui qui m’a impressionné c’est Rachid Taha. D’abord j’aime beaucoup sa musique et c’est un personnage qui m’a déstabilisée mais je ne saurai pas dire pourquoi. Ma rencontre avec Catherine Deneuve à l’occasion d’un film qu’elle avait tourné au Maroc, m’a laissée songeuse. Comme elle me parlait de la beauté des femmes africaines, je lui ai demandé si elle avait conscience de ce qu’elle pouvait représenter pour ces femmes comme modèle d’élégance et de beauté. Elle m’a répondu qu’elle ne s’en rendait pas compte. Elle se rend compte qu’elle est une star internationale mais elle ne se rend pas compte de ce qu’elle peut représenter en Afrique…
Mon grand regret est de ne pas avoir rencontré Ali Farka Touré. Mais au-delà des rencontres que je peux faire, celles entre les invités eux-mêmes et les connexions qui peuvent s’opérer entre eux sont les plus stimulantes. Il m’arrive assez souvent d’être émue en cours d’émission. Sur des sujets comme les armes en Afrique ou les enfants soldats, certains témoignages ne peuvent que retourner.
Vous est-il arrivé d’être confrontée à certains dérapages ?
Dans l’ensemble, j’ai plutôt fait des bonnes rencontres que des mauvaises. Il y a eu une fois un dérapage avec un auteur qui avait écrit un livre polémique. J’ai fait l’erreur de l’attaquer frontalement et d’emblée. Il n’a pas apprécié, n’a pas voulu répondre à la question et il est parti.
Depuis je suis beaucoup plus prudente avec mes invités. J’ai un temps mis mon nez dans  » l’affaire Dieudonné « , notamment au moment de son différend avec Fogiel que j’ai aussi rencontré. J’ai interviewé Dieudonné à deux reprises, mais la seconde fois, j’ai compris que je ne pouvais rien en tirer. C’est quelqu’un dont j’aimais bien l’humour lorsque je vivais en Afrique. Il n’était pas ce qu’il est maintenant. J’essayais de lui tendre des perches, j’avais envie qu’il dise des choses bien. Ça n’a pas été possible.
Maintenant je m’autorise le droit de me dire que je n’ai pas envie de parler de tel ou tel sujet.
Je ne pourrai pas aller questionner Dieudonné sur sa présence à un meeting de Le Pen, comme je n’irai pas voir Pascal Sevran pour lui demander pourquoi il dit des horreurs sur les Africains.
Souvent les journalistes invitent des gens dont ils n’aiment pas le travail pour les démolir. J’ai trop de respect pour le travail artistique pour faire cela. J’ai plutôt tendance à inviter les gens dont j’ai aimé le travail, c’est plus motivant et je me sens meilleure en interview. Il y a tellement d’artistes auxquels il faut donner la parole que ce n’est pas la peine de la donner à des gens dont on n’aime pas le travail.
Aligre FM est une radio indépendante avec une connotation de radio militante. C’est important pour vous de faire une émission dans ce cadre malgré le manque de moyens ?
Oui, car je suis dans une démarche militante claire contre le racisme. Ce qui me fait du bien, sinon je serai extrêmement malheureuse. Si je ne le faisais pas, je ne me sentirais vraiment pas bien. Je trouve que ce qui se passe en ce moment en France est grave au niveau du racisme, des lois qui passent sur l’immigration, de ce que fait encore la France en Afrique.
Concernant le manque de moyens, il est évident qu’il limite notre action. Le plus frustrant est de ne pas pouvoir faire des reportages sur le terrain. C’est important de pouvoir recueillir la parole du terrain, pas seulement celle des artistes, mais aussi celle des gens. En Afrique les gens sont touchés par l’art. Il y a un rapport direct à la peinture qui fait partie de la vie. Je voudrais pouvoir les interviewer sur la manière dont ils reçoivent la parole des artistes, sur leur ressenti face à leur travail et comment celui-ci s’inscrit dans leur quotidien. Prenons par exemple le travail d’Ousmane Sow. Au-delà de son aura, il peut déranger. Il y a des gens qui disent que ces sculptures luttent en quelque sorte avec les dieux. Recueillir de tels témoignages, donnerait une tout autre couleur à la façon de voir son travail.
Et bien entendu, si j’en avais les moyens, je serais présente lors manifestations comme le Fespaco, la Biennale de Dakar ou les rencontres photographiques de Bamako.
Avez-vous essuyé des refus de personnes ne préférant participer à l’émission ?
Jamais directement, sauf bien sûr en cas d’indisponibilité comme le cinéaste sénégalais Moussa Séné Absa dont j’aime beaucoup le travail et que je n’ai pas encore réussi à avoir lors de ces passages à Paris.
Certaines personnes ne me répondent pas, estimant sans doute qu’Aligre est trop petite pour eux. Mais il y a aussi des gens très connus, comme Tiken Ja Fakoli qui font le déplacement jusqu’au studio. Le fait qu’Aligre soit une petite radio associative peut être motivant pour les invités dont certains considèrent que c’est un peu de leur devoir militant de venir. Dans mes choix c’est aussi un critère. J’aime bien inviter des artistes engagés. Les chansons d’amour me touchent moyennement. Je préfère quand elles parlent de la société.
Il est vrai que vos interviews orientent souvent les invités sur ce sujet…
Et ils en sont contents ! Souvent, ils me remercient. Résonances Africaines leur offre un espace de liberté qu’ils ne trouvent pas forcément dans d’autres médias. Je leur pose des questions qui les amènent à dire ce qu’ils ont vraiment sur le cœur tout en faisant attention aux dérapages. Je ne cherche bien sûr pas à les censurer, mais je fais quand même attention à la diffamation et je peux parfois être amenée à calmer le jeu. Certains invités, notamment par rapport aux questions d’immigration, peuvent partir en vrille et accuser des personnes publiques sans apporter de preuve.
Il arrive aussi que les invités n’aient pas envie d’aborder certains sujets. J’ai reçu des musiciens zimbabwéens qui m’ont dit qu’ils ne voulaient pas parler de politique. Compte tenu de la situation dans leur pays, j’ai parfaitement compris leurs réticences et je n’ai pas insisté. Nous avons parlé musique et c’était tout aussi passionnant. En revanche, quand j’ai reçu Didier Awadi, il était ravi de pouvoir parler de sujets qu’il ne peut pas forcément aborder ailleurs.
Le fait que je sois blanche peut surprendre mes invités. Certains sont parfois déstabilisés. Ils attendent d’une blanche que je sois une vraie Française avec des a priori de Française. Une fois, dans le cadre d’une émission que je préparais sur les tirailleurs, j’ai contacté une association qui m’a envoyé un colonel blanc de l’armée française. Il s’est présenté comme un ancien tirailleur sénégalais. Nostalgique de la colonisation et tout ce qui va avec, il m’a sorti des horreurs à la Pascal Sevran. Comme il était face à une blanche, il s’est sans doute senti en confiance et il s’est lâché. J’ai refusé de le faire passer à l’antenne. Le plus souvent les gens pensent que je suis d’origine africaine à cause de la tonalité de l’émission. Et pour tout dire, pour moi c’est une gêne cette couleur de peau. J’aimerai bien ne pas l’avoir…

///Article N° : 5874

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