Rachid Boudjedra est un récidiviste talentueux et courageux. En effet, depuis que la nuit noire de la barbarie intégriste a recouvert son pays, l’Algérie, il n’a eu de cesse de riposter avec sa fantastique plume et sa science maîtrisée du mot et du verbe. Après avoir écrit FIS de la haine (1992), Timimoun (1994), Mines de rien et Lettres Algériennes (1995), il nous offre un saisissant La Vie à l’endroit qui est une sorte d’autoportrait. Rac, le personnage principal, est un homme sur la vie duquel les « fous de Dieu » ont lancé depuis longtemps une fetwa, ce qui le condamne à mener une vie clandestine mouvementée qu’il partage entre Alger, où vit aussi Flo, sa compagne française, infirmière dans un hôpital, Constantine, sa ville natale et Bône (actuelle Annaba). Menacé, Rac, qui est armé et dispose d’un morceau de cyanure prêt à l’emploi, assiste par une belle soirée du mois de mai, à ‘occupation de sa ville par une foule enthousiaste qui fête la victoire de son club dans la finale de la Coupe d’Algérie de football. Une foule qui brave le couvre-feu de l’armée et les interdits intégristes et s’adonne, en transes, à une véritable fête païenne, sous la direction d’un animateur populaire surnommé Yamaha. Yamaha sera tué quelques jours plus tard par les intégristes…La nouvelle est terrible, mais Rac comprend que la crise de son pays venait de vivre un tournant important. Le peuple venait de vaincre sa peur en bravant tous les interdits. Cette peur que Rac lui même avait globalement fini par éliminer de son quotidien même s’il restait toujours aux aguets. Un jour, il avoua à Flo son nouvel état d’esprit : « Tu sais Flo, je réalise que depuis que je vis sous la menace de la mort, je suis très bien…Avant la peur était en moi, elle venait de l’intérieur, c’est la pire celle-là ! (…) la peur extérieure, c’est faisable, c’est gérable ! » Parfois, lorsque la solitude et la prudence devenaient pesantes, Rac ruminait des idées folles et songeait à utiliser les mêmes méthodes que ceux qui terrorisent tout un pays. » Rac était déchiré entre son envie de guerre et son envie de paix. Son envie de haine et son envie de compassion… Il veut tuer à son tour. Devenir un tueur pervers mais désinvolte. Voilà le mot, se répétait-il : la désinvolture ! Un tueur sadique mais décontracté et hilare... ». Mais pour cet homme traqué, la raison est encore le fil conducteur de sa vie et sa haine laisse vite une large place à l’espérance : « …Brusquememt une sorte de sérénité l’envahissait : le soleil, les terrasses bondées des cafés, les passants joyeux, les femmes bien ou mal habillées mais toujours coquettes, désirables. La vie paisible quoi, se disait-il. Ordinaire. Banale. La vie à l’endroit. » En dépit d’une écriture sans concession, d’un verbe tranchant et direct, Rac (l’auteur) croit que dans son pays la vie finira bien par revenir à l’endroit. Depuis cinq ans, Boudjedra s’est transformé en un écrivain de l’Urgence. Un écrivain généreux, passionné et talentueux. Demain, il méritera certainement beaucoup de l’Algérie.
La vie à l’endroit, De Rachid Boudjedra, Ed. Grasset, 1997, 219 p., 98 F.///Article N° : 222