L’art de l’improvisation dans la danse africaine

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La capacité d’improvisation est sans aucun doute un critère d’excellence dans l’art de la danse africaine. Mais loin de ne constituer que l’aboutissement d’un processus, elle en est le coeur, l’élément formateur privilégié : elle est ce qui définit la danse même.
Tout danseur ne danse qu’avec son corps et avec aucun autre. Ce corps est vivant dans sa différence ; il ne se plie à la norme, au rythme (ce qui constitue le code) qu’en faisant ressortir ce qui le distingue comme être à part entière et en fin de compte, il met le rythme, la danse, à son service. Il faut voir que l’acte d’improvisation, qui est une affirmation de soi, la réalisation de sa propre liberté, implique aussi une progression et une participation au sens le plus fort du terme.
Il nous faut à ce sujet insister tout particulièrement sur le sens que nous donnons véritablement à ces mots : improvisation, participation, progression. En effet, la très grande diversité des rythmes traditionnels constitue la source première (au point que dans l’acception traditionnelle, la danse est souvent définie par le rythme et vice versa). Ces rythmes sont les vecteurs de la capacité de créer sans cesse le temps et circonscrivent l’existence même des personnes : c’est tout cela que la danse met en valeur. Bâtis selon des cycles qui n’en finissent plus de recommencer, ces rythmes, aussi, n’en finissent pas de progresser. Car ce que l’on décrit communément – et à tort – comme étant « une répétition » est bien effectivement « une progression ». Le rythme, et la vie même, ne connaissent que des moments inédits que la sensibilité de celui ou de celle qui s’avère capable de recommencer toujours, c’est-à-dire d’être dans le rythme, font progresser.
C’est parvenu à un stade donné de la persistance dans le rythme (les musiciens), qui est aussi persistance dans le pas (les danseurs), que le mouvement spontané, lorsqu’il intervient, peut modifier toute la structure d’ensemble, qui répond à l’appel : l’acte d’improvisation n’est pas autre chose. L’habileté à changer les règles du jeu à l’intérieur d’une structure définie mais qui peut néanmoins se complexifier à l’infini, soit l’improvisation, détermine la progression. Car de ce mouvement spontané immédiatement adopté intégré, au sein d’un contexte rythmique déjà fort structuré, naîtra une configuration nouvelle, dynamique. C’est en cela que réside la très grande sophistication de la rythmique traditionnelle africaine, dont les réalisations se hissent bien au-delà de ce que le jazz et les musiques contemporaines dérivées ont pu en hériter.
Dans leur capacité propre à se saisir du présent, la danse et la musique africaines font aussi la preuve de leur aptitude à embrasser l’aventure contemporaine. C’est qu’elles ont les mêmes moyens de faire apparaître et d’intégrer, en se réalisant, des éléments nouveaux à tout instant, en faisant coincider l’affirmation de l’individualité avec l’expression savante d’une dynamique du temps. Et la connaisance du rythme, non pas simple mesure du temps mais expression codifiée des cycles de la vie, nous enseigne qu’il n’y a pas de limite à l’invention : tout peut être inventé qui saisit le défi de son intégration. D’où le sens profond que nous attribuons également à l’idée de participation : celle-ci est la manifestation d’un élan global et régénérateur, créateur dans sa capacité d’intégration, dont un principe dynamique, l’improvisation, détermine la progression.
Pour l’artiste contemporain qui n’ignore pas cet art de l’improvisation, la scène doit pouvoir- constituer un lieu où son art est mis au défi – dans le sens positif du terme – et tout son savoir-faire doit pouvoir en témoigner. Car il peut ainsi mettre à l’épreuve la puissance d’intégration de son art, au moment le plus inatendu, qui est aussi le plus approprié, afin que soit rendue possible la rencontre entre le connu et l’inconnu.
À ce stade-ci, l’improvisation n’est plus une simple technique, un élément de mise en scène, ou l’expression d’une volonté de cultiver le « goût du risque »: elle est au coeur d’une conception où l’art et la vie, réciproquement, servent les mêmes fins.

///Article N° : 9

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