Le jardinier de Metlaoui est né d’un héritage à la fois historique, géographique et familial.
Historique parce qu’il retrace la vie d’un homme, intendant des mines de phosphate au temps du Protectorat français, qui quitta ses terres alsaciennes pour les colonies tunisiennes, traversa deux guerres mondiales et (d)écrivit à merveille – et à son insu – les modes de vie d’une époque disparue.
Géographique car du Lousif – où se situe le jardin en couverture du livre et présenté au fil des pages – en passant par Nice, Villars et Berdiansk en Russie, ce récit nous fait voyager à travers les cultures et les paysages du début du XXe siècle.
Familial, enfin, car ce roman n’est autre qu’une ode à l’écriture et aux retrouvailles. Retrouvailles de l’auteur avec son grand-père maternel jamais connu dont il prit pourtant le nom alternant Bussac avec Barbier-Wiesser. Retrouvailles aussi, d’un enfant avec sa famille qui, grâce aux trente-trois tomes élégamment dactylographiés par Henri Wiesser, découvre des histoires de familles jusque-là inconnues et destinées à son frère « l’écrivain de la famille« . Retrouvailles, finalement, d’un fils avec sa mère puisque de la réalité au roman, celle-ci passe du trépas à la vie. Quoi de plus beau pour celui qui pleure la disparition d’un être cher que de découvrir par écrit sa naissance et son enfance ?
Toutes ces retrouvailles, François-Georges Bussac nous les confie avec joie. Lui, le poète, diplomate culturel et ancien directeur de la Médiathèque de Tunis, recopie avec soin et amour les mémoires de « Grand-papa« . Il s’émerveille avec le lecteur des découvertes de ces lectures. Il se reconnaît « comme à travers un miroir à peine terni« . Il se rend même à Metlaoui avec sa fille sur les traces de son ancêtre. Et se demande : comment le destin a-t-il fait pour qu’Henri Wiesser et lui-même fassent de la Tunisie leur terre d’élection ? Comment expliquer ce goût certain pour l’écriture de Wiesser père, Wiesser fille, Bussac père et Bussac fille (1) ?
Par des allers-retours réguliers entre passé et présent, François-Georges Bussac nous invite à porter une réflexion sur le monde et son évolution. Tour à tour émerveillé, indigné, surpris ou goguenard, l’auteur réagit aux dires de son grand-père comme un chroniqueur d’actualités. Car sur les 6500 pages laissées en héritage, pas une ne décrit le dur labeur de la mine. François-Georges Bussac, seul narrateur à connaître le fil ténu entre romance et réalité, poursuit la pensée de celui qu’il aime à décrire comme « un homme de gauche, grande gueule mais à la culture immense et à la belle écriture« .
Le lecteur est donc emporté par un charmant cadavre exquis inter-générationnel. Aux questions du grand-père se juxtaposent les réponses du petit-fils ; aux certitudes d’un homme se confrontent les interrogations d’un autre. Et de ce Protectorat que Wiesser critiquera fortement, on ne retient que l’amour et la nostalgie d’un homme pour les steppes désertiques du Sud tunisien. En effet, l’expatrié Henri Wiesser parle très peu du peuple tunisien. Son isolement loin des siens et de ses racines le conduit à une nouvelle passion : celle d’un jardin, au beau milieu d’une région minière. Un lieu qui, à l’époque, était extraordinaire.
L’intérêt de ce récit n’est donc pas dans son approche de la colonisation mais plutôt dans le témoignage d’une vie de déracinement que beaucoup de familles modestes déplacées dans les colonies françaises ont pu connaître au début du siècle dernier. En ce sens, Le jardinier de Metlaoui est un passionnant récit à travers la vie telle qu’elle fut hier, telle qu’elle est aujourd’hui et telle qu’elle sera demain : une invitation au voyage et un retour aux origines.
1. Madame Augustina Bussac, benjamine d’Henri Wiesser, a rédigé treize volumes de mémoires qui ont été découverts par ses fils après son décès. Quant à Claire Bussac, fille de François-Georges, elle a co-écrit avec Céline Biewesch un ouvrage intitulé Le Fanfare (non édité).Le jardinier de Metlaoui, François-Georges Bussac, Éd. L’Harmattan, 360 p. – 29 euros///Article N° : 8706