Le chant des fromagers : un premier roman où Sébastien Mathouraparsad porte avec fierté la mémoire de ses ancêtres

Print Friendly, PDF & Email

L’économiste et universitaire, Sébastien Mathouraparsad fait jaillir de son premier roman, Le chant des fromagers, une période historique difficilement appréhendable. Par le truchement de personnages dépeints avec une grande justesse, la mise en esclavage de millions d’Africains noirs, et particulièrement ceux déportés vers la Guadeloupe par des esclavagistes français, prend du relief, de même que les contours d’existences singulières.

Le primo-romancier Sébastien Mathouraparsad  trouve un point d’équilibre entre la grande Histoire et les vicissitudes. Les protagonistes de son roman, Le chant des fromagers, Djabi et Bintou ont presque tout à réapprendre lorsqu’ils foulent du pied le sol de la Guadeloupe. Leur condition d’esclaves est un défi à leur entendement, à leur équilibre psychique, au sentiment amoureux qui va les unir. Comme eux, plusieurs générations d’hommes, de femmes et d’enfants noirs africains sont privés de liberté aux fins d’intérêts économiques occidentaux confortés par des thèses eugénistes. Les événements de cette époque sont matérialisés avec adresse, nuances, rythme, et clarté par l’auteur, maître de conférence en économie à l’université des Antilles, spécialiste des questions de développement économique des territoires d’outre-mer.

L’hyper réalisme de certaines scènes plonge le lecteur au cœur de villes d’Europe et des Amériques qui ont participé au commerce et à la mise en servitude de personnes africaines au 18e et jusqu’au début du 19e siècle. La non linéarité des enchaînements permet l’affirmation d’individualités dont le curseur oscille entre alliances et mésalliances dans ce système ténébreux circonscrit par des lois iniques. Les personnages historiques et fictifs tels Delgrès, Ignace, la légion noire, les Marrons, De la Ritournelle, Victor Hugues, D’Estrelan, d’Estanguet, Richepanse, Napoléon Bonaparte et tant d’autres, électrisent l’architecture dense du récit.

Dans ce roman captivant, Sébastien Mathouraparsad fait un devoir d’ancestralité devant l’Histoire. Par une dialectique de l’être, les noms imposés par les criminels de cette époque sont relégués au prix de combats et de résistances héroïques. Djabi, Bintou, Tendaji, le chef de la communauté des marrons n’ont jamais oublié le pouvoir d’émancipation, de guérison et d’autodétermination véhiculé à travers les nominations.

Aujourd’hui encore, l’espace public guadeloupéen est saturé de patronymes d’esclavagistes. Aujourd’hui encore les mécanismes de domination favorisant les intérêts des occidentaux sont opérants sur le territoire. Aujourd’hui les traces de cette période se matérialisent aussi par la résurgence d’ossements humains jonchant certaines plages de Guadeloupe, où avaient été enterrés des esclaves. L’auteur livre que cette découverte macabre déclenchera l’urgence de renouer les liens avec son héritage par l’écriture. Une écriture d’où s’écoulent la sueur, le sang, la boue, les larmes, la sève des fromagers en hommage à ses ancêtres dont il porte avec fierté la mémoire, l’intelligence, la créativité, l’essence et la fibre de liberté. La littérature caribéenne peut désormais compter un nouvel opus au sein de ses belles lettres.

Ayelevi NOVIVOR

Sébastien Mathouraparsad, Le chant des fromagers, Paris, coll. Lettres des Caraïbes, L’Harmattan, 2023.

  • 46
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Un commentaire

  1. Bonjour Je viens de lire votre article sur le livre le chant des fromagers je suis tt à fait d accord avec vous : c est un livre puissant qui m a bouleversée, j ai d ailleurs écrit à monsieur Mathouraparsad pour lui dire à quel point ce livre m a, non seulement interessee mais aussi captivee.
    Je connaissais le système de l esclavage (j ai fait des études en histoire) mais l éclairage de son propos m a fait toucher du doigt à quel point ce système s inscrit dans la même ligne que la shoah et tous les systèmes visant à nier l humanité d un être.
    J attends son prochain roman avec impatience
    Bien cordialement

Laisser un commentaire