Comment aujourd’hui se finance la culture au Mali ? Quels sont les apports de l’État, des agences de coopération, des institutions internationales et des représentations diplomatiques ? Chab Touré nous livre ici des chiffres peu connus. À leur lumière, il s’inquiète : environ 80 % du budget culturel national proviendraient de contributions financières étrangères.
Toute vérité passe par trois stades avant d’être reconnue. Premièrement, elle est ridicule, deuxièmement elle est contredite et troisièmement elle apparaît évidente.
Arthur Schopenhauer (1788-1860)
Le Mali est classé parmi les pays les plus pauvres du monde. Toutefois, il est l’un des pays africains dont la richesse culturelle est vantée à l’intérieur comme à l’extérieur du territoire national. Ce paradoxe est intéressant à analyser car logiquement il signifie soit que cette richesse culturelle n’entre pas dans le décompte et les calculs statistiques des richesses globales d’un pays, soit qu’elle n’est qu’une pure illusion collective. Il semble qu’en quarante années d’indépendance, le gouvernement de la Culture au Mali ait renforcé ce paradoxe plutôt qu’il ne l’ait éclairci. La réalité de la culture au Mali est effective. Cependant, il n’y a jamais eu de véritable politique culturelle qui permette la prise en compte de ce secteur dans le développement économique et social du pays. Dans toutes les aires sociales du Mali, la culture s’exprime et est vécue par les communautés locales. Cette expression culturelle est différente de la politique culturelle que l’État doit mettre en uvre. La première est destinée à la consommation courante des communautés, la deuxième vise à l’organisation, l’augmentation et l’amélioration de la production culturelle afin qu’au-delà de la satisfaction des besoins culturels locaux, celle-ci sorte du territoire pour s’enrichir et rapporter de la plus-value.
Un autre paradoxe de la « chose culturelle » mine les ambitions les plus pertinentes du pays : la culture est importante au Mali. Mais les décideurs, au plus haut niveau de l’État, considèrent comme « indécent » de mettre des ressources financières importantes dans des actions artistiques alors que le Sida fait des ravages, que la majorité de la population nationale ne mange pas à sa faim et ne dispose pas d’eau potable, etc. Le budget national 2006 consacre seulement 0,74 % à la culture.
Depuis les années 1980, à la faveur des changements des stratégies de coopération et d’aide au développement, les associations ont investi les domaines de la création et de la diffusion culturelles. Le renforcement du processus de construction d’une société civile avec l’avènement de la décentralisation a conforté le pouvoir culturel associatif.
Les tensions entre l’État et la communauté associative sont nombreuses. Elles naissent et se développent autour de « l’argent de la culture » que constituent les subventions des coopérations, celles des ONG et celles des organisations internationales.
– L’État. Le budget culturel de l’État prend en charge le fonctionnement des institutions culturelles (salaires et équipements des directions nationales et régionales et des services rattachés) mais seulement une très faible part de l’investissement. En effet, construite sur un modèle centralisé, l’institution culturelle malienne est caractérisée par les effectifs pléthoriques de son personnel. Le budget alloué au département de la Culture n’arrive pas à dégager des ressources financières pour la création d’uvres nouvelles. Pour l’année 2006, le budget (1) du ministère de la Culture a été de 3,7 milliards de Fcfa, (5 659 154 euros), soit environ 0,74 % du budget national. Seulement 930 millions de Fcfa, soit 25 % de ce budget, sont consacrés aux investissements. Tout le reste, soit 75 %, est destiné au fonctionnement et aux charges salariales.
– La Commission européenne, sur la période 2005-2007, contribue au développement culturel du Mali, en soutenant des actions culturelles retenues au titre du Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP). Ainsi, l’enveloppe du Programme d’appui et de valorisation des initiatives artistiques et culturelles (Pavia 2005-2008) est de 4,9 millions d’euros soit environ 3,2 milliards de Fcfa. Ce budget est réparti entre, d’une part un volet « appui à la création » mis en uvre par le Programme de soutien aux initiatives culturelles décentralisées (Psic) et d’autre part un volet « appui institutionnel » au ministère de la Culture.
Le budget (2005-2006) du Psic destiné à la promotion du secteur culturel privé (artistes, associations culturelles, opérateurs indépendants, collectivités décentralisées) est d’environ 500 millions de Fcfa (763 358 euros). Ainsi, l’Union européenne, par le biais du Pavia, contribue à 80 % au budget national du ministère de la Culture.
– La Coopération culturelle française. L’aide culturelle française conduite, principalement, par le Centre culturel français (CCF) soutient des manifestations internationales (la Biennale des arts du Mali, les Rencontres de la photographie africaine, les Rencontres théâtrales, les festivals Étonnants voyageurs, Écrans libres, Essakane). Elle accompagne aussi le ministère de la Culture du Mali dans l’organisation de fêtes culturelles nationales françaises au Mali (Lire en fête, le Printemps des poètes, la Fête de la musique). Environ 600 000 euros (2) sont mobilisés au titre de l’aide à la culture par la Coopération française. « L’objectif de la coopération culturelle est double : encourager la diffusion de la culture du Mali tout en assurant la promotion de la culture française » (3).
– L’association suisse de coopération Helvetas. Le programme d’Appui culturel (PAC) d’Helvetas « a vocation de compléter l’intervention culturelle de l’État » (4). Le budget culture d’Helvetas au titre de l’année 2006 se chiffre à environ 26 millions de Fcfa (39 600 euros).
– L’Organisation intergouvernementale de la Francophonie (OIF). L’OIF soutient les événements culturels organisés par le ministère de la Culture en partenariat avec la France (les Rencontres africaines de la photographie et la Biennale des arts du Mali).
Le budget culturel national ne soutient qu’indirectement le secteur privé associatif. C’est seulement à travers le volet Psic du Pavia que ce soutien est mis en uvre. Les associations et opérateurs culturels sont pourtant, depuis une dizaine d’années, sur tous les fronts culturels et portent des projets dans tous les secteurs artistiques. En l’absence d’un mécénat national, seules quelques représentations diplomatiques soutiennent les projets culturels associatifs :
– Depuis les cinq dernières années, les coopérations canadienne et allemande interviennent directement en faveur d’artistes et d’artisans indépendants en soutenant la diffusion ponctuelle (expositions) de leurs uvres plastiques et artisanales.
– Le Bureau de la Coopération suisse (Buco) soutient, par an, une dizaine de projets artistiques associatifs qui lui sont soumis. Il contribue également financièrement, dans le cadre de l’appui aux collectivités locales de la région de Sikasso, à la mise en uvre de projets culturels décentralisés à Koutiala et à Sikasso. Au titre de l’année 2006, le Buco a mobilisé environ 30 millions de Fcfa (45 800 euros) pour l’aide culturelle.
– L’association belge de coopération Africalia finance des projets artistiques associatifs (expositions, créations chorégraphiques et théâtrales, résidences de création et ateliers de formation). Sa contribution culturelle en 2006 au Mali (des projets portés par des opérateurs maliens mais également la présentation au Mali de créations d’autres pays) s’élève à environ 83 840 euros
Il faut souligner qu’un domaine culturel fait exception : la musique. L’argent qui soutient la plus grande part de la production musicale malienne est d’origine privée. Très tôt, le domaine de la production phonographique a été investi par de riches commerçants. Ni mécènes, ni sponsors, ces « hommes d’argent » ont estimé le secteur musical rentable et y ont investi des ressources privées. En dehors de quelques jeunes figures, tous les acteurs de la scène musicale dont la majorité est composée de musiciens griots, n’ont de partenaires que des commerçants import-export locaux ou expatriés.
La contribution financière étrangère et notamment française (si l’on prend en compte celles de l’Ambassade de France, du Centre culturel français, de l’OIF et de l’Union européenne) dans la politique culturelle malienne (environ plus de 80 % du budget culturel national) est si importante que l’apport du gouvernement malien dans le budget de la Culture peut diminuer d’année en année sans que personne ne s’en inquiète.
L’intention annoncée est la suivante : « La France, tout en assurant une présence culturelle, accompagne les grandes tendances de la politique du ministère de la Culture, afin de permettre au Mali d’exprimer sa perception du monde au travers de ses propres références » (5). Mais qu’en est-il réellement ?
Dans le partenariat culturel Mali – France, le Mali est loin de suivre la danse en raison de deux handicaps majeurs : d’une part la faiblesse de son apport financier et d’autre part celle de ses compétences en conception culturelle.
Les Rencontres de la photographie africaine constituent un des événements forts, tant par ses moyens financiers que par sa dimension internationale, de la collaboration culturelle franco-malienne. Cette biennale est aussi l’exemple typique de la dépendance culturelle du Mali vis-à-vis de la France.
Les grandes lignes sont définies par Paris (la nomination d’un directeur artistique, la définition d’une thématique, la sélection des photographes).
Les contrats des photographes africains exposés à Bamako sont établis et signés par le partenaire français (le directeur de CulturesFrance).
Les uvres présentées à Bamako sont rapatriées et stockées à Paris après chaque édition.
La négociation et le suivi des tournées des différentes expositions (européennes et africaines) entre deux éditions sont assurés par CulturesFrance.
Le Mali, en tant que partenaire, s’occupe de la fête : de la danse et de la musique. Le Président de la République, le Premier ministre et les ministres du gouvernement assistent toujours à la fête. À la fin, on se félicite, on s’embrasse
et on s’oublie pendant deux ans.
1. Budget national 2006, ministère de l’Économie et des Finances.
2. Bilan 2004 du Scac au Mali.
3. Idem.
4. Présentation du PAC, site Web Helvetas.
5. Bilan-2004- Scac.Professeur de philosophie à l’Institut national des Arts, critique et écrivain, Chab Touré est directeur de la Galerie Chab à Bamako (Mali). Il fut le directeur artistique adjoint des 4e Rencontres de Bamako en 2001.///Article N° : 5826