La sauvegarde des manuscrits de Tombouctou

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Tombouctou recèlerait près de 100 000 manuscrits anciens, datant pour la plupart du XVIe siècle. Preuve qu’une histoire écrite trouve aussi ses racines sur le continent noir. Il y a quatre ans, le Président sud-africain Thabo Mbeki, chantre de la Renaissance africaine, prenait l’engagement aux côtés du Mali de sauvegarder les écrits de Tombouctou. Aujourd’hui, la première pierre du nouveau centre Ahmed Baba est posée. Cette bibliothèque publique devrait accueillir près de 25 000 ouvrages. Pour les milliers de manuscrits aux mains de familles privées qui attendent le soutien d’associations et de mécènes étrangers, la tâche sera plus ardue.

Au Nord du Mali, là où s’étend la lisière du Sahara et s’en repartent les caravanes,  » Tombouctou la mystérieuse « , semble immuable. À l’heure où le soleil atteint son zénith, le voyageur goûte la fraîcheur des constructions de terre aux murs épais, quelques silhouettes bleues enturbannées errent dans les ruelles étroites. Près de 180 ans après que l’explorateur français René Caillé, travesti en Arabe, ait été le premier Blanc à entrer et sortir vivant de la cité mythique, ce sont les touristes européens et américains qui font désormais les beaux jours de la ville. Il y a également l’élevage, la culture du riz aux abords du fleuve Niger et toujours le commerce entretenu avec les Touaregs.
La cité des 333 Saints, révérée autrefois comme l’un des centres intellectuels les plus dynamiques du monde musulman, est en passe de retrouver un peu de sa superbe. Proclamée Capitale de la culture islamique de la région Afrique pour l’année 2006 par l’Organisation islamique pour l’éducation, les sciences et la culture (ISESCO), Tombouctou se soucie aujourd’hui de la préservation d’un patrimoine considérable et encore mal connu : plusieurs milliers de manuscrits en langue arabe ou transcrits de langues africaines, qui attestent d’une histoire écrite de cette partie du continent, entre le XIIIe et le XIXe siècle.
Tombouctou, carrefour commercial et culturel
Tombouctou, qui signifie le  » puits de Buctou  » en tamashek, a été fondée par les Touaregs au XIIe siècle. Cette oasis, par laquelle transitaient les voyageurs, est intégrée à l’empire du Mali à la fin du XIIIe siècle. La ville devient vite le point de rencontre entre les marchands d’or et de sel des mines de Teghazza.
Carrefour commercial, elle connaîtra son âge d’or au XVIe siècle, sous la dynastie des Askia de Gao. Sous cette influence, l’islam triomphe de l’animisme entretenu par l’empire des Sonni. Les échanges commerciaux et intellectuels se développent tandis que les activités de la ville s’intensifient avec le Maghreb : Maroc, Tunisie, Algérie et Libye. Outre le sel, on y échange des dattes, des tissus, de la verroterie, des encens, des épices, du cuivre, de la soie et des chevaux arabes. Sur le Niger, les pirogues arrivent du Soudan et transportent, avec elles, l’or, l’ivoire, les esclaves, les épices de Guinée, le miel, les noix de cola, le coton, le beurre de karité ou les farines de baobab. À l’Est, Tombouctou est reliée à l’Égypte et aux lieux Saints de l’islam.
Époque bénie pour les marchands, mais également pour les professeurs, philosophes, érudits et savants de tout ordre, protégés, honorés et soutenus par le pouvoir en place. Outre leur confortable assise matérielle, la fuite de certains intellectuels arabo-berbères vers Tombouctou – après la main mise des Chrétiens sur l’Andalousie musulmane – favorise l’enseignement de la langue arabe et des sciences islamiques.
Avec le Caire et Rabat, Tombouctou abrite alors l’une des plus prestigieuses universités du monde musulman, l’université de Sankoré. Les mosquées de Djingareiber et de Sidi Yahiya sont d’importants foyers d’épanouissement intellectuel et spirituel. Les quelque 25 000 étudiants qui représentent le quart de la population totale affluent de toutes parts. La ville compte près de 180 écoles coraniques. Les écrits se multiplient. Une véritable industrie du livre voit le jour, avec ses scribes, ses calligraphes, ses décorateurs, etc. Léon l’Africain, arrivé dans la ville en 1510, fait remarquer que les manuscrits et le papier apportent à Tombouctou plus de bénéfice que n’importe quelle autre marchandise. Les livres se négocient aux intellectuels et commerçants qui les revendent dans le monde musulman.
Mais en 1590, l’invasion par le Maroc, souhaitant s’emparer des salines de Teghazza, précipite la chute de la cité, déjà malmenée par les querelles et luttes intestines. Ahmed Baba Soudani, l’intellectuel le plus célèbre et prolifique de l’époque, est déporté au Maroc. Il confiera que sa bibliothèque, sans être la plus importante, recelait près de 1 600 ouvrages provenant d’Afrique du Nord, d’Égypte, d’Espagne ou d’Irak.  » Ce sont les Marocains qui ont le plus détruit ou pillé les manuscrits « , indique Salem Ould Elhadj, professeur d’histoire à la retraite.
Plus de quatre siècles ont passé. Les Tombouctiens ressortent peu à peu leurs trésors cachés et restent fiers de leur histoire. Au détour des conversations, il n’est pas rare d’entendre ce proverbe soudanais :  » Le sel vient du Nord, l’or vient du Sud, l’argent vient du pays des Blancs, mais la parole de Dieu, les choses, les contes jolis, on ne les trouve qu’à Tombouctou « .
Les preuves d’une histoire écrite
Les manuscrits de Tombouctou revêtent un enjeu culturel, historique mais aussi politique dont s’est emparé il y a quatre ans le Président sud-africain Thabo Mbeki, héraut de la Renaissance africaine.  » En raison de sa propre histoire, l’apartheid, l’Afrique du Sud éprouve l’importance d’une histoire écrite, de faire revivre les racines du continent « , confie Riason Naidoo, coordinateur sud-africain du projet de sauvegarde des vieux manuscrits de Tombouctou ; un projet sur lequel collaborent les gouvernements du Mali et d’Afrique du Sud, dans le cadre du Nepad.
C’est ainsi que le 8 novembre dernier, une délégation sud-africaine est venue poser la première pierre pour la construction d’une nouvelle bibliothèque chargée d’accueillir dans de bonnes conditions la collection publique de l’institut Ahmed Baba, riche de ses 25 000 manuscrits. Le manque de place, la poussière, le sable, les insectes continuent d’abîmer des écrits, à peine sortis des malles de fer ou de bois, que se transmettent les familles de générations en générations.
Le coût de cette nouvelle bibliothèque, qui devrait ouvrir ces portes aux visiteurs en 2007, s’élève à près de 4 millions d’euros, entièrement financé par le gouvernement et des mécènes sud-africains. Les architectes prennent soin d’utiliser des matériaux locaux, de réguler l’hydrométrie, d’inscrire le bâtiment en harmonie avec son environnement et de prévoir des systèmes de sécurité. Dans le même temps, une équipe sud-africaine forme des techniciens locaux aux méthodes de conservation : il s’agit de recenser, cataloguer, restaurer, protéger chacun des livres dans des boîtes en skaï et aux dimensions personnalisées contre l’humidité, les attaques des micro-organismes et le sable. Les pages sont protégées à l’aide de papiers non acides, afin de ne pas altérer les encres.  » Ce sont des consommables qui coûtent chers, car importés de France, des États-Unis et de la Grande Bretagne, En Afrique du Sud, la construction d’une boîte coûte 2500 rands « , explique la conservatrice Mme Minicka.
Des manuscrits peu exploités
Ces 25 000 manuscrits ne seraient que le sommet de l’iceberg. On estime à près de 100 000 le nombre d’écrits aux mains des familles de Tombouctou, sans compter les collections privées détenues par les habitants des régions de Kidal, Gao, Ségou ou Kayes, qui pourrait conduire au chiffre édifiant de 700 000, voire un million pour le Mali et la sous-région. Certains ouvrages, soustraits aux regards et aux pillages des étrangers durant la colonisation, seraient encore enfouis sous le sable.
Du contenu de ces manuscrits, on sait finalement assez peu de chose. Si la plupart relèvent de l’étude du Coran et des sciences islamiques, d’autres traitent de médecine traditionnelle, de mathématiques, d’astronomie, de droit, de commerce, de physique, d’histoire, de poésie, de musique, de pratiques ésotériques ou même de la résolution des conflits communautaires et interethniques. En octobre dernier, Johannesburg a eu la primeur de voir exposer en son sein 16 des manuscrits les plus prestigieux du centre Ahmed Baba. Valeur estimée : 10 millions de francs CFA, selon Mohamed Gallah Dicko, directeur général de l’institut.
Mais pour l’heure, l’urgence est à la conservation physique. Au-delà de l’initiative sud-africaine, des programmes de coopération avec la Norvège et le Luxembourg sont à l’œuvre en vue de cataloguer, restaurer, numériser et digitaliser les manuscrits.
Les traductions et études approfondies devront attendre. Surtout que peu de chercheurs au Mali sont en mesure de travailler à partir de l’arabe classique.  » Les traductions sont très difficiles. Nous devons pour cela collaborer avec les Marocains et les Algériens « , estime M. Dicko.  » Seul 1 % des manuscrits de l’institut sont traduits « , regrette-t-il.
Pourtant, la portée historique de certains documents est capitale, comme en témoigne le Tarikh el-Sudan qui retrace la succession des chefs de Tombouctou, ou le Tarikh el-Fetash, celle du Soudan médiéval. L’existence de cet héritage réfute clairement les préjugés faisant de l’Afrique un continent de traditions exclusivement orales. Et c’est  » un islam ouvert et modéré qui transparaît dans les écrits, intégrant les animistes et les juifs « , précise Salem Ould Elhadj, professeur d’histoire à la retraite, soulignant qu' » encore aujourd’hui, l’excision n’est pas pratiquée à Tombouctou, contrairement aux autres villes. « ,
À la recherche de mécènes étrangers
La conservation des collections privées est plus délicate. Si le centre Ahmed Baba continue d’acquérir des ouvrages – récemment 200 manuscrits pour 7 millions de francs CFA -,  » certaines familles pauvres en mal d’argent vendent leurs manuscrits pour quelques euros ou dollars « , affirme M. Naidoo. Comme à l’époque des grandes sécheresses de 1973 et de 1984.
Les acheteurs proviendraient surtout du monde arabe.  » Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce ne sont pas les touristes qui font sortir les livres. Eux veulent jeter un œil, par curiosité. Le plus souvent, les manuscrits transitent par le désert, direction l’Algérie, l’Arabie Saoudite, la Mauritanie, la Libye ; des pays qui s’intéressent à l’islam et dont les manuscrits retracent aussi une partie de leur histoire « , indique M. Dicko.  » Dans les années 70, le président de l’Assemblée nationale du Niger a payé pour acquérir des manuscrits. De nos jours, plus de 3 000 écrits seraient dans ce pays « , ajoute-t-il. D’autres manuscrits sont encore dispersés au Maroc, en Espagne, en France, au Nigeria, en Turquie, en raison des différentes dominations.
Aujourd’hui, l’une des quatre plus importantes collections privées est sans doute celle de Mama Abdelkader Haïdara, comprenant environ 9 500 manuscrits.  » Nous avons reçu des financements d’une fondation islamique basée à Londres pour publier un catalogue de 4 000 de nos manuscrits. Les bâtiments ont été payés par une fondation américaine. Désormais, nous attendons la venue de la fondation Ford pour nous aider à la restauration et la conservation « , ajoute-t-il.
L’autre grande bibliothèque privée est le Fondo Kati, dirigé par Ismaël Diadié Haïdara, qui compte 7 000 manuscrits en arabe, en hébreu, en espagnol ou en français. Une bibliothèque qui voit ses débuts au XVe siècle, avec l’exil du Wisigoth islamisé Ali B. Ziyad al-Kuti, de Tolède, pour s’établir à Gumbu en pays Soninké.  » Les manuscrits ont été transmis aux marabouts et hommes de culture de la famille, ce qui explique qu’ils ne se sont pas dispersés « , indique Mme Haïdara.  » L’Espagne a financé l’édifice et aujourd’hui, nous avons besoin de nouveaux financements pour faire un catalogue, restaurer et digitaliser « , explique-t-elle.
Le Fondo Kati se refuse à céder un seul de ses ouvrages pour financer les besoins.  » C’est un héritage familial que nous nous refusons à vendre. Certains des manuscrits comportent des notes très personnelles. Nous souhaitons en garder le contrôle « , souligne Mme Haïdara.
L’éclosion des bibliothèques privées date du début des années 90, avec l’avènement de la démocratie.  » Il y a eu alors de gros efforts pour encourager les gens à prendre conscience et valoriser le patrimoine. Désormais, il faudrait dépasser le stade de la collection et commencer d’exploiter ces écrits « , explique Ali Ould Sidi, directeur de la mission culturelle de Tombouctou. Pour l’heure, les contributions sont nombreuses : l’Arabie Saoudite et le Koweït ont donné près de 45 millions de francs CFA au centre Ahmed Baba, outre les actions déjà menées par l’Unesco, la Norvège et le Luxembourg.  » Pour les privés, ce sont des fondations qui interviennent largement, mais le Congrès américain est en passe d’apporter lui aussi des financements, dans le cadre d’une politique de bonne entente avec les pays musulmans « , indique le chef de la mission culturelle, constatant qu' » il y a aujourd’hui comme une sorte de mode autour de ces manuscrits, l’impression que certains pays veulent magnifier le leadership en terme de préservation « .

///Article N° : 4309

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Les images de l'article
Mohamed Dicko, directeur du centre Ahmed Baba. © Christelle Marot
Manuscrits conservés dans le centre Ahmed Baba. © Christelle Marot
Exemplaire de manuscrit conservés dans le centre Ahmed Baba. © Christelle Marot





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