Après Paris (1956) et Rome (1959), l’initiative de Maïmouna Coulibaly et Nocky Djedanoum, créateurs du festival lillois Fest’Africa, d’organiser à N’djaména, en Octobre 2003, le 3ème Congrès des Écrivains d’Afrique et de ses diasporas, pourrait laisser plus d’un observateur perplexe. Que diable vont-il chercher dans cette galère, est-on en droit de se demander, tant le choix du lieu, le Tchad, paraît incongru, au regard de l’histoire du pays même, marqué par une guerre de plus de 20 ans et des dictatures fratricides qui ont fait fuir les hippopotames des eaux rougies du Logone-Chari, et truffé de mines anti-personnelles le désert du Tibesti, célèbre pour ses grottes préhistoriques et ses peintures rupestres. Le pays de Toumaï (Espoir de Vie), l’ancêtre nouveau brandi par les paléontologues, bouts d’ossements dont nul ne sait s’ils appartenaient à une femme ou un homme, à un puisatier libyen ou un esclavagiste soudanais, le pays-là donc, qui amorce difficilement sa sortie de la violence et du népotisme de clan sous le règne d’Idriss Déby, aura l’honneur d’accueillir la nouvelle édition de cette manifestation presque mythique dans l’histoire des littératures autrefois dites noires.
Il m’a fallu deux séjours au Tchad comme consultant sur le projet de Fest’Africa pour en saisir complètement l’enjeu. Non pas que je fus sceptique dès le départ, mais blasé. L’afro réaliste que je suis, au fond de lui, garde les souvenirs de tant d’échecs de projets nobles sur le continent, échecs globalement imputables au désintérêt, voire l’apathie des populations pour lesquelles ils sont conçus. Mes craintes allaient vite se révéler justes. Au premier voyage (juin 2002), lors d’une conférence de presse à la Maison de la Culture de N’djaména, endroit lugubre et aux trois quats délabré, un journaliste osa poser à Nocky Djedanoum la question qui tue ! À savoir, pourquoi revient-il au Tchad (pays natal de l’interpellé, au demeurant) organiser un si grand événement, alors qu’il aurait pu le faire à Lille ? N’y aurait-il pas dans ce choix, une ambition politique inavouée, un désir de devenir ministre de la Culture au Tchad ?
À première vue, la question peut sembler dépourvue de tact, mais possède l’avantage de révéler des non-dits intéressants, entre autres la perception par l’autochtone de l’exilé africain dans son rapport avec sa terre d’origine, surtout lorsqu’il se veut porteur d’un projet conçu ailleurs et qu’il veut réaliser avec des acteurs qui en ont une lecture radicalement prosaïque ou n’en voient pas l’opportunité. Devant un tel » bug « , une telle incompréhension diffuse, pour ne pas dire une jalousie fondamentale de l’être qui vit en société bloquée, il faut être psychologue ou communicateur patient pour passer outre les difficultés du dialogue. Il se trouve que, par chance, le directeur artistique de Fest’Africa, à l’instar d’un certain Alioune Diop, possède ces qualités qui seules aplanissent les montagnes. Lors de notre deuxième séjour (décembre 2002), l’atmosphère avait changé du tout négatif au tout positif. L’enthousiasme des Tchadiens me devenant même suspect, tant je me demandais si c’étaient les mêmes artistes et journalistes qui, quelques mois plus tôt, nous avaient battus froid !
Tout compte fait, la mécanique est en branle. Et je me dis, si les Tchadiens comprennent enfin, pourquoi moi je continuerais à la jouer blasé ? D’autant plus que, même les politiques, d’habitude si frileux quant il s’agit de subventionner la culture (1), prennent la mesure de l’événement qui va se dérouler sous leurs yeux : plus de 200 artistes et intellectuels pour débattre de la problématique de l’engagement pour une Afrique imaginative, carrément » le ciel qui va nous tomber sur la tête « , à en croire Ahmad Taboye, universitaire du cru dont la passion pour la culture n’a d’égale que la lucidité. » Nocky est fou, le Tchad n’est pas un pays, mais c’est ici qu’il faut faire ce Congrès ! »
Tout est dit, enfin ! Oser convier les intellectuels et artistes africains et de ses diasporas à venir réfléchir dans un non-lieu du continent matrice, cela aurait-il un sens ? OUI. Le Tchad, cet ancien pays garnison que Romain Gary, inspiré par la poétique du Coran, qualifia de » racines du ciel « , ne serait pas un pays, malgré Toumaï, malgré le pétrole. Soit, c’est en cela justement qu’il doit nous intéresser. » Pays sans ombre « , » sans chapeau « , tout ce qu’on voudra, presque sans infrastructures hôtelières, eh bien nous irons tous au Tchad, quitte à dormir à la belle étoile ou chez l’habitant ! Enfin, » schkui ! » comme disent mes comédiens (2), imaginez-vous un seul instant que nos frères et surs nous laisseraient à la rue, si nous avons dans nos yeux l’étincelle qui leur rappelle que nous n’avons pas définitivement perdu nos illusions quant à l’a-venir de l’Afrique ? Plongé in vivo dans les affres du non-développement, au cur d’un pays nouvellement décrété » berceau de l’humanité « , même si le berceau est dans la merde, quel meilleur conditionnement pour suspendre la langue de bois et répondre à la question : que sont devenus nos engagements ou que doivent-ils redevenir à l’aune de nos productions artistiques et intellectuelles ?
Le rendez-vous est pris, et comme le rappelle Nocky Djedanoum dans la plaquette du projet » Fest’Africa sous les Étoiles « , les écrivains sont les premiers invités du Congrès, qu’ils n’hésitent pas à réclamer leur droit à y participer. Nous devons tous aller à N’djaména, et écrire notre » Retour du Tchad « .
1. Exception toutefois, pour la première fois au Tchad, le budget du Ministère de la Culture vient d’être augmenté de 20%, et le Président Idriss Déby aurait reconnu, dit-on, l’échec du politique et miserait sur la culture et le sport pour rassembler le pays ! Il ne faut jamais désespérer.
2. Je travaille à la mise en scène des » Sextirpateurs « , une pièce de N. Djedanoum, avec une équipe africaine composée d’une béninoise, Florisse Adjanohoun, d’une rwandaise, Carole Karemera, d’un tchadien, Hassan Keiro, et d’un congolais qui nous rejoindra bientôt, Stanislas Matingou. Sans oublier musiciens du groupe tchadien Tibesti sous la direction musicale du saxophoniste Doro Dimanta.FEST’AFRICA SOUS LES ETOILES
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