Rappelez-vous : le 23 mai 1998, à l’occasion du cent cinquantenaire de l’abolition de l’esclavage, 40 000 personnes sont dans la rue pour demander notamment que l’on reconnaisse l’esclavage comme un crime contre l’humanité. Le « CM98 » était né, et avec lui, l’aventure qui allait aboutir à la loi Taubira en 2001, puis plus tard, à la reconnaissance du 23 mai comme date commémorative de l’esclavage.
« Le monde antillais est troué » : c’est avec ces mots que Serge Romana, président du Comité de la Marche du 23 mai 1998 (CM98), résume le combat de la communauté antillaise contre l’oubli d’un passé vécu dans l’esclavage. « Le nom que je porte est celui de mon arrière-grand-mère, celui qu’on lui a donné en 1848, lors de l’abolition de l’esclavage. Ce n’est pas si loin« , explique Serge Romana, qui est aussi généticien. Comment, à peine 150 ans après, vivre avec ce passé ?
La réponse du CM98 est simple : il faut traiter le problème, de manière symbolique, en reconnaissant les blessures des peuples pour atténuer le ressentiment de la communauté antillaise. « Il faut traiter la honte, et inverser le stigmate de l’esclavage. C’est comme une victime de viol – parce que c’est un viol : il faut en parler, ne pas le nier« . Ainsi, parmi les actions phares de l’association on compte sa longue revendication pour une journée dédiée aux victimes de l’esclavage. Non pas seulement en mémoire de l’abolition – c’est la date nationale du 10 mai, reconnue par la loi Taubira, qui fait de l’esclavage un crime contre l’humanité. Mais en souvenir des victimes de l’esclavage. La différence est sensible : « dans un cas, c’est la République qui s’honore d’avoir aboli l’esclavage. Dans l’autre, l’éclairage est porté sur les victimes et descendants de victimes, et leurs problèmes spécifiques. »
Le Comité de la Marche du 23 mai 1998 s’est donc battu pour qu’on choisisse, à côté du 10 mai, une autre date. Le 23 mai semblait approprié : il commémore plusieurs événements importants. Ce fut le premier jour de la libération des esclaves en 1848 en Martinique. Ce fut également le jour de la sortie au journal officiel de la loi Taubira en 2001. Mais ce fut surtout, en 1998, le jour de la première grande manifestation de la communauté antillaise en France pour que l’esclavage soit déclaré crime contre l’humanité. Cette date a finalement été reconnue par une circulaire en 2008, au terme de plusieurs années de débats.
Aujourd’hui, l’association revendique environ 450 adhérents – Antillais, et Français hexagonaux -, répartis en une vingtaine d’antennes en Île de France et des relais en province et dans les territoires d’outremer. 70 membres bienfaiteurs en assurent la majeure partie du financement, le reste étant assuré par des subventions, la vente de repas ou de produits dérivés.
Comme chaque année, ce 23 mai sera un temps fort pour l’association. Entre 4 000 et 6 000 personnes sont attendues sur le parvis de la Basilique de Saint-Denis, où se tiendra le village de CM98 et une cérémonie « lan-mé-kann-fé-nèg » (l’océan, la canne à sucre, les chaînes, et le nègre, ou les composantes de l’esclavage) autours d’intellectuels, d’artistes et de slameurs du collectif Riposte. Ce sera l’occasion de découvrir les nombreuses autres actions que mène l’association notamment dans le domaine de la généalogie. Une démarche nécessaire, à l’heure où les coups de boutoir contre la loi Taubira et les attaques contre ce devoir de mémoire se font plus menaçants.
Plus d’info : http://www.cm98.fr
Retrouvez l’article d’Aude Lorriaux dans le magazine Afriscope n°21 « Christiane Taubira fait le bilan de sa loi » : [Afriscope ]///Article N° : 10166