Le musée du costume de Côte d’Ivoire : miroir de la communauté nationale et locale

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9 décembre 1980 : une nouvelle institution voit le jour en Côte d’Ivoire. Il s’agit du musée national du costume. Crée grâce à une volonté politique sous la houlette du ministre des Affaires Culturelles d’alors, Bernard B. Dadié, écrivain reconnu sur le continent africain, il est contesté dès le départ par les professionnels de musée en raison de son emplacement inapproprié pour la conservation de textiles, à savoir le littoral. Il a d’ailleurs été critiqué durant toutes ces années et malgré quelques fermetures provisoires, il existe encore aujourd’hui et toujours au même endroit. Comment a-t-il pu résister à toutes ces tempêtes ?
Genèse et présentation
Selon les recherches de René Boser-Sarivaxevanis (1), la diffusion de l’art du textile et de la teinture traditionnelle à l’indigo à travers toute l’Afrique de l’ouest s’est faite à partir de deux foyers primaires : le foyer soudanien (Haut Sénégal, Boucle du Niger) le foyer du sud-ouest nigérian Le foyer soudanien s’est étendu jusqu’au nord de la Côte d’Ivoire où les Dioula (2) de la région de Kong ont adopté le tissage et la teinture. Ceux-ci les ont transmis à leurs voisins immédiats, les Sénoufo (3), puis aux Gouro (4) et aux Baoulé (5) plus au sud.
Quant au foyer du sud-est nigérian, il a exercé son influence jusqu’au sud et sud-est de la Côte d’Ivoire en passant par le Ghana.
L’artisanat textile s’est donc développé à travers le pays au fil du temps. Les mutations sociales intervenues avec la colonisation ont influencé les habitudes vestimentaires. Il y a eu des emprunts, des importations, mais l’artisanat a continué à subsister, accompagnant une jeune industrie textile. C’est dans ce contexte qu’est né le musée national du costume.
En effet, l’idée de la création d’un musée du costume émerge au ministère des Affaires culturelles en 1972. Quelques années plus tard, la restauration de l’ancien palais du gouverneur donne l’occasion de réaffirmer cette idée. C’est ainsi que l’institution est inaugurée le 9 décembre 1980. Elle est localisée dans la ville de Grand-Bassam, première capitale de la Côte d’Ivoire et distante de 40 km d’Abidjan, la capitale économique. À Grand-Bassam, le musée est situé dans l’ancien quartier colonial appelé « quartier France » dont une bonne partie est classée patrimoine national.
Le musée du costume est un service public national à caractère culturel dépendant du ministère de la Culture et de la francophonie. Il a une politique clairement définie : il présente certes les traditions vestimentaires des peuples de Côte d’Ivoire, mais il établit aussi une passerelle entre ce patrimoine et les costumes modernes.
Ses collections sont constituées de pièces collectées dans les villes et villages sur toute l’étendue du pays. Les toutes premières ont été acquises en 1980 et d’autres l’ont été au fil des ans. Le principal mode d’acquisition est l’achat, mais il y a également des dons. Les collections sont variées : elles comprennent des textiles, des parures, des maquettes d’habitat traditionnel, des photographies, des masques en miniature et grandeur nature ainsi que des objets divers. Il y a environ un millier d’objets. La muséographie est classique et la présentation suit une logique géographique afin de représenter toutes les régions du pays avec ce qu’elles ont de plus caractéristique comme costumes.
Vocation et missions
La manière de s’habiller, de se parer, est un vecteur, voire le premier par lequel se fait l’approche sociologique et culturelle d’un peuple. D’ailleurs les explorateurs européens qui ont débarqué sur les côtes ouest-africaines il y a quelques siècles ont décrit les habitants en commençant par leurs vêtements ou dans certains cas par le caractère très sommaire de leur accoutrement.
« Les Ivoiriens aiment bien s’habiller ». Ce bout de phrase a souvent été prononcé par des non-nationaux de passage à Abidjan. Le musée du costume est le premier musée spécialisé en Côte d’Ivoire et c’est l’un des trois musées nationaux, les autres étant des musées régionaux, municipaux ou privés. C’est déjà une indication de la place qu’il occupe dans le paysage muséal et culturel du pays. De plus, il est le seul musée à être localisé sur un site attractif, le « quartier France » de Grand-Bassam étant une zone historique, culturelle et balnéaire. Le Centre culturel Jean-Baptiste Mockey, la Maison du patrimoine culturel, le Centre céramique, de nombreuses galeries d’art, de même que les restaurants et hôtels du bord de mer forment avec le musée, un microcosme qui ne laisse personne indifférent.
Les missions suivantes lui sont assignées : assurer la conservation des collections nationales de costumes organiser et développer les recherches sur les arts vestimentaires en Côte d’Ivoire développer une activité permanente d’information, de diffusion et d’éducation populaire contribuer, par des échanges culturels internationaux, à la connaissance dans le monde des civilisations de Côte d’Ivoire.
Au demeurant, le musée du costume est le produit d’un diagnostic édifiant. La Côte d’Ivoire est composée d’une mosaïque de peuples avec des traditions vestimentaires variées ; au regard de l’histoire, le pays a bénéficié de la diffusion de l’art du tissage en Afrique de l’Ouest, ce qui lui confère une richesse sur ce plan. Les traditions vestimentaires intéressent tout le monde sans distinction d’âge, de sexe, de milieu social. Un soin leur est accordé quotidiennement, mais plus particulièrement pendant les moments les plus importants de la vie : la naissance, le baptême, le mariage, le décès, sans oublier les jours de fêtes. Ce statut différencie les costumes d’autres catégories de collections traditionnellement conservées dans les musées africains et qui attirent moins certaines franges de la population. Il s’agit d’objets comme les statuettes, les masques et autres objets, supports désacralisés de cultes et de rites dans lesquels les personnes issues de familles reconverties au christianisme ou à l’islam ne se reconnaissent pas.
En outre, certains costumes très ouvragés sont menacés de disparition car la capacité de reproduction avec une telle qualité n’est pas garantie ; par exemple les costumes de nobles, de devin, de mariée, etc. Les tisserands traditionnels sont de moins en moins nombreux malgré une culture du coton toujours pratiquée ; celui-ci est plutôt destiné à l’exportation ou au ravitaillement de la petite industrie textile nationale. Les cardeuses et les fileuses de coton sont de plus en plus rares, sauf dans certains villages reculés. Quant à l’indigo naturel, il est le plus souvent remplacé par des colorants chimiques. De plus, les mutations amorcées depuis la colonisation font qu’une partie non négligeable de la population adopte le mode d’habillement occidental suite à une relative acculturation. En somme, c’est surtout le savoir-faire traditionnel, moteur de la création textile artisanale, qui est menacé de disparition. C’est d’ailleurs pourquoi un atelier technique est adjoint aux salles d’expositions et à la réserve du musée ; les processus de filage du coton, de tissage et de teinture traditionnelle sont censés y trouver un théâtre de démonstration. La préservation et la valorisation du patrimoine immatériel (le savoir-faire traditionnel) constituent un objectif important. Le musée du costume a donc pour rôle de répondre à ces préoccupations. Mais arrive-t-il à l’assumer pleinement ?
Des difficultés indéniables
Nombreuses sont les difficultés qui entravent la bonne marche de l’institution, même s’il faut les relativiser et considérer le niveau général de développement du pays.
Ainsi, les problèmes les plus criards se situent au niveau de la conservation des collections. Le premier souci, c’est la sécurité des locaux en dehors des heures d’ouverture ; ils sont très facilement accessibles et le gardiennage est insuffisant. Le second, c’est la conservation des pièces pour la simple raison qu’il s’agit en grande partie de textiles dont l’entretien requiert un soin particulier, à savoir faire attention à la lumière, la température, l’humidité relative, etc. Ceci est d’autant plus vrai que le musée est situé à proximité de la mer avec un taux d’humidité relative élevé et l’embrun marin.
C’est d’ailleurs pour ces soucis de conservation que de nombreux spécialistes et professionnels de musées se sont clairement exprimés et continuent de s’exprimer contre la localisation de ce musée. C’est aussi pour cette raison qu’il a connu quelques périodes de fermeture, le plus souvent pour des travaux de réfection des bâtiments. Ces problèmes auraient cependant pu être minimisés si l’institution bénéficiait d’un soutien financier adéquat, surtout à la hauteur des ambitions qui ont présidé à sa création. Le budget alloué par l’État est insuffisant et le mécénat est très peu développé.
Toutes ces difficultés n’ont nullement eu raison de l’institution, car déjà ancrée dans son milieu, c’est-à-dire le paysage socioculturel national et local.
L’appropriation du musée par la communauté nationale et locale
Plus que la qualité ou l’ancienneté de ses collections, c’est le rôle de catalyseur que joue le musée dans la sauvegarde et la promotion du patrimoine vestimentaire et des vêtements résultant de l’innovation et des emprunts qu’il faut souligner. Les costumes les plus anciens et les plus significatifs se trouvent dans les familles, les clans, chez les notables, dans les cours royales. Le musée se fait surtout le médiateur, l’animateur autour de cette richesse. Il a participé à de nombreuses expositions, foires et autres manifestations organisées sur le plan national et le plus souvent à Abidjan. Il a, par exemple, co-organisé avec le musée des civilisations de Côte d’Ivoire sis à Abidjan l’exposition Autour du Wax, textiles de Côte d’Ivoire, présentée à Abidjan de décembre 1998 à mars 1999 alors qu’elle était programmée pour durer un mois. Cette exposition a été organisée en partenariat avec la société Uniwax (6) à l’occasion du trentenaire de sa création. Elle a eu le mérite de retracer, avec un partenariat actif extérieur au monde muséal national, l’évolution des techniques de production textile depuis des siècles et les liens entre les techniques artisanales et industrielles. Et comme l’a dit Yaya Savané, directeur du musée des civilisations de Côte d’Ivoire en ce moment-là et commissaire de l’exposition, « en organisant l’exposition autour du wax, textiles de Côte d’Ivoire en coproduction avec Uniwax nous entendons diversifier nos approches muséographiques, ramener ainsi le musée à la communauté à laquelle il appartient, mettre à la disposition des créateurs, des chercheurs et d’autres utilisateurs, une banque de données sur le wax… » (7). Toujours au titre de la collaboration du musée du costume avec d’autres institutions nationales, il a conclu à la fin des années 90 un partenariat avec la Poste de Côte d’Ivoire. Celui-ci consiste à permettre à la Poste d’utiliser les photos des mannequins costumés du musée pour les timbres qu’elle émet. C’est un exemple pertinent de la présence du musée dans la vie de la communauté nationale, car les relations épistolaires ont longtemps été et restent encore en partie aujourd’hui l’un des principaux moyens de communication entre les habitants des différentes localités du pays puis entre les Ivoiriens qui résident dans le pays et ceux de la diaspora. Bien entendu, les écoles primaires et secondaires des environs d’Abidjan et de Grand-Bassam restent les partenaires privilégiés du musée. Les élèves en repartent toujours impressionnés et contents.
La situation de crise que connaît le pays depuis 2002 entrave-t-elle la bonne marche du musée ? Non et oui à la fois ! Non, parce que la guerre s’est arrêtée au centre du pays et que le musée se trouve dans le sud où réside la grande majorité de la population. Oui, car il ne peut remplir toutes ses missions en tant qu’institution au service de toute la communauté nationale. De plus, étant donné que les touristes étrangers, en particuliers les occidentaux sont désormais rares dans le pays, c’est une partie de son public qui n’existe pratiquement plus.
Sur place à Grand-Bassam, bien que concurrencé par les autres institutions culturelles et les galeries d’art, le musée tient fermement sa place de leader. Toutes les fins de semaines, un bon nombre d’habitants de la localité passent faire un tour au musée pour voir ou revoir l’exposition permanente ou les expositions temporaires (quand il y en a) et visiter l’atelier technique avec les stands de vente d’objets artisanaux.
Les locaux du musée ont périodiquement accueilli des manifestations qui ont attiré une bonne partie de la population de Grand-Bassam et de nombreux habitants d’Abidjan. Depuis 2005, la « Semaine du costume et de la mode » est l’événement phare. Il enregistre la participation de célèbres couturiers tels que Pathé’o, Alpha Sidibé, Nawal El Assad, Memel, etc. En plus des autorités politiques et coutumières de Grand-Bassam, le public est toujours au rendez-vous pour assister aux conférences et tables rondes et surtout pour voir les défilés haute-couture, sans oublier l’attraction du marché du costume et de la cosmétique.
Au-delà de l’affluence du public pendant les manifestations organisées par le musée, l’implication de la communauté locale dans la vie de l’institution s’est manifestée clairement à l’occasion de l’exposition temporaire Traditions vestimentaires chez les Abouré (8) de Moossou (9) en 1991. Ce fut une exposition conçue en prévision d’un événement important pour cette communauté, à savoir l’intronisation de son nouveau roi. Le principe était le suivant : l’exposition devait être inaugurée une semaine avant la cérémonie d’intronisation ; et surtout, les habitants du royaume ont été invités à venir eux-mêmes au musée avec les vêtements et parures les plus significatifs qu’ils gardaient soigneusement chez eux. La salle d’exposition temporaire a été mise à leur disposition avec tout le matériel et les supports nécessaires : vitrines, socles, mannequins, etc. Bien entendu, ils ont été encadrés par le personnel technique du musée afin que la muséographie soit acceptable. C’est avec un grand enthousiasme que les habitants de Moossou ont participé à cet exercice. Le succès de l’exposition fut impressionnant non seulement le jour de l’intronisation du nouveau roi, mais aussi avant et après. Cette expérience est l’une des fiertés du musée qui voit là la preuve de son statut d’institution au service de la société.
Des enjeux socio-économiques pertinents
Hormis le fait que les habitants de la région de Grand-Bassam tout comme la communauté nationale s’identifient culturellement au musée du costume, son rôle de promoteur des arts vestimentaires assure la survivance et le développement de l’artisanat du textile, ce qui permet à tous les artisans du domaine de vivre de leur travail et donc d’être des agents économiques. L’industrie textile profite également de l’institution ; indépendamment des collaborations ponctuelles comme l’organisation de l’exposition Autour du wax, textiles de Côte d’Ivoire, (10) le musée présente dans son exposition permanente des costumes faits avec des pagnes fabriqués par les usines textiles. Le procédé de fabrication s’inspire des méthodes artisanales et les pagnes sont décorés de motifs traditionnels appartenant à la cosmogonie des différents peuples du pays. C’est une promotion importante pour cette industrie même si elle dispose d’autres moyens de publicité. Les stylistes et couturiers ne sont pas en reste ; le musée constitue avec sa documentation une source d’inspiration appréciable pour eux, sans oublier les défilés de mode périodiques organisés pour permettre une communion avec le grand public et faire la promotion de leurs produits. Pour les soutenir davantage, le projet de création d’une tissuthèque a été élaboré il y a quelques années, mais il n’a pas encore vu le jour. Cette structure devrait abriter une base de données significative sur les matériaux, les techniques utilisées pour la confection de nombreuses étoffes artisanales ou industrielles et leur typologie. Elle devrait également être un instrument de coopération internationale. Le tourisme constitue un autre enjeu socio-économique important. Il est vrai que ceci n’est plus valable depuis le déclenchement de la guerre en 2002, mais il le redeviendra après la normalisation de la situation. De nombreux touristes étrangers effectuaient le déplacement à Grand-Bassam uniquement pour visiter le musée. Les retombées financières engendrées par les transports, l’artisanat local, les hôtels et restaurants du bord de mer participent au développement économique local et par ricochet à l’économie nationale.
Au vu de cet argumentaire, il est facile de comprendre pourquoi toutes les velléités exprimées pour délocaliser le musée du costume ou le fermer définitivement sont restées vaines. À chaque fois qu’elles ont eu vent de ces intentions, les populations de Grand-Bassam se sont mobilisées par le biais des notables, des chefferies traditionnelles et de la royauté pour saisir le conseil municipal de la ville afin de faire pression sur le ministère de la Culture. C’est encore la preuve qu’il s’agit là d’un musée de société malgré les difficultés qu’il connaît.
Si le rapport au musée en Afrique est généralement différent de celui qui existe en occident, la nature des collections du musée du costume lui a valu et continue de lui valoir la reconnaissance du public. Toutefois, l’institution gagnerait à développer ses structures internes afin d’améliorer les services au public et d’envisager une coopération internationale.

1. R. Boser-sarivaxévanis, Recherches sur l’histoire des textiles traditionnels tissés et teints de l’Afrique de l’ouest, Basel, 1975
2. Ethnie du nord de la Côte d’Ivoire
3. Ethnie du nord de la Côte d’Ivoire
4. Ethnie du centre-nord de la Côte d’Ivoire
5. Ethnie du centre de la Côte d’Ivoire
6. Entreprise de production textile à Abidjan
7. Y. Savané, « Introduction à l’exposition », in Catalogue de l’exposition, 1998, p.7
8. Ethnie du sud-est de la Côte d’Ivoire
9. Village faisant partie de la localité de Grand-Bassam
10. Autour du wax, textiles de Côte d’Ivoire, Catalogue de l’exposition, Ministère de la culture, Abidjan, 1999
///Article N° : 9989

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Les images de l'article
la façade du bâtiment principal du musée © Lassinan Traoré





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