Le Briseur de Jeu

D'Eugène Ebodé

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S’il existe de nombreux romans dans lesquels apparaissent de manière épisodique des scènes de football, ou des personnages de footballeurs, il manquait à la littérature africaine un « roman du football ». Avec ce premier roman, Eugène Ebodé comble ce vide en redonnant à l’un des sports les plus prisés en Afrique une place centrale dans la fiction.
L’histoire est racontée par un ancien footballeur camerounais installé en Provence, et qui, quinze ans après les événements, n’arrive pas à se défaire du « souvenir obsédant » d’un match tragique aux « pays des Crevettes ». « Pour que l’histoire pénètre dans toutes les têtes » mais aussi pour « alimenter la curiosité de ceux qui ont envie de connaître toute l’affaire si controversée de cette finale de football », l’ancien footballeur revient devant une interlocutrice invisible sur l’atmosphère, les événements et les mystères des sept jours précédant la finale, avant d’en arriver au drame.
Le récit met en scène une équipe de joueurs livrés aux ruses, violences et manigances des supporters et dirigeants. Mais il y a plus : cette finale oppose, au coeur de la ville, une équipe du Nord à une équipe du Sud. A l’effervescence générale s’ajoute alors, dans une ville déjà pleine de tensions étouffées, toute une série de discours et pratiques qui suscitent, confirment ou exacerbent des rivalités ethniques ancestrales. Sous couvert de l’histoire d’un match de foot, et autour de l’énigme de la disparition d’un capitaine d’équipe, c’est toute l’agressivité du Douala de la fin des années quatre-vingt qui est exposée.
Si les commentaires appuyés de l’auteur sur le parallèle entre la politique et le jeu se font vite assez pesants, et si les dialogues manquent de conviction, on sera surtout frappé, dans ce roman, par la virtuosité de la narration. Les passages fantastico-réalistes décrivant la ville, les corps, le sexe ou la violence sont superbes tant pour la souplesse des phrases que pour la richesse de l’imaginaire. Les meilleures pages sont en fait celles où l’auteur se laisse aller au lyrisme, où il semble dribbler avec les mots. Peut-être davantage poète que romancier, Ebodé réussit néanmoins avec Le briseur de jeu à faire partager sa passion pour l’univers du ballon rond, comme dans quelques passages superbes où le sport devient poésie aux oreilles des lecteurs : « Si vous n’avez jamais rien compris au ballond rond« , écrit Ebodé, « admirez donc ne serait-ce qu’une fois les virages de l’ailier, le geste et le bruit d’une talonnade, la fluidité d’un lob, la cadence d’un une-deux, le ballet que produit le jeu en triangle, les amortis de la poitrine, les ailes de pigeon, les pointus, les coups de tête sous la barre, les lucarnes, les extérieurs, les sombreros, rageants pour le défenseur, mais si délicieux pour l’oeil écarquillé du spectateur« .
Le football est entré en littérature.

Le Briseur de Jeu, d’Eugène Ebodé, Editions Moreux, Collection Archipels Littéraires///Article N° : 1668

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