La Posture Victimaire

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Apathie et attente des secours ont motivé la posture victimaire africaine. Les changements d’attitude du Nord cachent une nouvelle imposture face à laquelle les Africains ne seront libres que s’ils endossent leur responsabilités tout en revendiquant haut et fort la mise à jour de la vérité.

Jusqu’ici l’histoire des peuples noirs en général et celle de l’Afrique en particulier semble n’avoir été qu’une histoire noire.
L’esclavage, la colonisation, la balkanisation des Etats et le gangstérisme tribal qui tient aujourd’hui lieu de doctrine de gouvernement, ont chacun, à un moment précis, handicapé l’Afrique. Il y a peu encore, tout débat sur l’Afrique se limitait à une amusante querelle entre afro-pessimistes et afro-optimistes. Cette opposition, reliquat d’un tiers-mondisme larmoyant, ne voulait imaginer le continent premier qu’en tant qu’ultime réserve de sympathiques réfractaires au culte falsificateur de la marchandise ; cette opposition-là a vécu.
En effet, la commémoration queue de cerise du 150ème anniversaire de l’Abolition de l’esclavage en France a montré premièrement que la gauche tiers-mondiste n’existait plus et avait renoncé à porter le fardeau de l’homme blanc. Dernièrement, cette gauche acquise aux commandements du marché planétaire entend défendre les vieux intérêts de la France, d’où la spectaculaire mise en scène de la parole auto-satisfaisante du Maître, qui en fêtant seulement la libération des esclaves, se préoccupait uniquement de figer dans les consciences sa grandeur d’âme, occultant ainsi sa responsabilité dans la fabrication de l’épouvantable traite négrière. Il est curieux de qu’en cette année où la France exige de tous que l’on contemplât son grand-oeuvre émancipateur et que l’on tînt pour négligeable qu’elle ait été au rang des ordonnateurs d’un crime contre l’humanité à travers l’Esclavage, des milliers de sans-papiers, qui sont les esclaves potentiels d’aujourd’hui, crient dans le vide pour obtenir la fin d’une damnation.
Mais ceci n’est surprenant que pour ceux qui veulent se laisser surprendre.
Au fond nous assistons à un changement de Posture politique qui rend obsolète le lénifiant  » nos amis les africains  » et s’emploie aussi à desserrer ce que d’aucuns considéraient comme contraignant et accablant lorsque, au nom de l’héritage historique, la France devait secourir ou mieux porter le fardeau des vanités de l’homme blanc.
Pour l’Africain lui-même qui crut tirer profit de sa naïveté supposée en se drapant dans les habits commodes de la victime éternelle, il lui faudra abandonner cette posture bouffonne.
Il est toutefois étonnant que les Etats africains qui, il y a quelques années, s’étaient émus à Lagos des réparations que l’Occident n’avait jamais versées à l’Afrique, n’aient pas repris une argumentation toujours recevable. Mais chacun voit qu’elle l’eût davantage été si la revendication portait sur la qualification de l’esclavage comme crime contre l’humanité.
La volonté de ménager l’Occident, de ne pas lui chercher des poux dans les cheveux a refroidi les velléités offensives naguère tonitruantes.
La posture vestimentaire alimente la pleutrerie.
Le commentaire de l’actualité africaine a longtemps exigé la complainte en ligne de pensée. Chez les peuples noirs eux-mêmes, la perpétuation des malheurs, le sentiment de pitié cathodique qu’ils inspirent a fini par créer un état d’apathie et d’attente des secours que leurs minables Etats prévaricateurs ont constamment utilisés. Ces Etats ont de plus inscrit la peur et la précarité comme moyens et fins de la gouvernabilité.
Du fatalisme des citoyens aux rencontres des élites, les uns et les autres, c’est-à-dire les Etats incapables et leurs citoyens pleurnichards ont adopté la posture victimaire. Elle n’était profitable qu’avec le concours spontané du  » sponsor  » qui vient de se porter pâle.
Au lieu d’en être chagrin, il convient plutôt de s’en réjouir et persister à dire que la posture victimaire a clochardisé la géopolitique africaine ainsi que la vie institutionnelle des Etats du continent.
L’abandon du discours du  » fardeau de l’homme blanc  » impose un abandon de la posture victimaire. Aujourd’hui les termes loufoques tels ceux de : partenaires, Etats respectueux de la souveraineté de chacun, amitiés francophones font florès. Ils mettent en musique une nouvelle imposture.
Au reste, le 150ème anniversaire de l’Abolition de l’esclavage qui a volontairement évacué les spoliations dont l’Afrique a été victime paraît n’avoir été qu’une adresse aux citoyens français d’Outre-Mer. On leur a rappelé que la Métropole les avait délivrés de tourments produits par la versatilité de l’histoire. Il convenait donc que ces citoyens-là démontrent toujours leur gratitude éternelle en ne suivant pas l’exemple d’Haïti ou de la Nouvelle-Calédonie, car la République les protégera encore. Sait-on jamais ?
Pendant que l’Océan Indien et les Antilles festoient, qui rend compte des crimes perpétrés pendant trois siècles ? Qui se penche sur les douleurs enfouies et les séquelles encore actuelles de l’Afrique et des familles décapitées ?
Laurent Fabius, ancien Premier ministre, reste seule autorité de la République à avoir admis que l’Esclavage avait été un crime contre l’humanité.
Il y a une nécessité de le souligner non pour renforcer la posture victimaire, mais pour en sortir.
Il est impératif de constituer avant la fin des réjouissances entourant la Commémoration du 150ème anniversaire de l’Abolition de l’Esclavage un argumentaire pour que l’Esclavage soit reconnu comme un crime contre l’humanité.
Les historiens s’accordent à considérer que du 16ème au 19ème siècle 12 millions d’africains ont fait la traversée de l’Atlantique sous la contrainte, et autant voire davantage ont été victimes des négriers musulmans dont l’entreprise de chosification des Noirs est sans appel.
Recevons comme logique le fait qu’après l’horreur absolue du génocide des Juifs, pendant la dernière guerre mondiale, une Journée du Souvenir ait été instituée. La Journée de la Déportation vient aussi rappeler les consciences à la vigilance et elle indique aussi que le pardon ne peut s’exercer dans l’oubli.
Que reste-t-il en fin de compte des manifestations actuelles autour de l’Esclavage ? Il est à redouter que peu de choses résistent à l’épreuve du temps. Quelques questions se posent :
– Y aura-t-il une journée de l’anti-esclavagisme ?
– Y aura-t-il une journée Toussaint Louverture ?
– Des Etats actuels, esclavagistes avérés ou camouflés, tels que le Soudan ou la Mauritanie resteront-ils impunis ?
– Les anciennes puissances esclavagistes continueront-elles à ne rien faire pour accepter totalement leurs forfaits d’hier ?
Quant à l’Afrique, elle ne sera jamais tout à fait libre si elle n’endosse à son tour ses responsabilités devant l’histoire.
Il y eut des complicités de crimes contre l’humanité en Afrique même. Il serait temps qu’une réflexion sereine s’engage aussi sur ce front bas. Le droit à la rouspétance et à la revendication d’une dignité réelle se fera à l’épreuve aussi de cette réflexion-là.
L’Afrique doit parier aux déportés d’hier. Elle doit admettre que la cupidité des uns, le désir de supprimer des rivaux chez certains esprits, les lois anciennes de la guerre eurent aussi par ailleurs leur rôle dans la saignée incomparable que l’Afrique eut à subir et dans les épreuves inhumaines qui furent infligées aux hommes, aux femmes et aux enfants noirs.
Il s’en suit que toute posture victimaire encouragée serait une posture nauséabonde et une escroquerie.
S’il faut revendiquer la vérité non pour elle-même mais pour les entraves à l’épanouissement que produit son absence, il est aussi important de ré-entendre les voix de René Maran, celles des animateurs de la renaissance du monde noir et des auteurs de la négritude. Parmi elle, Césaire apostrophait ainsi les âmes corrompues par la traite négrière et ses autres effets :
 » O Lumière amicale
O fraîche source de la lumière
Ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole
Ceux qui n’ont jamais su dompter ni la vapeur ni l’électricité
Ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel
Mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre
Gibbosité d’autant plus bienfaisante que la terre déserte davantage la terre  »
Le travail d’examen des conditions d’aliénation du monde africain reste posé et l’abandon de la posture victimaire ne signifie pas l’abandon des victimes au sort ou aux crimes qui les ont frappés.
Les exposés et articles du cynique Code Noir promulgué par Louis XIV en 1685 témoignent de la cruauté extrême qui fit qu’un Noir fut dépouillé se son humanité pour devenir un  » meuble « devant se plier à toutes les exigences de son propriétaire, y compris la mise à mort.
Il serait aussi important qu’en Afrique même, des monuments soient dressés pour saluer la mémoire de Delgrès, Toussaint Louverture, et à travers eux, tous ceux qui ont souffert et que des hommes comme William Wibforce (qui créa en Angleterre en 1783 une société abolitionniste), Pierre Brissot (Fondateur en 1788 à Paris de la Société des Amis des Noirs à laquelle participèrent Condorcet et l’Abbé Grégoire) ont tiré de l’abîme.
Face à la posture victimaire qui prolonge sous des masques divers un état de servitude et d’anéantissement, il faut hâter un état de soulèvement.
On ne peut être, que debout et libre !

Jean-Jacques N’Kollo, né en 1962 à Douala (Cameroun), a publié trois romans à L’Harmattan qui mettent en scène de saisissants personnages soutenus par une écriture virevoltante : Brouillard (1990), La Joyeuse déraison (1992) et Boris et Pavlone (1993), ainsi qu’une pièce de théâtre : Le paysan de Tombouctou (1994).///Article N° : 484

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