« Le meilleur moyen d’éviter l’intégrisme est d’être le plus libéral possible »

Entretien d'Olivier Barlet avec Atef Hetata

Biennale du film arabe, Paris, juillet 2000
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Qu’est-ce qui vous a amené à prendre l’intégrisme comme sujet ?
Je voulais faire un film sur l’adolescence, et cela au Caire puisque c’est la ville que je connais. Le star-system du cinéma égyptien fait qu’il ne traite que très peu ce sujet. Je voulais également aborder l’influence politique et économique de la guerre du Golfe en Egypte, sujet également peu traité par le cinéma égyptien.
Votre film montre à quel point les islamistes sont en phase avec les difficultés de la société.
Je ne pouvais éviter ce sujet en parlant de l’adolescent. Ce n’est pas moi qui choisissais le sujet : c’est lui qui s’imposait à moi. S’il ne s’agissait que d’un groupe de fous racontant n’importe quoi, il ne serait pas dangereux. Les intégristes ont des réponses à apporter aux questions identitaires, même si ce ne sont pas les bonnes ! Il leur arrive d’avoir une vision juste au niveau politique ou social – et c’est bien là le danger. C’est pourquoi je ne voulais pas les stéréotyper.
L’intégrisme s’est donc imposé comme sujet.
Oui. En Egypte au début des années 90, un certain fascisme a affecté tous les cadres de pensée. Je ne pouvais l’ignorer pour parler de cette époque !
Votre film répond à une interrogation angoissée, celle de comprendre comment la jeunesse peut être séduite par l’intégrisme. Il semble même dire qu’il ne sert à rien de couper la parole aux intégristes sans résoudre les facteurs de leur apparition.
Je crois effectivement que le meilleur moyen d’éviter l’intégrisme est d’être le plus libéral possible et de résoudre les problèmes fondamentaux de la société. La liberté de la parole n’est pas le moindre. La corruption et la question économique aussi. Le problème est que les intégristes ne sont pas libéraux non plus !
L’adolescent du film vit avec sa mère divorcée. L’absence du père marque-t-elle la société arabe actuelle ?
J’ai choisi l’absence physique du père dans le film pour des raisons scénariques, mais le père peut être très absent en étant présent. C’est sans doute vrai dans le monde entier : les valeurs éducatives transmises par les pères ne correspondent pas aux attentes de leurs fils.
La mère est très désarçonnée dans votre film. Elle est rassurée de voir son fils aller à la mosquée par peur de le voir sombrer dans la délinquance.
C’est en effet un personnage ambivalent qui incarne un des paradoxes du film : elle est à la fois consciente et sous influence. Elle ne réalise pas en quoi cela peut se retourner contre elle.
C’est cette épaisseur qui confère aux personnages leur crédibilité, alors que le cinéma égyptien a tendance à les stéréotypiser très fortement.
C’est justement pour en sortir que j’avais envie de faire ce film.
L’autoritarisme à l’école est très impressionnant dans le film.
Effectivement, mais ce n’est pas exagéré : la violence y est encore très présente.
L’éveil sexuel de l’adolescent ne trouve pas à s’exprimer. Cela vous paraît un élément déterminant dans sa radicalisation ?
Oui, c’est sur cette répression que bâtissent les intégristes. L’adolescence est l’âge où c’est vécu le plus intérieurement.
Vous choisissez à dessein la période de la guerre du Golfe.
Elle a donné un surplus de crédibilité aux intégristes car leur position était plus proche des sentiments anti-américains et anti-occidentaux de la population, contrairement à celle des gouvernements arabes. D’autant plus que la guerre a signifié le retour de nombreux émigrés partis travailler dans les pays du Golfe et que cela correspondait à une ouverture plus grande de l’Egypte au capitalisme, avec une polarisation de la société entre riches et pauvres. C’est une période très forte et contradictoire que le cinéma a encore peu abordé.
L’économique joue également un grand rôle dans le film : chômage, absence de perspective, manque d’argent.
Oui, la mère qui perd son travail a du mal à en retrouver. Même la prostituée ne peut plus exercer face au code moral imposé par les intégristes !
La corruption est moins abordée.
Elle se sent à travers les leçons privées obligatoires pour réussir à l’école, mais c’est moins le sujet du film.
Les portes fermées sont ainsi toutes ces portes qui pourraient s’ouvrir avec la libéralisation de la société.
Oui, mais je ne veux pas limiter cela à la société égyptienne.
Votre film est co-produit par Misr Films. On parle souvent de l’écurie Chahine… Une école ?
Chacun a son individualité mais nous partageons un certain regard sur le cinéma et une façon de travailler qui nous rassemble. A vous de dire s’il en ressort un style commun !
Cela vous enferme-t-il dans une image ?
En Egypte peut-être car on reprochait aux films de Chahine d’être trop intellectuels, mais cela a évolué depuis que ses derniers films ont rencontré un grand succès.
Votre film est-il sorti en Egypte ?
Il sortira en octobre, comme en France.
Votre film a déjà tourné dans les festivals ?
Venise, Thessalonique, Montpellier, San Francisco, la Biennale à Paris…
Vous avez réalisé trois courts métrages.
Le premier, « Salut Barbès », a été fait à l’occasion d’un stage à la FEMIS, sur le quartier où il y avait des Arabes ! Le deuxième, « Violon » décrivait comment une artiste modifiait son travail musical en devenant intégriste. Le troisième, « La Fiancée du Nil » dénonçait comment le mariage peut être l’objet d’un marché financier entre familles en dehors des désirs des jeunes.
Qu’est-ce qui vous a poussé à faire du cinéma ?
Mon absentéisme à l’école ! J’allais au cinéma. Mais je n’ai pas fait d’école de cinéma et ai appris dans des tournages sur le tas.

///Article N° : 1603

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"Les Portes fermées" de Atef Hetata © DR
"Les Portes fermées" de Atef Hetata © D.R.





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