Du 8 novembre 2024 au 9 février 2025, l’exposition Chaque vie est une histoire, présentée par le Musée national de l’Histoire de l’immigration au Palais de la Porte Dorée a mêlé histoire, témoignages et art contemporain. Elle a invité à une réflexion sur l’immigration en donnant des voix, des visages et des objets à des récits souvent abstraits.
Le silence règne au milieu des œuvres qui composent l’exposition. Mis à part le bruit des pas sur le parquet des visiteurs venus observer les lieux, aucun son ne se fait entendre. Mais en tendant l’oreille, The Mapping Journey Project de Bouchra Khalili trouble cette quiétude. Cet ensemble de vidéos donne vie aux récits de migrants à travers le geste et la parole. Ils racontent leur parcours en utilisant des cartes, révélant ainsi une autre cartographie, souterraine et invisible. Derrière cette projection, se trouve The Constellations, trois sérigraphies où chaque dessin des migrants est représenté sous forme de constellation d’étoiles, apportant une dimension poétique à leur vécu.
En sortant de la salle de projection, Je suis pas mort, je suis là de Laetitia Tura révèle l’invisible en photographiant des exilés subsahariens, à la croisée des frontières entre le Maroc, l’Espagne et la Tunisie. Ces photographies sont accompagnées de textes écrits à partir d’entretiens menés avec des migrants et des familles de migrants, qui dévoilent la durée, l’effort, l’incertitude et le danger inhérents aux traversées illégales des frontières.
Des objets porteurs de sens
Récemment, le Musée national de l’Histoire de l’immigration a acquis un “kwassa-kwassa”, une embarcation en provenance de l’archipel des Comores, présentée pour la première fois à l’occasion de l’exposition Chaque vie est une histoire. Conçus à l’origine pour pêcher, ces bateaux sont aujourd’hui utilisés par les habitants des Comores pour tenter de rejoindre Mayotte, l’île française, en quête d’une vie meilleure. Celles et ceux qui survivent aux traversées périlleuses sont contraints à la précarité, cantonnés à la clandestinité. Djamadar Archafadi en témoigne dans une captation audible sur place : à 11 ans, il tombe d’un cocotier et se brise la colonne vertébrale. Cet accident entraîne un handicap sévère qui lui provoque d’importantes douleurs et l’empêche de bouger ses jambes. Il tente alors à deux reprises de rejoindre Mayotte, dans l’espoir d’accéder à des soins. “Il y a des gens à Mayotte qui disent «Pourquoi vous venez chez nous ?». Allez vivre chez nous sans rien du tout, après vous allez comprendre pourquoi on prend le risque de venir avec les kwassas”, confie-t-il dans un témoignage recueilli par Yoram Melloul en juin 2019.
Six lits superposés en bois, quatre échelles et une quarantaine de sacs multicolores : ce sont les objets utilisés par Barthélémy Toguo dans Climbing Down. Selon les mots de l’artiste, l’installation symbolise la “grande promiscuité austère” des foyers de migrants. La volonté de l’artiste était d’interpeller les spectateurs grâce à la taille de son œuvre. Il veut susciter l’étonnement, en surprenant, et capter l’attention sur un sujet douloureux. Les sacs représentent les effets personnels des immigrés, constituant ainsi le souvenir de ce qu’ils ont quitté. La superposition des lits, elle, incarne l’excès mais surtout, l’impossibilité pour ces personnes d’avoir un espace personnel.
Dans un registre plus personnel, Tharabate de El Hammami Badr, s’intéresse à la mémoire et aux moyens de communication des travailleurs immigrés marocains venus en France et leurs familles restées au Maroc. Il présente des objets appartenant à ses parents – vidéos, archives sonores, photographies et cartes postales – pour leur donner un sens nouveau. L’artiste aborde également la question de la langue avec Fadma Kaddouri, par cassettes interposées, à la façon des travailleurs immigrés qui utilisaient cette méthode pour donner des nouvelles à leur famille restée au pays.
L’importance des archives
Plus loin, Grégoire Kaussayes redonne vie au célèbre Studio Rex d’Assadour Keussayan ayant existé entre les années 1930 et 2000. Situé à Marseille entre la gare Saint Charles et le port, ce studio reçoit une clientèle majoritairement immigrée, essentiellement originaire d’Afrique du Nord et de l’Ouest ou encore des Comores. Dans une petite salle de l’exposition, des portraits d’identité réalisés à des fins administratives et des portraits en pied mettant en scène des familles viennent constituer une histoire commune. Ces prises de vues, souvent jamais récupérées par les familles, ont été conservées par le studio et permettent aujourd’hui de poser des visages sur l’immigration, tout en dévoilant des fragments de vie.
Chaque vie est une histoire revient également sur la marche pour l’égalité et contre le racisme. Après la multiplication de nombreux crimes racistes à l’encontre de jeunes originaires de quartiers populaires, dont la plupart étaient des enfants de travailleurs immigrés, un groupe de jeunes de la banlieue lyonnaise décide d’entreprendre une marche pacifique à travers la France hexagonale en octobre 1983. À l’occasion des quarante ans de la marche en 2023, le musée a lancé un appel à la collecte d’archives, leur permettant de rassembler des objets – affiches, lettres, photographies – retraçant l’histoire de cette mobilisation qui a traversé la France. Une banderole signée par les participants de cette marche y est exposée. Elle témoigne à la fois de l’engagement et de la détermination des marcheurs, mais aussi de leur espoir d’un meilleur avenir.
Hichima Moissuli