Le patrimoine camerounais se meurt

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Le Musée national du Cameroun, installé dans l’ancien palais présidentiel, n’a que des murs vides à présenter au visiteur. Heureusement, des musées privés comme le musée Afhémi voient le jour pour pallier l’absence de lieux de conservation du patrimoine.

Selon le décret présidentiel du 18 septembre 1988, un musée national allait être créé, où étrangers et nationaux pourraient admirer la diversité du patrimoine culturel camerounais. En dépit des gros moyens mis à la disposition du ministère de la Culture en vue de la réhabilitation du Musée national du Cameroun, on en est encore à la restauration qui fait du lieu une salle d’exposition, alors même que depuis 1990, une commission chargée de sa restructuration avait été mise à pied d’œuvre.
Portrait d’un musée
Pourtant, le Musée national du Cameroun ouvre ses portes lors du sommet France-Afrique en janvier 2000. Il sera visité par le chef de l’Etat français, Jacques Chirac, et sa délégation. Pour la première fois, le public va avoir l’opportunité de découvrir l’intérieur de ce qui fut jadis le premier palais du premier président camerounais. L’on croit alors que c’est le début d’un véritable intérêt porté à la conservation du patrimoine national. Mais c’était ignorer ce qui caractérise les personnalités de notre pays : sauver les apparences et mettre de la poudre aux yeux des convives.
En mars 2000, deux mois après le sommet francophone, le festival Guinness Michael Power établit son village dans les lieux pendant deux semaines. La même année, au mois de juin, la deuxième convention des églises évangéliques pentecôtistes du Cameroun y séjourne. Ces manifestations n’ont pas manqué de défigurer le décor et les jardins.
Vieille bâtisse à l’architecturale coloniale, l’ancien palais présidentiel est plein de symboles et d’histoire. Il trône majestueusement au cœur du centre administratif de Yaoundé. Malheureusement, les actes de vandalisme et la négligence ont fait de ce bâtiment un monument sans âme et plutôt maussade. Pour y apporter un peu de vie, le ministère de la Culture y a logé quelques-uns de ses services, mais cela n’a pas fait croître le taux de fréquentation du lieu.
Le curieux qui explore l’intérieur est à la fois déçu et découragé, car tout a été pillé et détruit. L’odeur de la moisissure tient à la gorge et picote les narines ; les mares d’eau stagnantes, grouillant de batraciens, mollusques et autres reptiles donnent des frissons à celui qui s’en approche. A l’arrière-plan, un capharnaüm de détritus et d’immondices où poussent une broussaille, des mousses et autres champignons. Des fissures sur les murs de cette immense bâtisse témoignent de l’usure du temps et du manque d’entretien. Des arbres centenaires, pleins de racines et de plantes parasites sont noyés dans la vase. En explorant les salles de l’arrière-plan de l’ancien palais présidentiel, on découvre au rez-de-chaussée que la statue d’Ahmadou Ahidjo, premier président de la République du Cameroun, tenant à la main une clé, est abandonnée dans un cagibi boueux. Cette statue, offerte à l’ancien chef de l’Etat en guise de cadeau en 1972, symbolisait l’Etat unitaire du Cameroun, après la réunification des deux parties anglophone et francophone.
A quand un musée qui remplisse son rôle ?
La réhabilitation du Musée national du Cameroun est devenue indispensable.  » C’est le musée, on peut le visiter ? «  demandent quatre touristes européens, émerveillés par la bâtisse.  » Oui », répondent à l’unisson les deux vigiles. Suivi de près, le quatuor ne manque pas de regarder avec effarement la maigre collection des pièces de reproduction exposée au sol. Pour ces vastes aires, rien que quelques statuettes dites  » fétiches « , des masques représentent la mythologie des grands foyers culturels du Cameroun, dont la partie septentrionale, le sud, le littoral, l’ouest.
En 1999, le ministère de la Culture a organisé un séminaire de formation sur la gestion des collections des musées publics et privés du Cameroun. L’idée de former des spécialistes pour la conservation et la valorisation du patrimoine avait drainé des participants venus des dix provinces camerounaises. Ils ont suivi dix thèmes allant de l’introduction à la documentation muséologique à la gestion administrative et scientifique des musées, en passant par l’historique de l’administration des musées, la présentation du programme Africom, les politiques et pratiques éducatives, la collecte des données, les techniques d’exposition, la gestion des fichiers, le suivi d’un atelier au musée, la préservation et la restauration d’objets, la place et le rôle du musée dans la société du troisième millénaire.
A la fin de la formation, les participants ont proposé un certain nombre de résolutions, pour le recensement et la classification des musées et galeries, l’amélioration des sites, l’insertion dans les programmes scolaires des enseignements sur l’héritage culturel du Cameroun, l’élaboration d’une réglementation relative à l’exportation des objets d’art, ainsi qu’en matière de création de musées privés, la seule qui fut suivie d’effets avec l’ouverture du musée privé Afhémi à Yaoundé.
Le musée Afhémi
Ouvert depuis le 20 octobre 1999 au quartier Rue Damase, à Yaoundé, le musée Afhémi demeure toujours méconnu de la population locale. Sans plaque d’identité, il faut se renseigner et avoir de la patience pour réussir à le localiser. Musée d’art contemporain, il a été inauguré par le secrétaire général du ministère de la Culture, Thomas Fozein. Pourtant, une fois que le visiteur franchit le portillon, il est tout de suite impressionné par la diversité des pièces. Du mobilier aux instruments de musique, en passant par le fétichisme, les armes et les costumes des cérémonies initiatiques, la royauté est bien représentée ici. Masques et statuettes en font également partie. Ce sont là plus de 350 œuvres réunies par le Dr Augustine Kinni lors de ses multiples voyages.
L’extérieur est réservé à la peinture et à l’ameublement. On y voit des tableaux aux couleurs chatoyantes, peints par des amateurs.  » Nous avons acheté ces toiles pour encourager les jeunes peintres « , explique John Mih, le conservateur du musée. Dans cette collection de toiles, un seul tableau est l’œuvre d’une peintre professionnelle, Irène Epié.
Divisé en cinq sections, le musée Afhémi expose des objets en provenance de diverses régions de l’Afrique de l’ouest et du Cameroun.
La première section, appelée salle de masques et de sculptures, présente quelques pièces venues de l’Afrique de l’ouest et centrale, comme Ogun (Nigeria), un masque yoruba, représentant le dieu du tonnerre et de la pluie, le masque Bapunu, (Gabon), utilisé lors des rites initiatiques féminins. Le grand masque fang (Sud-Cameroun, Guinée équatoriale, une partie du Gabon) placé à la porte de la grande salle est généralement disposé à l’entrée des anciennes chefferies de ces régions. On relève aussi un masque particulier, le Kungang, ou Dieu de la terre en pays babanki, bali, oku, bafout, kom… (Nord-Ouest du Cameroun). On en fait usage lors des rites de purification :  » Quand on sort le Kungang pendant les rites, il faut qu’il pleuve à la fin de toutes les cérémonies. Cette pluie qui tombe, vient ‘enlever les impuretés’ « , explique John Mih. Le masque Efik ou totem de la société secrète des femmes-lionnes, dans les régions du Nord-Ouest du Cameroun et l’Est du Nigeria, conserve une sensation d’étrangeté procurée par l’espace et le mystère du lieu. La statue de la reine Bafout (Nord-Ouest du Cameroun), avec sa mine triste fait montre des souffrances que son peuple lui a infligées. Elle qui découvrit le village Bafout fut tuée par les hommes de sa tribu. Sa sculpture réclame des sacrifices pour expier cette lourde faute. Il y a aussi la statue de Ma’Fôô, femme chef en pays bamiléké, et une calebasse royale, vieille d’un siècle du Lamidat de Ngaoundéré.
La deuxième section est la salle de guérison, avec les fétiches vaudou (Bénin). Les guérisseurs les utilisent lors des séances de traitement (maladies, désenvoûtement, sorcellerie et expiation des fautes). Les objets sont en bois, en bronze, en fer ; on y retrouve aussi des bâtonnets en fer, symbolisant l’argent.
A la troisième section, c’est la musique. Ici, cohabitent kora, balafon, mvet fang. Une cithare et un kalangou (petit tambour à double face) rappellent les rythmes sahéliens du Nord-Cameroun. Sur une table, une mosaïque de petits instruments, telle une cruche ramenée du département de Wum, des flûtes, des cornets… La singularité de cette section est la collection des tam-tams royaux, les petits étant joués par les hommes et les grands par les femmes. Pour en jouer, il faut être membre de la société des initiés.
La quatrième salle expose des ustensiles de cuisine en bois ndebele ou zulu d’Afrique du Sud et des tissus royaux. Tout ce qu’un forgeron peut fabriquer s’y trouve : lances, sabres, flèches, arcs, mais aussi des chaînes d’esclaves ramenées du Bénin. Une épée trouvée en Libye est suspendue au mur. Parmi les ustensiles de cuisine, de vieilles marmites sculptées, en bois, en terre cuite, des cuillères et des calebasses matakam, mundang, tikar, mbum, massaï du Nord-Cameroun.
Les costumes d’intronisation de sa majesté chez les Bamiléké, le tribunal et le roi Abohmbi constituent la section cinq, dont la salle principale. Abohmbi, le tout premier chef bafout est dignement présent, avec tous les objets qui font sa protection. En tenue de cérémonie, il est installé sur une peau de panthère, entre deux défenses d’éléphant, avec ses cannes. Six vieilles cloches centenaires l’entourent. Juste à sa droite, une grande marmite en bois et deux jarres, servant à conserver du vin de palme et des plantes médicinales. Pour identifier ses ennemis, le roi convie ses sujets à des séances de beuverie. Celui qui refuse de boire en cette circonstance est considéré comme son ennemi. A ses côtés, un Mabuh ou éclaireur est debout. Habituellement vêtu d’un costume fait de plumes d’oiseau, c’est lui qui annonce l’arrivée du roi. En retrait, des reines, Ma’fôô, en costume d’intronisation, coiffées de chapeaux couverts de parures royales, veillent. Les autres rois invités à la cérémonie d’intronisation, n’arborent pas la même tenue que celle de leur hôte. Dans la monarchie bamiléké, les chapeaux des rois représentent la lune, tandis que celui de la femme symbolise le soleil. Cette différence traduit la supériorité de la femme dans le domaine mystique.
De l’autre côté de sa salle, le tribunal de la cour royale est marqué ici par la présence de deux Kungang, seules personnes habilitées à juger le roi. Ils ont de longues dreadlocks, couvertes de cauris et rehaussées de deux cornes. La légende raconte que ces  » phénomènes capillaires  » sont ceux des défunts rois et reines, dont le seul but est de leur permettre de  » prendre les énergies de ces monarques à partir de l’au-delà « , un peu comme s’ils se dotaient de leurs pouvoirs. Le premier a les pleins pouvoirs d’exiler le roi si la faute est lourde ; le second quant à lui est  » l’exécuteur « , car il peut décider du droit de vie ou de mort du monarque.
L’initiative du Dr Augustine Kinni prouve que, tant qu’il y a de la volonté, on peut faire mieux avec ce qu’on a à sa disposition. Un exemple que le département en charge de la culture devrait encourager et suivre !

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