L’ancienne poésie camerounaise de demain

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Avant, pendant et après les indépendances, tel un fleuve intarissable, la poésie camerounaise a jailli de la Terre-Mère pour nourrir les littératures d’Afrique et du monde. La poésie camerounaise a bel et bien une histoire, une évolution, donc une assise esthético-thématique comme le démontrent les récents travaux de Marcellin Vounda Etoa et autres sur la littérature camerounaise depuis l’époque coloniale…Elolongue Epanya, l’Abbé Charles Ngandé, René Philombe, Jean-Louis Ndongmo, Francis Bebey, Fernando d’Alméida, Paul Dakeyo, Patrice Kayo, Ernest Alima, Eno Belinga et bien d’autres encore en constituent une illustration certaine.
Si la thématique va de la traite négrière à l’hymne de la fraternité en passant par l’oppression coloniale, l’Afrique retrouvée, la révolte, l’engagement, l’exil, le retour aux sources, etc. Sur le plan esthétique, l’on peut dire que la poésie camerounaise s’est configurée non seulement sous le coup de la fascination de la France, sur l’allusion et l’illusion de l’ailleurs synonyme d’exil, mais également à travers le lyrisme personnel et d’autres formes d’écriture que l’on peut retrouver dans la poésie nationale de nos jours et dont la liste des principaux protagonistes n’est pas inconnue du public. C’est dire que cette poésie n’a jamais cessé d’évoluer. Elle a même aiguillonné de nombreux jeunes aujourd’hui réunis dans de dynamiques cercles littéraires.
Toutefois, l’avenir d’une poésie camerounaise viable se trouve hypothéquée par deux facteurs : l’un inhérent à la poésie elle-même, l’autre relatif à ses moyens d’édition et de diffusion. Primo, facteur lié à l’essence même de la poésie. Pourquoi ? Parce que ce genre littéraire, selon nous, court le risque de s’enfermer dans un passéisme d’exécrable présage et dans ce que quelqu’un a appelé littérature du tout venant. Que l’on s’accorde à dire que la traite négrière, l’oppression coloniale, l’aliénation culturelle, l’indépendance, la libération du Noir et les sous-thèmes qui en résultent sont le fruit d’une époque révolue, étape nécessaire qui certes a jeté les bases d’une écriture qui de nos jours devrait s’accorder à de nouveaux ancrages même si le présent est toujours le prolongement de l’antan.
Ne faut-il pas persister dans la pensée que la plénitude du poète et partant de la poésie ne se trouve que dans son essence ? Et cette essence, c’est dans la musique intérieure du vers qu’il faut la chercher, car la poésie est métaphore de la beauté. Elle réclame instamment le beau, selon l’expression d’Avini, et un bon fond ne peut s’intégrer que dans une belle forme.
Ce que nous nous efforçons malheureusement d’oublier, c’est qu’aucune parole trop passéiste ou dithyrambique n’est chargée d’histoire, puisqu’elle meurt avec le temps. L’on pourrait par exemple chercher dans les schèmes actuels les thèmes universels en les reliant à la réalité réelle pour aboutir à une sorte de poésie de transcendance : nous ne parlons pas d’hermétisme puisque qu’il n’y a pas, selon nous, d’hermétisme en poésie. Nous ne parlons que d’une poésie, fût-elle rimée ou non, qui dépasse les évidences trop prosaïques de ce que l’on peut appeler le phénomène du non ou de l’anti-poème. Sans toutefois s’éloigner des heurs et malheurs du quotidien, le poète qui veut s’établir dans la permanence doit s’efforcer de peaufiner la fine fleur de ses nuits en se rappelant toujours, comme le poète espagnol Juan Ramon Jiménez que, par essence, le poème est comme l’étoile qui est un monde et un diamant.
Or comme on dirait dans la rue, du bon produit, il y en a au Cameroun. Mais où ? Dans les textes publiés ces dernières décennies. Et c’est ici le lieu de remercier les considérables efforts fournis par les Presses Universitaires de Yaoundé, La Ronde des Poètes, Patrimoine, la Nolica, agbetsi, Proximité, Fusée, Interlignes et bien d’autres qui, malgré la quasi-indifférence de notre machine culturelle, s’échinent chaque jour pour ajourner la mort du poème. Et où se trouvent surtout les plus belles pages de la poésie camerounaise ? Voilà la seconde et véritable préoccupation. Il est encore évident que c’est dans les tiroirs moisis de l’obscur et injuste anonymat que s’emmure et se meurt l’ossature poétique de ce qui aurait pu être considéré comme l’ancienne poésie camerounaise de demain.
Pour conclure, nous disons : il existe bel et bien une poésie camerounaise s’abreuvant dans les lacs d’un passé jalonné de mécènes et d’épigones. Mais la nouvelle génération doit s’abstenir de dormir sur ses lauriers puisque au-delà de cette renaissance plane une sorte de libertinage qui fait de la poésie un lieu du moindre effort. S’agissant de son véritable salut qui vient de l’édition et de sa diffusion, nous pensons que, si seulement, loin des nombreux et scabreux malentendus, nos jeunes éditeurs sans qui plusieurs étoiles brillant encore dans l’ombre de l’anonymat ne seraient révélées à la lumière du jour, pouvaient, plus que jamais, faire converger leurs efforts vers un intérêt commun, peut-être qu’une révolution mentale ayant lieu en amont pourrait entraîner culturellement en aval la mise sur pied « des infrastructures comme les salles de lecture, de théâtre, de musée » sans oublier les concours provinciaux et nationaux de poésie dont la régularité et la publication des textes primés ne pourrait qu’ajouter à la biobibliographie en friche un supplément de qualité. La poésie ne doit pas périr, note Senghor, où serait alors l’espoir du monde ?

Bibliographie
Avini, Aloys (2002), La magie du verbe, Yaoundé, CLE.
Chevrier, Jacques (1988), Anthologie africaine : poésie, Paris, Hatier.
Hurtgen (1988), Tous les poèmes, New York & London, Longman.
Mateso, E. Locha (1987), Anthologie de la poésie d’Afrique noire d’expression française, Pari, Hatier
Vounda Etoa, Marcellin (2004), La littérature camerounaise depuis l’époque coloniale : figures, esthétiques et thématiques, Yaoundé, Presses Universitaires.
///Article N° : 3984

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