En mai 1802, les troupes bonapartistes envoyées en Guadeloupe pour y rétablir l’esclavage aboli pendant la Révolution française rencontrent une violente opposition. Durant ce mois de résistance se joint aux combats celle que l’on appela la mulâtresse Solitude. Son engagement de femme esclave en lutte pour la liberté marque aujourd’hui plus que jamais les mémoires.
Face à la volonté de Bonaparte de rétablir l’esclavage en Guadeloupe, le chef de la résistance Louis Delgrès proclame le 10 mai 1802 « À l’Univers entier, le dernier cri de l’innocence et du désespoir ». Si l’on conserve encore aujourd’hui la trace écrite de cette déclaration anti-esclavagiste, les cris des centaines de résistants rassemblés autour de Delgrès se sont, eux, envolés. En effet, le 28 mai 1802, ces combattants anti-esclavagistes, acculés, provoquent une explosion suicidaire de l’habitation Danglemont. Ils préférèrent mourir plutôt que de connaître le rétablissement de l’esclavage, dans une écriture de l’histoire qui est celle des vainqueurs. Solitude, elle, n’y a pas péri. Blessée, elle fut arrêtée et condamnée à mort. Le 29 novembre 1802, elle est exécutée après avoir donné naissance à l’enfant qu’elle portait aux moments des combats. Ses mots se sont perdus, mais son cri de révolte résonne encore.
Simone Schwartz- Bart a d’ailleurs poursuivi cette histoire guadeloupéenne en écrivant l’histoire de la fille de Solitude et de ses descendantes dans le récent roman L’Ancêtre en Solitude, dans la continuité du travail commencé avec son mari André Schwartz-Bart dès 1972. En effet, à partir des marques qu’elle a laissées dans les mémoires guadeloupéennes, des traces éparses dans les archives et des mentions dans les livres d’histoire, André Schwarz-Bart a tissé un roman. La Mulâtresse Solitude publié en 1972 brode une vie à cette femme en lutte.
Par la littérature, il crée une héroïne, (re) constitue son parcours, lui donne un regard, un souffle, une identité, en bref une humanité. Solitude est alors la fille d’une jeune esclave violée par un marin sur le bateau négrier. Née vers 1772 sur le sol guadeloupéen, l’esclave Solitude travaille sur plusieurs plantations, ballottée entre soumission et révolte jusqu’à la première abolition de l’esclavage en 1794. Elle rejoint ensuite un groupe de Noirs marrons. Quand le rétablissement de l’esclavage menace, Solitude se joint à la résistance pour la liberté. Quel jour exactement a-t-elle pris les armes ?
L’histoire écrite l’ignore. La mémoire orale s’en passe. Le roman l’enrobe de fl ou. Mais peu importe le jour lorsque l’acte fait date. Au cours de ce mois de mai 1802, l’ancienne esclave Solitude, enceinte, a pris les armes pour la liberté.
Famn doubout
En partie historique, en partie mythologique, le personnage de Solitude est devenu une figure de famn doubout. À la fois voix et voie féminine, femme rebelle et mère, elle est à la croisée des actes de résistance et de la vie quotidienne des esclaves. En Solitude se réunissent l’histoire de la traite, de l’esclavage, de la première abolition, du marronnage et du combat pour la liberté. Le roman de 1972 l’a mise en lumière. Plus récemment des statues d’elle ont été érigées. Fière, forte, debout, enceinte, les mains campées sur les hanches aux Abymes. C’est une fi gure d’insoumission que l’on peut voir d’elle dans cette commune guadeloupéenne. À Bagneux, en 2006, c’est une sculpture en creux, une empreinte d’une Solitude absente qui fut érigée. Figure du souvenir, du manque et de la perte.
En 2007, un appel est lancé pour sa panthéonisation aux côtés d’Olympe de Gouges. Alors adressé aux candidats à l’élection présidentielle, il est pour l’instant resté sans succès.
<small »>Pour aller plus loin :
– André Schwarz-Bart, La Mulâtresse Solitude, Paris, Seuil, 1972.
– Simone Schwarz-Bart, L’Ancêtre en Solitude, Paris, Seuil, 2015.
– Arlette Gautier, Les Soeurs de Solitude, la condition féminine dans l’esclavage aux Antilles du XVIIe au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010. – Marie-Christine Rochmann, L’Esclave fugitif dans la littérature antillaise, Paris, Karthala, 2000.
– Émission de France Culture, Une vie, une uvre du 1er novembre2014.///Article N° : 13598